Seize films adaptés d’œuvres littéraires vont être projetés pendant les huit prochains mois à l’Institut Confucius de l’université Paris Diderot, à la Halle aux Farines sur le campus de Paris Rive Gauche. Des séances gratuites le vendredi à 17 heures 30 et des films présentés par Luisa Prudentino, sinologue, professeur à l’Inalco, auteur du « Regard des Ombres » (Bleu de Chine, 2003) sur le cinéma chinois après la mort de Mao.
Ce programme a été conçu également par Marie-Claire Quiquemelle , ethnologue et sinologue, chercheur au CNRS et réalisateur de documentaires; son livre sur le cinéma chinois (1922-1984), édité en 1985 par le Centre Georges Pompidou, est un classique.
Le programme allie des films très connus, tels « Adieu ma Concubine » ou « Vivre » avec des œuvres beaucoup plus rares. Au mois de décembre, deux films que je vais avoir le plaisir de découvrir pour « Trois Destinées » (1949) (Three Girls) de Chen Liting et de revoir pour « Ma Vie » (1949) de Shi Hui.
« Three Girls » est projeté le 3 décembre d’après une pièce du célèbre dramaturge Tian Han (1898-1968). Le synopsis qu’en donne Marie-Claire Quiquemelle peut faire hésiter : « Shanghai 1944. Trois femmes aux destins bien différents: Jingmei, ouvrière dans une usine textile, est violée par deux soldats japonais puis renvoyée par son patron; son mari perd la vue en voulant la défendre contre des voyous. Pour le soigner et entretenir sa famille, il ne reste plus à Jingmei qu’a se prostituer. Liang Ruoying est belle et coquette. Après le départ de son mari pour le front, elle se remarie avec un collaborateur. Elle vit dans l’aisance mais n’est pas heureuse pour autant… »
Le dramaturge Tian Han est l’auteur de pièces réalistes qui ne sont pas traduites (1). Il est considéré comme le fondateur du théâtre moderne chinois. Déjà auteur d’une quinzaine de pièces de théâtre, il adhère en 1932 au Parti Communiste et multiplie alors scénarios de films et œuvres militantes au théâtre mais aussi chansons et notamment « La marche des Volontaires », l’hymne national chinois.
Il fut violemment persécuté pendant la Révolution Culturelle et mourut abandonné de tous en 1968.
« Ma Vie » de Shi Hui, d’après un des plus beaux textes de Lao She, nous raconte la vie d’un policier et du petit peuple de Pékin dans les tourmentes de l’histoire de la Chine . C’est un film magnifique, joué et mis en scène par un des très grands acteurs contemporains. Comme dit Marie-Claire Quiquemelle (p.107) « ce grand artiste, profondément attaché à la tradition de l’Opéra de Pékin, est devenu un remarquable interprète du théâtre moderne, puis un cinéaste important non seulement en tant qu’acteur mais aussi comme scénariste et réalisateur ».
De grands succès dans l’Opéra de Pékin où il sait interpréter tous les types de rôles; très célèbre à Shanghai, il joue de nombreuses pièces de théâtre jusqu’à la fin de la guerre. Un jeu très naturel pour un acteur qui sait se transformer et se grimer à la perfection.
Après 1945, il participe au Studio Wenhua où il joue dans treize films dont trois qu’il réalisa. « Ma Vie » est un grand film qui fut largement critiqué car la fin désespérée n’était pas en ligne avec « les lendemains qui chantent » promis par le nouveau régime.
En 1957, il est violemment attaqué pendant la campagne « anti droitière », on lui reproche avec des amis scénaristes d’avoir écarté des écrivains communistes et de critiquer les méthodes de Stanislavski, à l’époque un credo culturel du régime. De plus, il a mis en scène une pièce de théâtre politique de Lao She « Regardant du côté de Chang’an » où certains cadres sont critiqués mais où l’acteur a été peut-être trop applaudi ! A la veille de comparaître devant un second meeting, il disparaît et son corps aurait été retrouvé noyé dans une rivière. A t-il été « suicidé » comme Lao She, on ne le saura jamais…
Bertrand Mialaret
(1) sauf sa pièce la plus célèbre « Guan Honqing », traduite en anglais par le FLP de Pékin en 1961 et reprise dans « Chinese Drama, an anthology », édité par Edward M. Gunn. Indiana University Press. 1983.
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