Il y a quelques mois, on fêtait en Chine, l’anniversaire de la naissance du grand homme de théâtre, Cao Yu  (1910-1996) et la semaine dernière à Londres, sa belle fille, Dr Li Ruru (1) de l’Université de Leeds, organisait pour quelques jours une exposition et des conférences à l’Université de Londres (SOAS). Enfin, à Paris, le vendredi 25 février sera projeté « The Savage Land », un film de Liang Zi d’après la pièce de Cao Yu, « The Wilderness ».

Reconnu en Chine comme le père du théâtre chinois moderne, largement publié dans les pays de langue anglaise (six pièces) et souvent joué, peu connu en France où seul « L’Orage » a été traduit par l’ELE de Pékin; mais la France se dédouane en lui attribuant la Légion d’Honneur en 1987 !

Un succès rapide :

Cao Yu suivit de 1922 à 1928 les cours de l’école Nankai de Tianjin, une école avec une incomparable ouverture sur l’Occident. Zhang Penchun, auteur de théâtre, ayant séjourné aux Etats Unis, y créa une troupe où Cao Yu joua et notamment des rôles féminins. A l’Université Nankai et à Tsinghua à Pékin (dont il sortit en 1933), il lit beaucoup, les Grecs, Shakespeare, Ibsen et Eugène O’Neill…

C’est alors, à 24 ans, qu’il écrit « L’Orage » (2) qui connaît un grand succès. Dans les années 1920, dans la famille d’un industriel autocrate, les liens de celui-ci dans sa jeunesse avec une servante qui lui a donné deux fils et qu’il abandonne, vont se compliquer à la génération suivante avec les amours d’une servante, fille de cette même femme et de son demi-frère.

La pièce est attachante car les caractères sont fouillés et surtout sans schématisme. L’industriel est un personnage compliqué mais intéressant, son amour de jeunesse, marié avec l’un de ses valets, n’a pas oublié ni pardonné et veut sauver sa fille. Le fils de la servante, un syndicaliste, un personnage qui devrait être positif, est en fait bien maladroit et est trahi par ses compagnons.

Bien évidemment, on est parfois proche du mélodrame et la critique des grandes familles industrielles est, si l’on relit Mao Dun, un trait caractéristique de l’époque (« Minuit » est publié en 1933).

« L’Orage » connaît un succès considérable, la pièce est jouée dans plusieurs théâtres et deux films différents sont tournés en 1938.

« Sunrise »(1936) est moins intéressant. L’environnement de la courtisane Chen Bailu et son personnage, ne parviennent pas à nous passionner. On croise de gros industriels qui tentent des manipulations boursières, un jeune gigolo, un ancien étudiant « occidentalisé » et un ancien ami de cœur de la courtisane.

On subit quelques pages sur la vie des petits employés de la banque qui pourraient avoir été écrites trente ans plus tard ! Une intrigue assez molle et sans vraie tension; la pièce sera jouée plus tardivement; un film en sera tiré dont le scénario est écrit par Wang Fang, l’une des filles de Cao Yu.

Succès au théâtre et au cinéma :

A lui seul, il va développer l’intérêt pour le théâtre moderne à l’occidentale. Jusqu’en 1940, il est professeur à l’Académie d’Art Dramatique de Nankin et il donne même des cours d’anglais.

En 1937, il publie « The Wilderness » (3), une pièce que je n’ai pas lue et qui est plus controversée. Il abandonne la ville pour la campagne et nous dépeint un paysan injustement emprisonné. Celui-ci s’évade et se venge de la famille d’un riche propriétaire terrien qui a tué son père, vendu sa sœur comme prostituée et forcé sa fiancée à épouser le fils de la famille !

Après sa vengeance, il se cache dans la forêt et perd la raison. La pièce avec ses éléments fantastiques, n’était pas en ligne avec le réalisme social de l’époque.

Le film « The Savage Land », tiré de la pièce, est tourné en 1981 par la réalisatrice Ling Zi. C’est l’un des premiers films indépendants produits en dehors du système des studios officiels. Le film n’a été présenté qu’en 1987 et a été le premier film chinois sélectionné au festival de Venise.

Après l’invasion japonaise de 1937, Cao Yu se replie à Chongqing où il est professeur et où il écrit des pièces patriotiques. La « Métamorphose » (1939): dans un hôpital bombardé, miné par la corruption de ses administrateurs, l’arrivée de deux nouveaux dirigeants conduit à une réorganisation qui permettra à l’hôpital de remplir sa fonction, soigner les blessés.

En 1940, « L’Homme de Pékin », une pièce à mon sens très intéressante, nous décrit la ruine d’une famille traditionnelle et les conflits de génération tout comme l’impact des idées modernes. On est proche des thèmes de « Famille » de Ba Jin, que Cao Yu adaptera pour le théâtre en 1941.

La politique le rattrape :

En 1946, il passe un an aux Etats Unis avec Lao She pour une tournée de conférences. A son retour à Shanghai, il tourne un film et après 1949, devient Directeur du Théâtre Populaire de Pékin. La critique sociale de ses pièces et son théâtre patriotique, le rendent acceptable pour le nouveau régime, d’autant plus qu’il est populaire, deviendra membre du Parti Communiste en 1956 et secrétaire de l’Association des Ecrivains .

Il met en scène ses propres pièces, écrit un drame historique, des scénarios, des traductions.

Pendant la Révolution Culturelle, il est condamné, comme tant d’autres, pour des activités « contre-révolutionnaires » et envoyé « à la campagne » pour y être rééduqué. Il est réhabilité en 1975 et retrouve son poste au Théâtre Populaire ainsi que des honneurs.

Après une hospitalisation de près de huit ans, il meurt en 1996. C’est un père fondateur, un peu le « Lu Xun du théâtre » même si comme pour celui-ci, ses œuvres viennent d’être retirées des programmes scolaires.

Bertrand Mialaret

(1)   www.wreac.org

(2)   Cao Yu – « L’Orage », traduit par Tchen Mien. ELE Pékin 1958.

(3)   Cao Yu – « Sunrise », traduit par Barnes. Foreign Language Press, édition bilingue, 2001 ;

(4)   Cao Yu – “The Wilderness”, traduit par Christopher Rand et Joseph S.M. Lau. Hong Kong University. 1980, 201 pages.

(5)   Cao Yu – “Peking Man” traduit par Leslie Nai-Kwai Lo. Columbia University Press, 1986, 180 pages.

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