Le Clezio, prix Nobel de littérature, est un des rares écrivains qui ne m’ont jamais déçu tant par son œuvre, ses goûts, ses prises de position, sa personnalité et sa méfiance vis à vis du petit monde littéraire parisien.
Le Clezio a toujours été intéressé par la Chine (et par la Corée où il enseigne périodiquement).En 1967, à l’ouverture des relations diplomatiques, il demande à participer au premier groupe de coopération franco-chinois; malheureusement, sa demande est rejetée.
Un intérêt ancien pour la culture chinoise : « La lecture des grands classiques de la littérature chinoise, la découverte de l’Opéra de Pékin mais aussi de la peinture traditionnelle chinoise, m’ont profondément influencé. J’apprécie tout particulièrement les romans chinois modernes, notamment ceux de Lu Xun et de Ba Jin et tout spécialement ceux du romancier pékinois Lao She. Je trouve que la profondeur, l’enthousiasme et l’humour qui se dégagent des romans de cet écrivain ont un caractère universel »(1).
« Un grand amoureux de Lao She » :
Le Clezio expliquait récemment à Pékin (2) : « je suis un grand amoureux de lao She. Pour au moins deux raisons ; la première est assez romantique. Comme moi, il est membre d’une tribu en voie d’extinction, les Mandchous pour lui, les Mauriciens pour moi. J’ai aimé aussi sa description de la vie à Pékin dans les années 30 (« Quatre générations sous un même toit ») (3)…c’est un grand roman d’apprentissage de la vie urbaine… »
Un grand roman auquel Le Clezio consacre une préface remarquable. « Roman de la guerre et de la résistance chinoise, « Quatre générations… »est aussi un roman d’amour…mais surtout de la passion de Lao She pour sa ville natale… ». « Aujourd’hui, le hutong (4), le personnage principal du roman de Lao She, disparaît inexorablement sous les coups de boutoir des bulldozers au service, non plus de la Révolution, mais de la modernisation commerciale et planifiée qui est en train de transformer l’une des villes les plus admirables du monde en un désert de béton et de verre à l’image de Shanghai et de Hong Kong » (3).
Le Clezio se rend régulièrement en Chine et en 2008, se voit décerner par la maison d’édition La Littérature du Peuple, le prix du meilleur écrivain étranger pour son roman Ourania. L’écrivain est admiré pour la synthèse qu’il a été capable d’opérer entre de nombreuses cultures, pour son intérêt pour ceux qui vivent à la marge du monde moderne et qui vénèrent la nature et la liberté.
De prix Nobel à prix Nobel…
L’intérêt de Le Clezio et sa réflexion sur les sociétés primitives font penser à l’approche de Gao Xingjian (prix Nobel 2000) dans « La montagne de l’âme »(5) : la femme, la nature, la liberté, les sociétés primitives, des thèmes communs aux deux écrivains. Ils sont également proches dans leurs rapports avec la politique : Gao Xingjian se défie de tous les « ismes » et Le Clezio explique : « je crois que l’époque où les écrivains pouvaient jouer un rôle de porte- parole politique est révolu. De toutes façons, je ne me sens pas capable de jouer ce rôle. Je me sens davantage comme un tambour. Je transmets la vibration. Je ne suis pas un tambour qui annonce mais un tambour qui vibre »(2).
Fin 2009, Le Clezio remet à Pékin le prix Fu Lei (1908-1966) du nom du grand traducteur de littérature française, notamment de Balzac et de Romain Rolland, une autre victime de la Révolution Culturelle (il s’est pendu avec sa femme en 1966). Ce prix Fu Lei fut attribué à Zhang Zujian pour une traduction de Levi Strauss et à Ma Zhenchuang pour sa traduction des « Essais « de Montaigne, le « Confucius français » comme il dit fort justement…
Pour Le Clezio, « l’être humain est comme un arbre. Quand il est jeune et vert, il est résistant, souple , vivace et dynamique avec une force de vie qui permet révolte, indignation et cris violents…L’arbre au fil du temps, devient de plus en plus sec et cassant… j’espère que cela m’arrivera le plus tard possible » (2). Lao She aurait pu lui répondre: « nous autres, les vieux, nous n’avons pas à demander pardon pour ce que nous sommes. Nous pouvons seulement expliquer pourquoi nous sommes ainsi et encourager les jeunes à trouver leur voie vers le futur » (2).
Bertrand Mialaret
(1) cité par Solange Cruveillé in http://jelct.blogspot.com (1/11/2008).
(2) « Connexions » N° 52, nov-dec 2009.
(3) Mercure de France 1996 ; Tome 1.
(4) Quartier traditionnel de Pékin de maison basses en briques grises construites autour d’une cour intérieure.
(5) « La montagne de l’âme » , traduit par Noël et Liliane Dutrait. Editions de l’Aube 1995.