La première partie de l’interview de Bi Feiyu à Paris a été publiée avec la critique de son livre « Les Aveugles », sur Rue 89 ; on lira ce qui concerne son métier d’écrivain…
La « liste longue » des romans sélectionnés pour le prix Mao Dun a entraîné des polémiques
C’est vrai que sur cette liste puis parmi les lauréats, il y a des Présidents et Vice Présidents des Unions Régionales des Ecrivains. C’est en fait tout à fait normal car si un auteur est reconnu en Chine, il devient rapidement Vice Président de l’Union Régionale. Mais dans l’avenir, cela va changer ; il y a de plus en plus de jeunes écrivains qui n’appartiennent pas à l’Union.
Vous évoquez les critiques de Han Han qui déclare que l’Union ne sert à rien. C’est vrai que l’Union n’a pas beaucoup d’utilité en matière de littérature. Elle est utile pour notre génération, pas pour les plus jeunes. Quand nous avons quitté l’université, c’était l’Etat qui nous attribuait des postes; maintenant les jeunes trouvent eux mêmes leur travail et n’ont plus la même relation avec la société.
Vos relations avec les écrivains…
Parmi les écrivains chinois actuels, mon préféré est Mo Yan. Pour la littérature étrangère, j’ai l’impression que la qualité baisse mais j’aime Naipaul, Le Clezio, Amos Oz, Vargas Llosa et Adonis.
J’ai effectivement rencontré Gao Xingjian (prix Nobel 2000), nous étions dans le même hôtel à Edimbourg. Depuis longtemps, on dit qu’il n’a pas très envie d’avoir des relations avec des écrivains chinois, j’ai pu le vérifier moi-même et on a juste échangé quelques saluts.
Oui, j’ai fait à Londres une émission avec Chan Koonshung (1), je ne savais pas qu’il était romancier; pour moi, c’était un réalisateur, également auteur d’articles et d’essais. Comme je devais échanger avec lui, j’ai lu son roman; dès qu’on le lit, on sait que c’est le roman d’un taiwanais, on ne parle pas le même chinois !
La création littéraire sur internet…
C’est un phénomène important en Chine et dans la liste longue du prix Mao Dun, il y a eu, pour la première fois, des romans créés sur internet; ce sont des auteurs très jeunes. En Chine, cela a un effet positif très important et je souhaite que cela se développe encore davantage. Quant à la qualité littéraire, c’est autre chose, ce sont des textes écrits trop rapidement…
Editeurs, agents et traducteurs…
Il faut dire tout d’abord qu’il est très difficile pour un écrivain chinois de se faire publier aux Etats Unis, en Angleterre ou en France, alors que les écrivains occidentaux ont beaucoup de facilités pour être édités en Chine. J’ai eu beaucoup de chance d’être publié comme je l’ai été en France et toutes mes publications à l’étranger ont commencé par la France. En Angleterre et aux Etats Unis, ils achètent les livres qui ont eu du succès en France.
Mon agent, jusqu’en 2008, Laura Susijn, m’a beaucoup aidé, mais depuis cette date, je travaille avec Nurnberg Associates.
Avec mes traducteurs en France, les relations sont bonnes et on se connaît bien, qu’il s’agisse de Claude Payen, d’Isabelle Rabut ou d’ Emmanuelle Péchenart.
Dans le monde anglophone, j’ai d’excellents rapports avec Howard Goldblatt; il a plus de 70 ans et je l’appelle « grand frère » ; il est très intéressant, très vivant et professeur d’université. Oui je sais qu’il a la réputation de manier le ciseau quand il trouve qu’il y a des longueurs mais je n’ai pas eu de problème avec lui; c’est quelqu’un de très consciencieux qui prend très au sérieux son rôle de traducteur .
Je comprends que vous soyez étonné que les trois romanciers chinois, Jiang Rong, Su Tong et moi-même, qui ont eu le prix Man Asia, ont tous été traduits par Howard Goldblatt, mais le plus étonné c’était moi car je pensais n’avoir aucune chance après deux lauréats chinois les années précédentes.
La campagne puis Nankin…
De nombreux écrivains habitent Nankin : Su Tong, Ye Zhaoyan, Han Dong, Huang Beija (2) ; quant à moi, avant Nankin, j’ai vécu de 1958 à 1989 dans un village du Jianxi. La campagne a une grande importance pour moi, mais mon père était un intellectuel qui a subi le mouvement anti droitier et ma mère était enseignante. Je ne viens pas d’une famille de paysans comme Mo Yan, cela fait une grande différence.
A Nankin, je fais beaucoup de sport, j’ai commencé dans les cours de récréation car j’ai toujours vécu dans des écoles pendant ma jeunesse.
La musique a pour moi une grande importance, je joue du erhu ; j’ai commencé très jeune et je pense que j’avais quelques dispositions mais je n’ai pas eu un véritable apprentissage; en ville, j’aurais pu avoir une vraie formation et peut-être ma vie aurait été très différente…
Votre vie d’écrivain…
Avant 1999, j’écrivais toujours la nuit; après 35 ans, je travaille le jour, c’est meilleur pour la santé ! Quand j’écris un roman, je travaille tous les jours avec des cigarettes et sans musique. Pendant plus de dix ans, j’ai bu du café avec de la nourriture occidentale, des cigares et du whisky. Maintenant, je deviens de plus en plus Chinois dans mes goûts, je bois du thé mais pas de moataï, c’est trop fort…
Bertrand Mialaret
(1) Chan Koonchung est né à Shanghaï et vit à Hong Kong et à Pékin. Son roman « The fat years » publié à Hong Kong et à Taiwan en 2009 mais interdit en Chine a suscité un très grand intérêt. La traduction anglaise par Michael S. Duke (avec une préface de Julia Lovell) a été publié cet été par Doubleday; la version française sortira bientôt chez Grasset.
C’est un texte absolument passionnant sur la Chine de…2013. Comme moi, vous ne refermerez pas ce livre avant de l’avoir terminé…
(2) Tous sauf Han Dong, ont eu plusieurs de leurs ouvrages traduits en français; un livre de Han Dong, « Banished » vient d’être traduit en anglais par Nicky Harman et publié par University of Hawaï Press.
Un commentaire