La Chine est le plus grand éditeur de livres au monde et pourtant la lecture de romans chinois n’a pas toujours très bonne presse. Avec les six livres que nous vous proposons, nous espérons vous démontrer le contraire : il s’agit d’ouvrages traduits ces deux dernières années en français et en anglais, aisément disponibles chez des marchands en ligne sous forme de livres et souvent de fichiers.
Des textes de grande qualité, des thèmes et des styles très différents qui ont tous donné lieu à des articles en français et en anglais sur mon blog www.mychinesebooks.com
- Chi Zijian : « Neige et Corbeaux » (1)
Ce roman ne nous éloigne pas du coronavirus ; le livre a été publié en Chine en 2010 pour l’anniversaire de l’épidémie de peste de 1910/1911 qui tua 60 000 personnes en Mandchourie dans le nord de la Chine. La romancière nous fait revivre la ville de Harbin qui, à l’époque, était peuplée surtout de Russes et qui se développait avec le chemin de fer Transsibérien.
Des personnages très divers, un ton qui évite le tragique. Une épidémie qui est mal évaluée par les autorités : ce n’est pas une peste bubonique transmise par les rats mais une peste pulmonaire qui se répand comme le coronavirus.
Un médecin chinois, né en Malaisie et formé à Cambridge, Wu Liande, met en place toutes les techniques de contrôle des épidémies auxquelles on est confronté tous les jours : confinement, masques, hôpitaux de fortune, isolement des quartiers et de la ville de Harbin.
La lutte entre spécialistes peut être assez brutale et un médecin français, soutenu par les autorités consulaires, tentera sans succès de l’évincer ; il mourra d’avoir refusé un masque, sa nécrologie dans un journal de Brest est un chef d’œuvre de littérature coloniale !
- Wu Ming-yi, « Le magicien sur la passerelle » (2)
Un livre tout à fait différent, un recueil de nouvelles très réussies d’un des grands écrivains de Taiwan. Le marché de Chunghua, au cœur de la mégapole de Taipei, la capitale, comporte huit bâtiments reliés par des passerelles. C’est un peu le royaume de l’auteur, c’est un lien qui fédère les marchands, l’auteur et ses camarades de classe ; l’espace de toutes les aventures pour les enfants et leurs familles qui sont au centre de nombreux récits.
Beaucoup d’émotion, un ton poétique et le personnage clef, le magicien, qui vend aux enfants de quoi faire des tours de magie. « C’est seulement quand l’oubli s’entremêle avec la mémoire que les souvenirs méritent de devenir des histoires » (p.252).
- Fang Fang : « Funérailles Molles » (3)
Une romancière dont on parle beaucoup car elle vient de publier un journal sur sa période de plus de deux mois de confinement à Wuhan, au cœur de l’épidémie de coronavirus.
« Funérailles Molles » est un grand roman ; à la frontière de la province du Sichuan, de grandes familles sont expropriées par la réforme agraire de 1947 à 1952 : 40% des terres ont changé de mains dans toute la Chine avec au moins 1,5 millions de morts. Les funérailles molles sont une source de terreur, un corps enterré à même la terre, qui risque alors de ne pas pouvoir se réincarner.
Il ne s’agit pas d’un roman historique. C’est un livre très complexe, magnifiquement construit entre le passé et le présent et les deux vies de l’héroïne, Hu Daiyin, qui a perdu la mémoire en 1952. Parfois, on se sent dans un roman policier, les personnages se découvrent des histoires communes ; un ton calme et très posé avec parfois de superbes descriptions des grandes propriétés.
Beaucoup de morts car Mao Zedong voulait éliminer propriétaires fonciers et chefs de village pour que le Parti puisse contrôler les paysans. A Taiwan, il ne s’agissait que de redistribuer des terres et la réforme agraire se fit sans victimes.
- Qiu Xiaolong : « Chine, retiens ton souffle » (4)
Chacun connait les enquêtes policières de l’inspecteur Chen Cao, écrites par Qiu Xiaolong, un romancier, un poète, né à Shanghai et vivant aux Etats Unis depuis 1988. Dix romans, traduits dans une vingtaine de langues et vendus à plus de deux millions d’exemplaires.
Qiu Xiaolong parvient à créer un roman policier et à accrocher ses lecteurs avec un sujet ardu, la pollution de l’air. On retrouve Shanshan, l’amour de Chen Cao, que l’on a rencontrée autour du lac Tai dans un précédent roman ; pour elle, « les gens ne croient plus à rien…Donc le problème n’est pas seulement la pollution de l’eau, de l’air ou des produits alimentaires, c’est aussi la pollution des esprits » (p.146).
L’impact de la pollution en Chine est considérable et l’on a vu, avec une économie partiellement à l’arrêt avec le coronavirus, que cette pollution pouvait diminuer de manière spectaculaire (même constatation à Paris).
Qiu Xiaolong nous parle aussi de poésie et de gastronomie. Une lecture qui donne faim. Des plats étonnants, des recettes transmises par mail qui peuvent être aussi un moyen de communiquer discrètement !
- Yan Lianke, « La mort du soleil » (5)
Un grand romancier qui devrait être couronné par un prix Nobel même si la majorité de ses œuvres n’est pas autorisée en Chine. Publié à Taiwan en 2015, ce livre est une manière de conte philosophique. Une nuit incroyable que va nous conter un jeune garçon de quinze ans Li Niannian.
Dès la tombée de la nuit, on constate des cas de somnambulisme, souvent des paysans qui se dirigent vers leurs champs pour récolter leur blé. Quant à la famille de Li Niannian, elle continue à exploiter son magasin d’articles funéraires et à dénoncer ceux qui enterrent leurs morts en effet une loi a rendu la crémation obligatoire.
Evènements incroyables, absurdes ou grotesques. Mythe sans doute mais un roman vivant, des descriptions, des dialogues qui captent le lecteur ; la narration flotte comme un somnambule. L’auteur se réfère au « Chinese Dream » du Président Xi Jinping mais précise qu’avec le contrôle très strict de l’information, des générations de Chinois ont été comme des somnambules sans s’en rendre compte. Il s’agit aussi d’une plongée dans la noirceur de l’âme humaine, le somnambulisme libère les conventions et permet de dévoiler les véritables personnalités.
- Sanmao, a superstar writer :
Près de trente ans après sa mort, elle demeure une célébrité en Chine et à Taiwan. Son livre le plus connu, « Stories of the Sahara » vient d’être traduit en anglais ; un énorme succès en 1976, des millions d’exemplaires vendus. Une existence romanesque, la référence absolue pour des jeunes Chinoises éblouies par son audace, ses histoires d’amour et surtout ses voyages dans une cinquantaine de pays. Après des études à Taiwan, elle voyage, publie et se marie avec Jose Maria Quero avec qui elle va vivre à El Aaiun, la capitale de cette partie du Sahara alors espagnol.
Un beau livre, une vingtaine de textes très différents : la vie quotidienne, les voyages, les voisins, son rôle comme éducatrice et infirmière. Un style plaisant, une personnalité attachante, un livre qui se lit facilement et qui n’a aucune prétention historique ou ethnologique.
Après la mort accidentelle de Jose, elle retourne à Taiwan mais les dernières années seront noires malgré la célébrité. Pour terminer, une chanson, « L’Olivier », dont elle a écrit les paroles, chantée par Chyi Yu.
https ://supchina.com/2019/04/07/friday-song-chi-yu-the-olive-tree-san-mao
Bertrand Mialaret
- Chi Zijian, « Neige et Corbeaux », traduit en français par F. Sastourné. Editions P. Picquier, mars 2020, 350 pages, 21,50 euros.
- Wu Ming-yi, « Le magicien sur la passerelle », traduit par Gwennaël Gaffric, L’Asiathèque, mars 2017, 270 pages, 19,50 euros.
- Fang Fang, « Funérailles Molles », traduit par Brigitte Duzan assistée de Zhang Xiaoqiu ; L’Asiathèque 2019, 460 pages, 24,50 euros.
- Qiu Xiaolong, « Chine retiens ton souffle », traduit de l’anglais par Adélaïde Pralon , Editions Liana Levi, 2018, 250 pages, Poche, 7,20 euros. In English, « Hold your breath China », First World Publications, April 2020.
- Yan Lianke, “La mort du soleil », traduit par Brigitte Guilbaud. Editions P. Picquier, février 2020, 385 pages, 22,50 euros. In English, « The day the sun died », translated by Carlos Rojas, Chatto&Windus. London 2018, 340 pages.
- Sanmao, “Stories of the Sahara”, translated by Mike Fu, Bloomsbury, 2019, 390 pages.
Merci, vraiment, je suis abonnée à vos publications, et les quelques livres que j’ai lus sur vos indications m’ont toujours beaucoup plu (Le Jardin des égarements, La Mort du soleil, Beaux seins, belles fesses, Le tristement célèbre Johnny Lim… + deux ou 3 autres et je m’apprête à lire, toujours sur vos conseils, S’ouvrent les portes de la ville, de Bei Dao) Chaque fois de vrais auteurs, de vraies histoires profondes et complexes, un vrai regard sur le monde et une mine d’information sur la civilisation chinoise que je méconnais parfaitement : cette ouverture par la littérature permet de dépasser un peu l’ignorance absolue que j’en ai. C’est d’ailleurs aussi par les films que je m’informe et que je découvre une infinité de nuances, bien au delà des clichés en vigueur dès qu’il s’agit de la Chine. Merci encore, bonne journée.