A la suite de l’intervention probable de la Chancelière Angela Merkel, à qui il avait écrit une lettre, l’écrivain Liao Yiwu a eu l’autorisation de se rendre en Allemagne pour le Salon du livre de Francfort et pour rencontrer ses lecteurs. Sa traductrice en France , Marie Holzman, a pu le faire venir à Paris et a animé un débat à l’incontournable librairie Le Phénix.
Un témoin de talent :
Son métier est d’être le témoin de ceux qui n’ont pas les moyens de se faire entendre. Il a recueilli trois cents témoignages dont une trentaine ont été traduits en Français et surtout en Anglais, comme on l’a mentionné il y a trois mois. Interviews très vivants d’individus de tous les secteurs des « bas fonds » de la société.
Cette technique d’interviews nous a donné dans le passé quelques livres très intéressants: en 1986, « L’Homme de Pékin »(1) par Zhang Xinxin et Sang Ye, en 1997 « L’Empire de l’Absurde »(2), huit témoignages du grand écrivain Feng Jicai ( treize dans une version anglaise)(3). Plus récemment, Xinran a publié « Chinoises »(4) (« The Good Women of China ») et sur la génération qui est en train de disparaître, « Mémoire de Chine »(5) (« China Witness »).
Liao Yiwu nous livre des portraits peut-être moins construits et surtout ne prétendant pas illustrer une idée force, une thèse.
Son livre sur le tremblement de terre du Sichuan (6) de Mai 2008, ne cherche pas l’émotion facile même s’il nous dit : « Je voulais interviewer une femme qui avait perdu un parent, elle ne savait que pleurer comme Binu (7) auprès de la Grande Muraille mais j’ai enregistré ses pleurs puisque c’est ainsi qu’elle s’exprimait, qu’elle témoignait ».
Un tremblement de terre qui pose de nombreuses questions :
Ce livre, qui ne sera pas publié en Chine, pose de bonnes questions, mais fournit peu de réponses. Quel est l’impact du grand barrage hydraulique de Zipingpu, construit sur la ligne de faille, dans le déclenchement du tremblement de terre ? Pourquoi ce sont surtout des écoles qui se sont effondrées entraînant la mort de milliers d’enfants ? Le ciment était du « tofou » mais pourquoi ? Il ne pouvait répondre, car en quittant la Chine pour l’Allemagne, il s’est engagé à « ne pas dire du mal de la République Populaire de Chine » comme le rappelle Pierre Haski.
Mais Liao Yiwu ne justifie pas non plus certains jugements un peu rapides: dans sa préface à « Quand le Terre s’est ouverte… », Marie Holzman souligne qu’il se moque des écrivains en vue « en les traitant de larbins du pouvoir ». On n’a pas obtenu beaucoup plus de précisions mais il souligne que la répression de Tiananmen en 1989 a obligé les écrivains à prendre position: « certains se sont exilés, d’autres ont arrêté d’écrire, d’autres ont fait des compromis ou cherchent à faire de l’argent; en tous cas, la littérature « underground » est très isolée » .
Cette position peut se comprendre car Liao Yiwu vit en Chine, ce qui n’est pas le cas de Ma Jian qui traitait les écrivains vivant en Chine de « collaborateurs ».
Enfin il a pu nous donner une idée de son talent de musicien, de flûtiste, un instrument dont il a appris à jouer en prison auprès d’un moine Han et qui lui a permis de survivre à sa sortie…
Bertrand Mialaret
Photo : B. Mialaret (à la Librairie Le Phenix).
(1) « L’Homme de Pékin » de Zhang Xinxin et Sang Ye. Actes Sud 1992.
(2) « L’Empire de l’Absurde » de Feng Jicai. Bleu de Chine 2001.
(3) « Voices from the Wirlwind » de Feng Jicai. Random House 1991.
(4) « Chinoises » de Xinran . P. Picquier 2003.
(5) « Mémoire de Chine » de Xinran. P. Picquier 2010.
(6) « Quand la terre s’est ouverte au Sichuan » par Liao Yiwu. Buchet Chastel 2010.
(7) Référence au mythe de Meng repris par Su Tong dans un livre de commande.