Un bon roman de Jia Pingwa vient d’être traduit. Un évènement, « Happy Dreams » est un de ses romans les plus reconnus et nous conte la vie « heureuse » de deux éboueurs dans le courant de l’année 2000 dans la grande métropole de Xian.
- Un lobby Jia Pingwa :
Il est l’un des écrivains les plus célébrés en Chine, même s’il est moins lu par la jeune génération. A l’étranger, très peu de traductions ; deux livres en anglais par Howard Goldblatt et en France, deux romans traduits par Geneviève Imbot-Bichet ainsi que quelques nouvelles. Les éditeurs hésitent : généralement plus de 500 pages pour les romans avec souvent un usage généreux du dialecte du Shaanxi, sa province natale.
Le succès de l’auteur vient en partie de l’interdiction pour pornographie en 1993 et pendant seize ans d’un de ses livres, « La Capitale Déchue » (1) qui obtint le prix Femina Etranger. Il continue à écrire et publie en 1996, un court roman, « Le Village Englouti » (2), traduit en français et d’ici deux mois en anglais.
Après trois romans qui eurent peu de succès, il obtint en 2008 le prix Mao Dun pour « Qinqiang » (Shaanxi Opera) ce qui permit de publier à nouveau « La Capitale Déchue ». Cinq romans suivirent dont deux ont été récemment traduits en anglais : « Gaoxing », « Happy Dreams » (3) par Nicky Harman et « The Lantern Bearer » (4) par Carlos Rojas.
En deux ans, quatre nouvelles traductions publiées et un lobby Jia Pingwa, « Ugly Stone » du nom d’une nouvelle célèbre du romancier. Ce groupe de traducteurs connus, animé par Nick Stember et financé par le « Jia Pingwa Institute in Xian », a préparé pour les éditeurs des traductions partielles et des notes de lecture de quatre romans récents.
On peut imaginer que l’on veut éviter de rééditer la situation un peu ridicule du prix Nobel de Mo Yan avec un seul traducteur, Howard Goldblatt, et peu de romans en anglais alors que ses grands romans étaient traduits et publiés en France. Il est vrai que Jia Pingwa, Président de l’Union des Ecrivains du Shaanxi, ferait un prix Nobel très présentable. Les livres de Yan Lianke, par contre et pour l’essentiel, sont interdits en Chine.
En France, Gallimard vient de publier « L’Art Perdu des Fours Anciens » (5), un roman de 1150 pages sur un village des montagnes du Shaanxi, traversé par la Révolution Culturelle. Un livre que Nicky Harman se dit prête à traduire en anglais !
- Un roman et un ami :
Dans la postface de « Happy Dreams », l’auteur nous explique la genèse de son roman. Un ami d’école Liu Shuzen, qui ultérieurement changea son nom en Liu Gaoxing, Happy Liu, est à l
’origine de ce livre. Il nous raconte leur enfance commune, l’armée pour Liu, l’université pour Jia et des relations amicales qui n’ont jamais cessé.
Eboueur est un métier que beaucoup de paysans du district de Shangzhou, la région d’origine de Jia, exercent dans la grande ville de Xian. Jia ne s’y était pas vraiment intéressé mais Liu Shuzen y consacra quelques années avant de se reconvertir dans la livraison de briquettes de charbon.
Jia rencontre alors d’autres éboueurs et s’informe sur leurs conditions de vie. Quand le roman est publié en 2007, Liu Shuzen devient l’éboueur le plus célèbre de la ville de Xi’an, interviewé par la presse à qui il raconte leur enfance commune avec Jia. Il est vraiment le modèle de Happy Liu car plus la vie est dure, plus il est déterminé à en profiter.
Le livre sort en 2007 et est rapidement un succès, un film est tourné l’année suivante. C’est un roman qui se lit facilement et avec plaisir. Un livre traduit par Nicky Harman pour Amazon Crossing, la branche édition d’Amazon, le principal éditeur de littérature chinoise dans le monde, snobé par l’Association des traducteurs français.
Le roman en Ebook est disponible dans 183 pays ainsi qu’une version papier. Un lancement réussi avec un bon travail de promotion de Nicky Harman qui explique également dans une interview les difficultés de cette traduction. Elle avait déjà traduit une longue nouvelle de Jia Pingwa « Backflow River » qui obtint le premier prix de China international Translation Contest en 2013.
- Happy et Wufu, heureux à Xi’an :
Happy Liu est le héros du roman, il a fui la pauvreté de son village avec son ami Wufu pour chercher fortune à Xi’an au début de l’année 2000. Pas vraiment d’intrigue, il s’agit d’épisodes de la vie quotidienne de ces deux paysans devenus éboueurs et le roman commence et se termine par la mort de Wufu. Il faut beaucoup de talent pour soutenir l’intérêt dans un roman sans réelle dramatisation.
Peu de violence, rien de sordide et pas de misérabilisme même si nos héros vivent dans la pauvreté car ils savent qu’ils gagnent beaucoup plus d’argent que dans leur village, de plus le « window shopping » est gratuit.
Happy Liu nous séduit, c’est un personnage complexe, résolument optimiste. « I made Happy Liu the subject of my novel. He was after all unique. Yet he was also typical. He had turned into the man that he was now because the more life weighted on him, the more he knew how to bear difficulties lightly” (p.478).
Son monologue intérieur, ses dialogues avec Wufu, occupent une place importante. Il a beaucoup de respect pour lui-même ; on lui reconnait une réelle prestance, il est soigné, s’habille avec élégance de vêtements de récupération, cire ses chaussures chaque soir…
Il pense être devenu un homme de Xi’an et s’être dégagé de sa condition de paysan ; il a en effet vendu un de ses reins à un homme riche de la ville qu’il aimerait bien rencontrer, c’est presque une obsession !
Il a de grandes qualités morales et essaie d’éviter que Wufu ne se lance dans des combines douteuses. Ses qualités sont tellement évidentes que l’on s’interroge : comment n’évolue- t-il pas socialement ? Bien sûr Wufu est un poids mort qu’il a juré de ne jamais abandonner…
Ses rapports avec les femmes sont certainement un point délicat. Il est seul contrairement à Wufu dont la femme est restée au village avec leurs trois enfants. « I am an object of pity, even to Wufu…I was useless with women. I found one in Freshwind (his village) but she would not have me. I looked for one in town and all I could find was a hooker” (p.206). Il rencontre en effet Meng, une prostituée, dans un salon de massage. Elle a besoin de gagner vite beaucoup d’argent pour payer la police qu’elle pousse à rechercher hors de la province le meurtrier de son frère.
Il est amoureux d’elle et leurs relations restent longtemps platoniques, « when she came with me, she did not come as a hooker and I certainly wasn’t her john” (p.276). Il lui donne de l’argent sans contrepartie, « why do you give her money? Why does that fill you with pride every time? It is just because she’s in trouble and that makes you feel you’re a hero instead of a trash picker” (p.346).
Wufu est un personnage très différent, laid, sale, grossier…Il est en ville pour nourrir sa famille à laquelle il est très attaché. Ce n’est pas un faire-valoir. Certes ses capacités et son intelligence sont limitées, il vit au jour le jour et se fait rouler aisément. Il est très dévoué à Happy qu’il admire car il sait qu’il ne le laissera pas tomber. Malheureusement Happy, après sa mort, ne pourra pas tenir sa promesse de le ramener au village.
- Les éboueurs et la vie à Xi’an :
Jia Pingwa a passé une grande partie de sa vie à Xi’an. Cette ville de huit millions d’habitants, qui fut longtemps capitale de la Chine, est pour l’auteur un personnage important que nos éboueurs ne cessent de parcourir par tous les temps, mais ils n’ont pas le recul suffisant pour voir comment cette cité évolue.
Le livre est plein de détails sur les conditions de vie des éboueurs, leur logement, leur nourriture et leur travail. Cette profession est contrôlée par une maffia à plusieurs niveaux qui alloue des zones aux éboueurs qui ont été acceptés. Il faut acheter les déchets, les vieux papiers, les bouteilles ; il faut payer les gardiens d’immeubles pour récupérer ce qui est vendable…
Les habitants de Xi’an les ignorent, les méprisent, même si Happy est connu et généralement apprécié, il sait rendre des services et c’est un excellent joueur de flûte. Wufu n’a pas ces qualités mais peut être utile quand une bagarre est inévitable.
La police évidemment ne jouit pas de l’estime général ; elle est modérément corrompue mais gêne le travail des éboueurs. Avec Meng et la police de son village qu’elle paie, la situation est plus sérieuse mais à Xi’an la police ne joue pas un rôle de souteneur même si elle protège les salons de massage !
Jia Pingwa est très prudent sur tout ce qui pourrait ressembler à une critique politique ; les autorités municipales sont à peine mentionnées et le Parti Communiste n’est pas cité. Par contre, il n’hésite pas à montrer les écarts impressionnants de richesse, le cynisme des plus riches et l’absence de protection de la majorité. Une caution pour être admis à l’hôpital peut représenter près d’un an de salaire !
On reste toujours dans l’anecdote, dans l’évènement ; le thème du livre n’est pas vraiment relié à ce qu’est la Chine de l’an 2000 et le roman manque de tension dramatique. L’histoire d’amour avec Meng relance le livre mais n’est pas suffisante. Le thème des deux éboueurs dans la ville est très riche et l’on peut rêver à ce que des écrivains comme Mo Yan ou Yan Lianke en auraient fait.
Jia Pingwa n’est peut-être pas assez ambitieux mais il s’explique et écrit dans un texte lu récemment au congrès du Modern Language Association à New York où, faute de visa, il n’a pu se rendre : « showing the truth about the basic situation of the Chinese people today…these should be the things that drive us to write » mais « a man who’s worn shackles will hear the click of his chains for the rest of his life. This is what the current generation of writers look like…This kind of reality creates the type of writers we are…”
Bertrand Mialaret
- Jia Pingwa, « La Capitale Déchue », traduit par Geneviève Imbot-Bichet. Stock 1997, 750 pages.
- Jia Pingwa, « Le Village Englouti », traduit par Geneviève Imbot-Bichet. Stock 2000, 310 pages.
- Jia Pingwa, « Happy Dreams », traduit par Nicky Harman. Amazon Crossing, 2017, 480 pages.
- Jia Pingwa, “The Lantern Bearer”, traduit par Carlos Rojas. CN Times, juin 2017, 516 pages.
- Jia Pingwa « L’art Perdu des Fours Anciens », traduit par Li et Bernard Bourrit. Gallimard, 1150 pages, 36 Euros.
Bonjour Monsieur. Savez-vous si quelqu’un est en train de traduire 《高兴》en français ?
Hélène Arthus
yelan.arthus@gmail.com
Bonjour
Je n’ai entendu parler de rien. Il y a déjà deux très gros romans qui viennent d’être traduits, cela devrait calmer les ardeurs…Bonne journée.
B. MIalaret