Le prix Nobel de littérature a été attribué pour la première fois à un romancier chinois, Mo Yan. Evènement considérable dont se sont emparés les autorités de Pékin, les médias et les dissidents chinois du monde entier. Mo Yan a été jugé en fonction non de la qualité de ses livres, mais de positions politiques affichées ou supposées. Et pourtant son œuvre témoigne de l’indépendance et des capacités critiques d’un homme qui a été au centre d’un débat fort intéressant sur la place d’un écrivain dans une société post totalitaire comme la Chine.
Cet article sera publié en trois chapitres
1/ Une décision qui a surpris :
L’attribution du prix Nobel de littérature au romancier chinois Mo Yan, le 11 octobre 2012, a beaucoup étonné, même s’il est l’un des romanciers chinois les plus connus à l’étranger.
Il s’agit du premier prix Nobel pour un écrivain chinois. Gao Xingjian, en 2000, né chinois, était naturalisé français et son Nobel avait été vigoureusement dénoncé par les autorités de Pékin, même s’il avait été salué par Mo Yan à l’époque.
Depuis des années, la Chine souffre d’un véritable « complexe du Nobel », son influence intellectuelle et culturelle dans le monde étant bien inférieure à son poids économique. De gros efforts sont réalisés par le gouvernement chinois pour transformer cette situation et ce prix Nobel a été le bienvenu et considéré comme un « dividende » de cette politique de « soft power ».
Durant l’été, on avait été surpris par les pronostics de sociétés de paris britanniques pour lesquelles le tiercé gagnant était: Mo Yan, Haruki Murakami et Cees Noteboom. Cela n’avait pas convaincu. Les médias chinois, qui avaient vivement attaqué l’Académie Nobel lors de l’attribution du prix Nobel de la Paix en 2010 au dissident Liu Xiaobo, exprimaient leurs doutes sur les chances de Mo Yan et même sur le prestige que pouvait représenter un prix Nobel (le site internet de l’Académie Nobel était d’ailleurs bloqué).
Pourtant il était un candidat évident compte tenu de ses qualités littéraires et du nombre de ses traductions, en suédois, en anglais et surtout en français. Mais l’Académie Nobel n’avait couronné jusqu’alors dans les pays communistes que des écrivains dissidents (à l’exception de Sholokhov en URSS) et Mo Yan, membre du Parti Communiste et vice-président de l’Union des Ecrivains, n’est certes pas un dissident.
Mo Yan a 57 ans, c’est un fils de petits paysans qui dut quitter l’école à douze ans. La solitude au contact des animaux, la faim, le travail des champs et les histoires, les contes que l’on raconte dans sa famille et au village, vont former sa personnalité. Après deux ans de travail dans une usine, il parvient en 1976 à rejoindre l’Armée Populaire de Libération qui va lui permettre d’étudier puis d’écrire et d’être reconnu avec une nouvelle « Le radis de cristal » (1986). Son premier grand roman « Le Sorgho rouge » (1987) est un livre plein de bruit et de fureur retraçant la lutte entre familles paysannes et occupants japonais et que le film de Zhang Yimou fit connaître dans le monde entier.
Une dizaine de romans, une centaine de nouvelles vont suivre; il a abordé nombre des problèmes sociaux de son époque: la corruption, les fraudes alimentaires, la précarité des paysans, la politique de contrôle des naissances…Sa vision épique et fantastique de nombreuses périodes historiques de la Chine, de l’occupation japonaise à la guerre civile ou à la réforme agraire a parfois crée la controverse.
Il a beaucoup innové d’un livre à l’autre et montré des qualités de composition exceptionnelles (« Le pays de l’alcool ») et un style cru, rabelaisien, fantastique que l’on reconnaît aisément au bout de quelques paragraphes.
2/ Fierté nationale et développements commerciaux:
Immédiatement à l’annonce du prix, les chaînes de télévision interrompent leurs programmes; la presse multiplie les couvertures et les louanges. Le responsable de la propagande, Li Changchun, envoie ses félicitations à l’Union des Ecrivains. Mais l’exercice est parfois délicat car le Nobel c’est aussi Liu Xiaobo, un dissident en prison !
Les réactions de fierté nationale se multiplient, certains journalistes écrivent même que c’est un événement plus important que les JO de Pékin ou l’exposition universelle de Shanghai. L’impact sur le public est immédiat; en moins de deux heures sur Weibo, le Twitter chinois, on enregistre trois millions de commentaires.
L’humour n’est pas absent: la Chine a eu trois prix Nobel, le premier ne peut pas rentrer au pays (Gao Xingjian), le deuxième ne peut pas en sortir (Liu Xiaobo), quant au troisième, il est Mo Yan (c’est à dire « ne parle pas »), un surnom datant de son enfance pendant la Révolution Culturelle où ses parents pour éviter de possibles ennuis lui demandaient de ne pas parler.. !
En quelques jours, les livres disparaissent des librairies et les commandes affluent. Beaucoup de lecteurs ne le connaissent pas ou peu; il ne fait pas partie de la liste des vingt écrivains qui touchent les droits d’auteur les plus importants. Il est peut être plus connu en Chine que ne l’était JMG Le Clezio en France, mais le Nobel de Mo Yan suscite un intérêt et même une fierté nationale que l’on ne peut absolument pas comparer.
Comme souvent en Chine, la demande développe la piraterie et les éditions pirate se multiplient. Plusieurs éditeurs prétendent publier les œuvres complètes. Un premier tirage de 200 000 exemplaires pour un « set » de 16 œuvres est lancé au prix de …75 euros par Shanghai Literature and Art Publishing House. 100 000 exemplaires ont été commandés en trois jours(1).
Un accord cadre sur les droits a été signé il y a six mois par Mo Yan et Beijing Genuine and Profound Culture Development Company. Une nouvelle édition des œuvres complètes doit être publiée et les discussions se multiplient sur des projets de films ou de séries TV. Il faut noter que Mo Yan après avoir été « lancé » en 1987 par le film de Zhang Yimou « Le Sorgho Rouge », qui fut un succès mondial, a peu bénéficié du cinéma; seuls deux films s’inspirent de ses nouvelles. La stature internationale de Mo Yan va sans doute être également développée par l’accord qu’il a signé il y a quelques mois avec le célèbre agent américain Andrew Wylie.
Pour l’écrivain, la pression médiatique s’intensifie. Il est à Gaomi, son village natal dans la province du Shandong, près de son père et de son frère aîné. Les interviews succèdent aux conférences de presse. Les déclarations officielles se multiplient: on annonce que sa nouvelle « Le radis de cristal » va figurer au programme des lycées; un choix un peu surprenant mais c’est peut-être la nouvelle que Mo Yan préfère, le héros Noiraud est une transposition de Mo Yan enfant(2).
3/ Gaomi, un nouveau parc d’attraction…
Gaomi, sa « République des lettres », un personnage central de son œuvre, devient un grand centre d’intérêt. Certes, comme dit Mo Yan à ses visiteurs et notamment à son traducteur Noël Dutrait, « il n’y a rien à voir ». Cela va changer. Bureaucrates et entrepreneurs veulent attirer les touristes, les projets foisonnent; on a l’impression de lire « Bons baisers de Lénine » du grand écrivain Yan Lianke (qui serait un Nobel de qualité dans quelques années !).
On va replanter du sorgho à Gaomi, il y a bien longtemps que l’on n’en cultive plus mais on ne peut lancer un parc d’attraction fondé sur le roman « Le clan du sorgho » sans sorgho !
La maison familiale doit devenir une des attractions principales et les fonctionnaires locaux expliquent au père de Mo Yan qu’il faut la rénover. Son fils est l’honneur de la Chine et peu importe s’il est ou non d’accord (3).
Le sorgho rouge est partout, dans les restaurants, dans les verres. Les radis sont volés dans les potagers, ils servent de souvenirs ! Guan Moxin, son frère, a dû protester auprès des officiels qui voulaient enlever leur récolte de maïs qui sèche sur la route devant la maison comme toutes celles du village.
Il y a déjà à Gaomi un musée littéraire Mo Yan, installé dans les locaux d’un collège; on compte déjà 10 000 visiteurs (4). Mo Yan essaie de calmer le jeu; il est un habitué des prix littéraires (le prix Mao Dun en Chine, le prix Man Asia, le prix Newman aux Etats Unis…) même s’il prétend être timide et limiter ses rapports avec les médias. Il avance que toute cette agitation sera retombée dans quelques semaines mais il doit savoir que ce n’est pas vrai !
La presse chinoise se passionne sur l’utilisation du montant du prix. Il pensait acheter une maison à Pékin mais avec la hausse des prix de l’immobilier, il ne pourra s’offrir qu’un quatre pièces…Le montant de ses droits d’auteur futurs est un autre sujet de débats, les chiffres les plus fantaisistes circulent…
Les honneurs s’accumulent. Il est élu professeur à l’Université Normale de Beijing, dont il a été diplômé en 1991; il devient ainsi collègue de Liu Xiaobo ! Il est même nommé membre de la Conférence Politique Consultative du Peuple Chinois en même temps que le basketteur Yao Ming et la vedette de cinéma Jackie Chan !
On assiste même à une dérive « people » : de longs articles et un débat sur le type de costume qu’il va ou devrait porter à Stockholm…Il est conscient du danger et déclare que le Nobel peut être un « baiser de la mort » pour certains écrivains qui arrêtent de produire de bons livres après le prix; il veut continuer à écrire des histoires.
PS1 : Tous mes remerciements à trois bons connaisseurs de Mo Yan que j’ai pu interroger longuement :
- Anne Sastourné, éditrice de Mo Yan aux Editions du Seuil.
- Noël Dutrait, traducteur de plusieurs grands romans de Mo Yan, professeur et directeur de l’Institut de Recherches Asiatiques.
- Anna Gustavson-Chen, traductrice à Stockholm de trois romans de Mo Yan.
PS2 : Les grands romans de Mo Yan ont été publiés en France par Les Editions du Seuil qui ont joué un rôle essentiel pour le faire connaître. Les Editions Philippe Picquier ont à leur catalogue « Le radis de cristal », « La joie » et plusieurs nouvelles.
(1) Global Times ; 22/10/2012.
(2) English.caixin.com ; 27/12/2012.
(3) Telegraph.co.uk; 18/10/2012.
(4) English.peopledaily.com; 18/10/2012.
(5) Chinese Cross Currents. April 2012. “Reading Chinese novels in the West”.
(6) Traduit d’une interview par Andrea Lingenfelter.
(7) Pierre Haski, « Cinq ans de Chine » p.31. Editions des Arènes, 2006.
(8) Rue 89 « De la dictature du Parti à celle du marché », 24/06/2009.
(9) New York Times 11/10/2012.
(10) English caixin.com, 30/11/2012.
(11) Le Monde.fr; 12/10/2012 ; Brice Pedroletti.
(12) AFP du 8/12/2012.
(13) Zhang Yinde, « La fiction du vivant, l’homme et l’animal chez Mo Yan », Perspectives Chinoises n° 2010/3.
(14) Nobelprize.org; « Ceux qui racontent des histoires » traduit par Chantal Chen-Andro.
(15) New York Review of Books (6/12/2012). Perry Link: “Does this writer deserve the prize?”
(16) Chinafile.com;”Politics and the Chinese language”. Perry Link; 24/12/2012.
(17) Chinafile.com; “What Mo Yan detractors get wrong”. Charles Laughlin; 12/11/2012.
(18) Anna Sun; “The diseased language of Mo Yan”; kenyonreview.org
« Il s’agit du premier prix Nobel pour un écrivain chinois »
Nonsense, Bernard! The first Chinese writer to receive the Nobel Prize for Literature was Gao Xingjian. Gao is Chinese, grew up in China, writes in Chinese and writes about his life in China; what else must he do to « be Chinese »?
It is one thing for the authorities in Beijing to reject his Chineseness because they despise his politics. But surely those of us living in a world where free thought is normal needn’t toe the Party Line?
Bruce
I am certainly not supporting the Party line, but I am interested in the Nobel complex which has been so well described by Julia Lovell (« The politics of cultural capital »).
In China, the joke about the three Nobel prizes show that many people have been clear about the Party politics.
Concerning Gao, the French authorities and some intellectuals have played an unpleasant game: Gao’s Nobel was mentioned as a « French » Nobel and the authorities accepted the Party’s blackmail when he was blacklisted in the Salon du Livre in Paris in 2004 where China was guest of honour.