Xinran, mémoire de Chine.Ils avaient vingt ans en 1949 lors de la victoire de Mao Zedong, ils vieillissent, leurs rangs s’éclaircissent….La romancière Xinran, dont on n’a pas oublié « Chinoises », un succès international, a confessé cette génération dans son livre « Mémoire de Chine », qui vient d’être publié en livre de poche(1).

J’ai rencontré deux fois Xinran pour une interview et j’apprécie ses efforts pour présenter de manière simple et, sans préjugés politiques, des sujets complexes. Il faut noter aussi son sens de l’humour et sa volonté de tenter de combler un peu de l’ignorance (souvent satisfaite) des Européens vis à vis de la Chine et de sa culture. « Mémoire de Chine », publié en 2010, s’est infiniment moins bien vendu que « Chinoises » ou « Funérailles Célestes », mais c’est un livre qui mérite qu’on s’y arrête.

« Les voix d’une génération silencieuse » :

Plus journaliste que romancière, comme elle a pu nous l’expliquer il y a maintenant trois ans, Xinran a voulu consigner « les réactions émotionnelles liées aux spectaculaires mutations du siècle dernier ».

Une vingtaine d’interviews sélectionnées dans différentes provinces et pour la plupart des « gens ordinaires »; certains sont exceptionnels mais ce ne sont ni des célébrités, ni des « people ». Les artisans, fabricants de lanterne, côtoient les témoins de l’histoire (de la Longue Marche ou des prisons du Xinjiang) ou les observateurs de la police, de la justice ou de l’armée.

Cette « histoire orale » ne cherche pas à être un échantillon représentatif ; Xinran rend hommage à la dignité de cette génération et à ses conditions de vie très difficiles. Le sacrifice des grand parents a permis le développement exceptionnel du pays. Xinran 2Tous expliquent que l’après 1949 est un changement positif malgré les débordements politiques, malgré un travail très dur qui souvent conduisit à sacrifier la vie familiale et les relations avec les enfants. Bien sûr, enfants et petits enfants ont tendance à moquer les idéaux de cette génération qui est bien loin de l’obsession de la consommation des plus jeunes.

Beaucoup d’empathie chez Xinran, de l’intérêt et du respect pour ses interlocuteurs et la volonté de les faire parler car « personne en Chine ne croit possible d’amener ses compatriotes à dire la vérité ». Elle persiste et signe: « les Chinois n’ont pas réussi à échapper à trois millénaires d’impérialisme totalitaire, ni à celui d’un 20eme siècle de chaos, de violence et d’oppression. Ceci les empêche encore de parler librement sans craindre d’éventuelles représailles du pouvoir en vigueur ».

L’image de Mao Zedong :

Les positions de Xinran sont claires mais elle n’escamote pas le débat et nombre de ses interlocuteurs notamment les paysans, regrettent celui qui « a redistribué les terres »… « Grâce à lui, les citadins ont pu accéder gratuitement au logement, à l’éducation et aux soins médicaux ». De plus, « Mao Zedong a rendu sa dignité au peuple chinois après la guerre de l’Opium ».

Certains témoignages sont passionnants sur des épisodes peu connus et notamment la colonisation dans les années 1950 de la province du Xinjiang, par plusieurs centaines de milliers de prisonniers du Guomintang et de détenus de camps de rééducation par le travail sous la surveillance de l’armée. Un « Corps de Construction », « organisation sociale spéciale, administrée au niveau du gouvernement central » est chargé de la mise en valeur de cette province. On ne peut s’empêcher de penser que les méthodes n’ont guère changé depuis, par exemple, la colonisation par les armées impériales des pays Miao dans les provinces du Hunan et du Guizhou.

Il est dommage que l’auteur n’ait pas su réduire son propos en supprimant certains interviews ou documents annexes. Des livres précédents de témoignages sont beaucoup plus concis tels « L’homme de Pékin » de Zhang Xinran 6Xinxin (Actes Sud 1992) et surtout « L’Empire de l’Absurde » (Bleu de Chine 2001) écrit avec grand talent par Feng Jicai après la Révolution Culturelle, un personnage qu’elle apprécie car « il ne se borne pas à écrire un livre, il fait réfléchir ».

Bertrand Mialaret

(1) Xinran- « Mémoire de Chine, les voix d’une génération silencieuse », traduit du Chinois par Prune Cornet. Editions Philippe Picquier 2014 – 720 pages, 12,50 euros.

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