Bei Dao est avec Yang Lian et Duo Duo, l’un des poètes chinois de la génération de Tiananmen les plus connus en Occident. Ses œuvres en prose ont souffert de la célébrité d’une poésie souvent citée comme candidate pour un prix Nobel.
Deux recueils d’essais, traduits en anglais, un beau roman « Vagues » (1) et des nouvelles « 13 rue du Bonheur » (2) que complète un superbe texte autobiographique « S’ouvrent les portes de la ville » (3) qui vient d’être traduit en français par Chantal Chen-Andro.
1-Reconstruire sa ville :
Bei Dao, après 13 ans d’exil, obtient finalement l’autorisation de retourner à Pékin pour revoir son père malade. « J’étais étranger dans mon pays natal…Je me suis senti alors poussé à écrire ce livre : je voulais par l’écriture, reconstruire une ville, rebâtir mon Pékin à moi ».
Le livre fait revivre les charmes du Pékin de sa jeunesse, les ombres, les lumières, les odeurs, les bruits. L’enfant nous parle de son environnement, des jouets et des jeux, des transformations apportées par l’arrivée d’une télévision puis d’un tourne disque.
Il sort de son quartier, il va à la pêche, il apprend à nager mais se noie presque dans le lac du Palais d’Eté. Beaucoup de sorties pour chercher de l’herbe pour les lapins qui au cours de ces années de famine finiront dans une marmite. La nourriture est très présente, elle a souvent manqué pendant sa jeunesse.
Les rapports avec sa mère sont peu abordés et ne semblent pas très étroits, les relations entre les parents ne sont pas très harmonieuses. Un long chapitre est consacré à son père. Une famille connue mais qui est plus ordinaire dans les dernières générations ; une vie confortable, son père travaillait à la Compagnie d’assurance populaire de Chine puis à l’Association Chinoise pour la promotion de la Démocratie.
Son père lit beaucoup et est intéressé par la technologie. Les relations seront étroites avec sa jeune sœur qui décédera dans un accident, plus lointaines avec un jeune frère et généralement conflictuelles avec son père, « chaque homme chinois abrite en lui un petit tyran…à la maison, il se doit d’être le maître suprême. » (p.321)
Bei Dao nous parle longuement des quartiers que sa famille a habité et de leurs voisins. Il est admis à l’été 1965 au lycée n°4, le meilleur lycée de Pékin, pour la plus grande fierté des parents et des voisins. Il lit beaucoup, y compris les livres interdits cachés dans le grenier et qui devront être remis au Comité de Quartier ; « l’expérience de la lecture est comme le réverbère pour la route, elle éclaire les ténèbres de l’existence humaine » (p.169).
2-Bei Dao et la Révolution Culturelle :
Il n’est même pas membre de la Ligue de la Jeunesse, mais dès l’arrêt des cours en juin 1966, il se consacre aux journaux muraux et aux séances d’accusation. En août, il va habiter au lycée où il restera deux ans. Un professeur se suicide, la lutte des différentes factions devient brutale, il publie le Journal de la Révolution Culturelle au Lycée. Il participe au Grand Echange, et visite de nombreuses villes pour apporter son témoignage sur la Révolution Culturelle.
La reprise en mains des Gardes Rouges, le conduira à être rééduqué par le travail, onze ans dans deux entreprises de construction. Ses parents seront envoyés dans les Ecoles des Cadres du 7 Mai pour être « réformés ».
Cette vision de l’intérieur de la Révolution Culturelle est très prenante mais Bei Dao ne fait pas un bilan de ses désillusions. Avec son poème « Réponse » (Huida), il devient le porte-parole d’une génération ; il s’agit surtout d’affirmer sa liberté, le refus de la dictature de toute autorité.
Le livre souffre d’une accumulation de détails qui ne sont pas nécessaires : pourquoi faire l’historique de tous les voisins, des camarades de classe…Bien évidemment, s’attacher à l’évolution de certains personnages est indispensable mais des choix doivent être faits.
Il faut saluer le beau travail de la traductrice qui respecte les différents styles; l’approche assez froide et intellectuelle de Bei Dao est soulignée, bien différente de la manière dont Chantal Chen-Andro traduit Mo Yan ! De nombreuses photos de la famille, 30 pages de notes brèves et précises, un historique de dix pages sur Pékin et ses portes et enfin une postface.
Bei Dao rend hommage à sa traductrice dans « Midnight’s Gate » et fait son portrait (p.61) lors de son premier séjour à Paris en juillet 1985.
3- « Vagues », un beau roman un peu oublié :
Ce texte est terminé en 1974, remanié et publié en 1979 dans la revue Jintian. C’est à l’époque un roman tout à fait nouveau dans la forme et dans son sujet. Cinq personnages, des monologues, pas de dialogues ; pas de support politique de type réalisme socialiste. Un roman d’atmosphère, d’états d’âme, de sensations. Les personnages vivent dans un constat d’échec après l’écroulement des idéaux ; le système favorise l’égoïsme et la corruption.
Lin Dongping est un cacique du Parti, qui refuse de s’associer à des décisions prises en haut lieu mais qu’on veut faire avaliser par la base ; de même qu’est devenue l’indemnisation de l’aide aux sinistrés ? Yang Xun a passé quelques jours en prison pour s’être opposé à un impôt, il rencontre Xiao Ling, une jeune femme de 23 ans avec une petite fille, un personnage très attachant et très vivant mais un peu perdu ; « oui c’est vrai, j’ai besoin qu’on m’aime, besoin qu’on m’aide, ne serait-ce par quelques mots de tendresse. Autrefois, j’avais un père, une mère, des amis… » (p.53). Elle parle de son divorce, de son travail dans une usine.
D’autres personnages, Bai Hua, un gardien un peu voyou mais capable de générosité. Aucune progression dramatique de l’intrigue même si Yang Xun doit rentrer à Pékin. Avec Xiao Ling, ils ne savent pas se construire ensemble et l’amour est une illusion.
4- Des nouvelles :
Le recueil « 13 rue du Bonheur » comprend cinq nouvelles. La nouvelle titre nous rappelle que Bei Dao à cette époque a lu « La Nausée » de Sartre et « Le Château » de Kafka.
Qui habite au 13 ? Il est journaliste, il va au Comité de Quartier puis au Bureau de la Sécurité Publique. Tous fuient leurs responsabilités: ce n’est pas de mon ressort, il faut faire une réunion, le 13 n’est pas sur la carte ! « Chaque fois que tu te trouves en présence d’un individu, dis-toi que tu as affaire à un coupable…oui, c’est ce qu’on appelle la lutte des classes » (p.113). La narration devient surréaliste et l’absurde règne.
« Un étranger de retour » est un beau texte, certes un peu mélodramatique. Le père est de retour après 20 ans de rééducation par le travail, il a été totalement réhabilité et se voit attribuer un bon logement ; les « amis » reviennent. Sa fille ne l’a pas vu depuis l’âge de quatre ans et a regretté l’amour qu’elle n’a pas eu. Arrive un petit vieux encore terrorisé dans son comportement par les règles du camp. Elle s’isole dans sa chambre, sa mère l’accuse d’égoïsme et souligne qu’il a survécu pour ses enfants.
Il lui demande de l’accompagner dans le parc où il la promenait enfant. Ils parlent, il dit qu’il n’a pas su la protéger, qu’il n’est pas digne d’être son père. Ils pleurent, il lui donne un collier qu’il a fait pour elle avec des vieux manches de brosse à dents.
5- Des essais de l’exil :
Deux recueils qui ne sont disponibles qu’en anglais.
« Midnight’s Gate » (5) nous parle essentiellement des personnalités rencontrées lors de ses tournées littéraires pendant sa période d’exil. Il nous détaille les responsables des Festivals de poésie qui sont souvent des poètes, mais aussi des hommes de pouvoir.
Il fait le tour du monde, un peu de tourisme, des rencontres superficielles et de bons dîners très arrosés ; « In my wanderings overseas, alcohol has been my most loyal companion. It consoles and make promises…it never betrays you and at worst it gives you a headache for a few days” (p.194).
Il parle longuement de son séjour en Palestine, de l’attitude inadmissible des Israéliens et de sa réception par Arafat. Comme dit Octavio Paz, « poetry is a third voice apart from religion and revolutions. This voice cannot truly eliminate hatred, but perhaps can alleviate it to some degrees”. (p.105).
Il mentionne très peu sa poésie ou ses œuvres, ne nous donne pas les réactions de ses collègues ; c’est un peu décevant. Il cite la vie à New York qu’il n’aime pas : « a truly nostalgic destination. It’s like driving a car: look straight ahead, don’t look back, just let your mind idle, perfectly aware of what has disappeared behind you” (p.41).
Il souligne les contacts qu’il a appréciés: Wolfgang Kubin en Allemagne, Gregory Lee lors de son séjour à Durham, « he undestood China better than many other sinologists” (p.205).
“The Blue House” (4) parle de ses déménagements : « In the six years between 1989 and 1995, I lived in seven different countries and moved fifteen times” (p.213). Il détaille sa vie de famille, ses rapports avec sa fille Tiantian et surtout la solitude: « for Chinese in the West, the worst thing is loneliness; a deep sense of isolation. Americans understand this from the day they are born, but we Chinese must learn it (p.195).
Il est isolé et un peu dépressif, les Américains qu’il rencontre l’aident : Allen Ginsberg, Gary Snyder, Eliot Weinberger, Jonathan Spence. Un véritable ami sera pour lui le poète suédois Tomas Transtromer, très populaire dans son pays et prix Nobel ; il en parle avec émotion et nous donne envie de le lire.
Il mentionne sa vie en Californie à Davis et son gout pour les jeux de hasard : « Chinese like to gamble, something that I think is related to a national propensity for the irrational, a belief in fate rather than gods…There is also no linguistic or cultural barriers…if you loose today there is always tomorrow”(p.241).
Bertrand Mialaret
- Bei Dao, « Vagues », traduit par Chantal Chen-Andro. Editions Philippe Picquier 1993, 193 pages.
Bei Dao, « Waves », translated by BonnieS. McDougall and SuzetteTernent Cooke, New Directions 1990, 208 pages.
- Bei Dao, « 13 rue du Bonheur », traduit par Chantal Chen-Andro. Circé 1999, 112 pages.
- Bei Dao, « S’ouvrent les Portes de la Ville, Pékin 1949-2001 », traduction Chantal Chen-Andro. Ypsilon juin 2020, 380 pages.
Bei Dao, « City Gates Open Up”, translated by Jeffrey Yang. New Directions, April 2017.
- Bei Dao, “The Blue House”, translated by Ted Huters and Feng-ying Ming. Zephir Press 2000,260 pages.
- Bei Dao, “Midnight’s Gate”, translated by Matthew Fryslie. New Directions, 2005. 255 pages.