En Asie, on a lu beaucoup de romans policiers mais les maîtres étaient Conan Doyle et Agatha Christie. Les choses changent; deux romancières nous expliquent que l’Asie et tout particulièrement la Malaisie peuvent être un cadre particulièrement adapté. Shamini Flint a même vendu les droits mondiaux de ses livres à une filiale anglaise du groupe Hachette. Deux romans sont traduits en français (1) et le troisième paraîtra dans quelques jours. Son sixième roman, très réussi, nous conduit à Pékin.
Une juriste malaisienne d’origine indo-ceylanaise:
Shamini Flint a 45 ans, elle est née en Malaisie et a fait des études de droit très brillantes en Malaisie et en Grande Bretagne où elle rencontre son mari, un économiste anglais Simon Flint. Elle a travaillé pour un cabinet de juristes en Malaisie (Zain) puis pour Linklaters à Singapore. Elle démissionne en 2004 pour s’occuper de ses deux enfants.
Elle s’ennuie un peu, regrette son job, donne des cours de droit à la National University de Singapour et milite pour des groupes écologistes et en faveur du commerce équitable. Elle commence à écrire des livres pour enfants: une petite fille Sasha, visite plusieurs capitales asiatiques que Shamini connaît fort bien avec ses déplacements professionnels.
Le héros des romans policiers, Singh, s’impose avec évidence : il devait être Indien. Il est Sikh avec son turban, ses shorts, ses chaussures de sport et son goût pour la bière et les currys. Sa femme très entêtée est cependant une merveilleuse cuisinière et tous les dialogues, nous dit Shamini, viennent de ce qu’elle a entendu dans sa famille. Singh s’entend mal avec son chef direct, un Chinois de Singapour, qui apprécie peu ses méthodes, sa tenue et a un sens politique très développé qui pourrait lui faire oublier la justice.
Meurtre en Malaisie
Son premier roman publié par sa société d’édition « Sunbear », a eu un bon succès à Singapour. Un meurtre à Kuala Lumpur traumatise une famille chinoise, enrichie par l’exploitation des forêts à Bornéo. Singh est appelé par la femme de la victime, une ex-top model de Singapour que l’on accuse du meurtre.
Le livre n’est en rien condescendant vis à vis des Malais comme parfois certains romans écrits à Singapour. Shamini critique l’organisation trop parfaite et trop froide de Singapour et apprécie le charme de Kuala Lumpur. Elle évoque cependant la corruption en Malaisie, tout particulièrement à Bornéo et le poids croissant de l’Islam et des tribunaux islamiques. Enfin elle nous montre l’intervention d’un jeune Anglais auprès de la tribu des Pénans de Bornéo, s’inspirant de l’activiste suisse Bruno Manser qui n’a jamais été retrouvé. Le roman se lit agréablement, l’intrigue policière des ouvrages suivants sera plus sophistiquée.
Infamies à Singapour
Son troisième roman n’a pas dû lui faire des amis. Un milieu qu’elle connaît bien car elle y a travaillé: un cabinet international de juristes. Elle nous décrit les conditions de vie luxueuses de ces expatriés, les relations parfois difficiles entre Chinois, Malais et Indiens à Singapour. Elle nous montre que la justice peut ne pas être la même pour tous: il vaut mieux être blanc et expatrié que servante venant des Philippines ou même juriste homo d’origine hindoue.
Elle souligne les peines très sévères pour la consommation et le trafic de drogue et la répression de l’homosexualité.
Le patron d’un cabinet de juristes est assassiné. Tous les partenaires pourraient être coupable. Leurs failles, délits d’initiés, chantages aux faveurs sexuelles, drogue, course à l’argent vont conduire à deux autres meurtres…Mais Singh, malgré les interventions intempestives de son chef qui ne veut pas que l’image de riches expatriés de Singapour soit écornée, permettra à la justice de pendre un de ces juristes .
Meurtre et corruption à Pékin (2)
Le fils de l’ambassadrice de Singapour à Pékin est battu à mort soi disant par des voyous. Celle-ci demande l’intervention de l’inspecteur Singh qui sera assisté par Li Jun, un policier à la retraite. Ce bon roman utilise la plupart des thèmes souvent associés à Pékin et à la Chine: corruption dans les opérations immobilières de destruction des « hutong », police au service du Parti, lutte contre les membres de la secte Falungong, ventes d’organes prélevés sur les condamnés, conditions de vie des migrants ruraux. Quelques éléments de l’intrigue sont même inspirés de l’affaire Bo Xilai
Tous ces thèmes sont bien connus, mais l’on ne parle pas du rôle essentiel du Parti et de l’absence d’état de droit; ce n’est pas un roman politique et c’est de ce point de vue, un peu décevant pour une romancière qui nous dit être passionnée par la politique.
L’évocation de Pékin n’est pas toujours réussie et le décor un peu terne. On regrette les descriptions de Qiu Xiaolong, plongé dans Shanghai et évoquant cuisine et poésie. Cependant l’intrigue est bien menée et nous tient éveillés; de plus les personnages, ce qui est rare, ont suffisamment d’épaisseur, notamment les diplomates singapouriens. Shamini Flint a maintenant du métier…
Barbara Ismail et, en Malaisie, un roman du Kelantan.
Dans les années 1970, la province du Kelantan et la ville de Kota Bharu étaient mal reliés au reste du pays et isolées pendant les inondations de la mousson. Le Kelantan au nord-est du pays, à la frontière avec la Thaïlande, était un sultanat indépendant jusqu’au 18ème siècle, puis soumis à un protectorat du royaume du Siam et enfin dès 1909 contrôlé par les Anglais.
C’est un bastion des valeurs et de la culture malaise, dirigé depuis 1990 par le parti fondamentaliste PAS. Le livre nous fait connaître les marchés et les marchandes de Kota Bharu; « Kelantanese men were famous for letting their women make money while they sit in coffee shops talking politics » (p.28). Mais l’originalité de ce roman est de se dérouler dans une troupe de théâtre d’ombres (Wayang Siam) où l’on croise le maître de marionnettes (dalang) et les musiciens.
L’auteur du roman « Shadow Play »(3) est …une Américaine, Barbara Ismail. Née à Brooklyn, elle suit sa première année d’université à Java et apprend le malais avec l’ethnologue Douglas Raybeck qui poursuit des recherches au Kelantan. De 1977 à 1982, elle va étudier le dialecte du Kelantan et le Wayang Siam. Sa thèse sera publiée par l’université de Yale en 1980.
Elle a deux filles Jerusha et Arielle et est la belle-sœur de Dr. Yaacob Ibrahim, le ministre de l’information et de la communication de Singapour. Elle prévoit de publier une série de romans policiers situés au Kelantan. Le second, « Princess Play » vient de sortir en e-book et le troisième « Songbird » commence par un concours de chants d’oiseau (barung merbok).
J’ai lu « Shadow Play » avec grand plaisir; je connais suffisamment la Malaisie et sa culture pour apprécier l’authenticité de ce livre, de ses personnages et de l’environnement. On parle plus de sorcellerie que d’Islam et l’on ne mentionne ni la politique et les tensions religieuses, ni le PAS. Une intrigue bien menée, une enquête sous traitée par un policier malais de la côte ouest, un peu perdu, à de fortes femmes du marché de Kota Bharu qui trouveront les coupables..
Bertrand Mialaret
(1) Shamini Flint, « Meurtre en Malaisie », traduit de l’anglais par Dominique Brotot. Marabout poche, juin 2013.
Shamini Flint, « Conspiration à Bali ». Marabout poche, juin 2013.
Shamini Flint, « Infamies à Singapour », Marabout poche, février 2014.
(2) Shamini Flint, « A calamitous Chinese killing ». Piatkus 2013.
(3) Barbara Ismail, “Shadow Play”, Monsoon Books, Singapore, 2012, 285 pages.
Bonjour,
Merci de m’avoir fait découvrir ces auteurs asiatiques. J’ai dévoré « Danse dans la poussière rouge » récemment, au même titre qu’ « Infamies à Singapour ». Ayant eu la chance de passer quelques temps à KL et Singapour, c’est un réel plaisir de redécouvrir ces deux magnifiques et riches pays au travers d’intrigues policières, entremélées de problématiques politiques et juridiques.
Attendant avec impatience vos prochains billets,
Nicolas