Han Dong est quasiment inconnu en France, aucune de ses œuvres n’est traduite. Ce n’est pas le cas au Royaume Uni du fait des efforts d’une traductrice bien connue, Nicky Harman, qui a bien voulu répondre à nos nombreuses questions sur cet écrivain.
1/ Un père écrivain, une famille « envoyée à la campagne » :
Han Dong est né à Nankin en 1961, il est le fils de Han Jianguo (1930-1979) plus connu sous le nom de Fang Zhi, qui lui a permis de se faire apprécier pour ses nouvelles pendant le mouvement des « Cent Fleurs » en 1957. Il est Tao Peiyi, le personnage principal de la famille Tao, « envoyée à la campagne » en 1969. La vie de cette famille dans le petit village de Sanyu, près du lac Honze, est le sujet du premier roman de Han Dong « Banished », traduit par Nicky Harman qui a pu le faire publier par la University of Hawai’i Press (2009).
Han Dong prétend qu’il s’agit d’une œuvre de pure fiction. On n’est pas obligé de le croire tant le livre suit la vie de l’auteur. On pourrait parler de « littérature de reportage » car l’écrivain accumule les détails pratiques de l’installation de la famille au village, la construction d’une maison, d’un jardin, d’un petit poulailler…
Mais ce livre, contrairement à Liu Binyan par exemple, n’est pas de la littérature de dénonciation. L’approche est beaucoup plus subtile: le credo maoïste est pris en défaut, ce n’est pas la famille Tao qui apprend des paysans mais plutôt l’inverse. Le village est très arriéré et les efforts de Tao Peiyi et du grand-père pour s’intégrer, malgré leur volonté politique de le faire, ne sont pas toujours un succès.
Tao Peiyi et sa femme, qui est de fait un « médecin aux pieds nus », cherchent à éduquer les villageois dans de nombreux domaines; le responsable local du Parti s’y oppose et Tao Peiyi est radié du Parti pour avoir tenté une « usurpation de pouvoir » au niveau du village !
Un ton détaché, sans émotion ni volonté de dramatisation, pas mal d’humour et beaucoup de sympathie pour ses personnages, telles sont les qualités de ce livre; mais on n’ose écrire qualités littéraires car Han Dong n’a pas vraiment ce talent de transformation de la réalité que l’on peut trouver chez Mo Yan ou Yan Lianke…
Contrairement au personnage de Tao Peiyu, Han Dong ne cherche pas à être politiquement correct. Tao Peiyu plaide pour l’immersion dans la vie du village et pour une littérature au service de la politique et c’est une approche que le jeune Tao(p. 202) tout comme Han Dong rejettent. Mais pour le jeune Tao, « in his dreams, he has only one home and this was the mud-brick house designed and built by his father in Sanyu ». (p.238).
Un autre livre est le fruit de cette vie à Sanyu: “Screwed, metamorphosis of an educated youth” dont quelques chapitres ont été traduits par Nicky Harman(1). Le thème du livre est même annoncé dans « Banished » (p.127): le jeune Tao voit une affiche placée par les militaires où un jeune « envoyé à la campagne » est mis en accusation: « he has raped a brigade cow and has left her too prostrated to do the spring plowing. This was the busy season for the farmers and the urbling has sabotaged their work » (p.127).
2/ La poésie et le groupe “Rupture”:
Han Dong a commencé par écrire de la poésie et en 1982, il édite une revue « Hometown ». Puis il fut l’éditeur en chef de la revue Tamen qui parut de manière intermittente de 1985 à 1995 et fut relancée en 2002.
Le groupe « Duanlie » (cassure) a eu sur lui un grand impact: en mai 1998, Zhu Wen et Han Dong envoient un questionnaire à bon nombre d’écrivains en demandant leur opinion sur les écrivains connus, les professeurs, les critiques littéraires… Les réponses furent très négatives et demandaient des réactions. Comme le dit Zhu Wen(2) : « What we were doing was distancing ourselves from the establishment. Toward the end of the 90s many of us were gaining a reputation, and it was as if all those establishment figures were waiving to us “Come join us, come join us”! We could’nt stomach that thought and decided we had to cut ourselves off from them entirely”.
Les répercussions furent durables, Zhu Wen a arrêté d’écrire et Han Dong, qui aurait pu choisir une évolution plus lucrative que la littérature, est resté sagement à Nankin en dehors de la littérature officielle, tout en gardant des liens étroits avec Zhu Wen et Ou Ning.
Ses premiers poèmes sont dans la veine des « Misty poets » et de Yang Lian, mais en 1982, il adopte un style simple et ironique. Sa poésie est appréciée en Chine et un recueil, qui vient de paraitre, nous en montre les qualités: « A phone call from Dalian » (3). La poésie de Han Dong est simple avec des mots de tous les jours et comme dit Maghiel van Crevel « the power of Han Dong’s poetry lies not just in the rejection of formal or high registers…his word choice tallies well with the form of his poetry: free verse with short lines… »
Han Dong ne cherche pas à faire noble ou poétique: « I write poetry just as a roof- tiler gives no thought to who lives in the house whose roof he is covering…Poetry is not subordinate to purposes beyond itself”. Il récuse la tradition historique ou toute responsabilité sociale. Plutôt que le poème très connu “Of White Goose Pagoda”, on préfère “The chicken seller” (p.29
He’s got the knack for killing chickens quick, so
He became a chicken-seller, that way
He doesn’t need to kill people. Even though he acts
Calm and gentle, and never beats his wife
Taking off his wife’s clothes is just like plucking a chicken
Similar skills always overlap, just as
Cruelty and kindness are two sides of the same coin
He plucks, and she leisurely takes the money
And I feel that therein lies a kind of evil sweetness.
Enfin, dans Dix maximes sur la poésie, publiées sur le site web www.poetryinternationalweb.net il enfonce le clou : « Poetry is distinct from knowledge: it is the province of those in whom innocence has not yet vanished. Writers and readers communicate on the basis of innocence not knowledge. A good writer has no more right to speak about poetry than a good reader: the two are well matched in terms of the quality of their feelings. A good reader is definitely superior to an inferior writer.”
3/ Des nouvelles que sa traductrice fait connaitre:
Nicky Harman est l’auteur de nombreuses traductions de livres qui ont été des succès (Xinran, Hong Yin, Geling Yan, Zhang Ling…), elle joue un rôle important à Londres dans la promotion de la littérature chinoise et la formation des jeunes traducteurs. Quand Han Dong visita le Royaume Uni, elle organisa des débats avec d’autres auteurs. Elle traduit progressivement certaines de ses nouvelles qui sont très imaginatives.
« This Moron is dead » vient d’être publié dans un bon recueil de nouvelles “Shi Sheng. Short stories from urban China » (4): dix nouvelles dont l’action se situe dans dix villes chinoises et qui sont écrites par les écrivains nés dans les années 1960 et 1970.
Une autre nouvelle « Brand New World », a été traduite par Helen Wang et Nicky Harman et a été publiée sur le site www.paper-republic.org (28/3/2012) auquel elles collaborent activement toutes deux. Une nouvelle superbe inspirée par les suicides dans l’usine géante de Foxconn à Shenzhen.
D’autres textes sont en cours de traduction : « The Wig » qui est le sujet du prix Harvill Secker des jeunes traducteurs, ou « Gu Sieming-A life » par le groupe de lecture www.andotherstories.org . Les technologies modernes et internet, la « marketisation » de la littérature que dénonce Han Dong, ont des aspects positifs; comme il le souligne à l’English Pen, « only the market is powerful enough to stand up to the system…A rift has developed between them, giving independent writers space to eke out an existence ».
Bertrand Mialaret
(1) http://www.asiancha.com/content/view/856/305
(2) “Broken” by Eric Abrahamsen http://wordswithoutborders.org/article/broken/
(3) Han Dong “A phone call from Dalian”, édité par Nicky Harman. Plusieurs traducteurs et une présentation, de Maghiel van Crevel et Nicky Harman. 2012.Zephyr Press et The Chinese University Press of Hong Kong.
(4) “Shi Cheng, short stories from urban China” edited by Liu Ding, Carol Yinghua Lu and Ra Page. Comma Press 2012.
Stop Press: Ann Morgan has chosen BANISHED! as her Chinese novel, in her Year of Reading the World – and it gets a great write-up too. http://ayearofreadingtheworld.com/2012/11/29/china-one-in-1-3-billion/
Very pleased to spy Han Dong on your substantial (and enjoyable) site. I believe you will short cut me to many more intriguing writers like Mr Han. My thanks (from the UK)!