Xu Zechen n’a pas encore quarante ans et est considéré comme un des écrivains les plus prometteurs de cette génération. L’un de ses romans « Running through Beijing » (1), vient d’être traduit en anglais et sera publié en français en 2016. Un livre plutôt plaisant qui se lit facilement et où l’on rencontre dans les quartiers nord de Pékin divers petits trafiquants, des marginaux plutôt ..heureux !
1 – Dunhuang, avec un tel nom, on ne peut qu’être moral :
Le personnage principal a été ainsi nommé par son père qui lisait un article du Quotidien du peuple au sujet des grottes bouddhiques de Dunhuang. Il vient de sortir de prison après trois mois; son ami Bao Ding, pris en même temps que lui dans un trafic de faux papiers, n’a pas été relâché.
Dunhuang rencontre Xiaorong, une vendeuse de DVD piratés, qui vient de se brouiller avec son petit ami Kuang Shan. Il s’installe avec elle et commence avec succès à écouler des DVD; il s’adapte très vite et développe le commerce des DVD porno beaucoup plus rentables.
Kuang revient, Dunhuang partage un appartement avec des étudiants, ses meilleurs clients. Il recherche Qibao, l’amie de Bao Ding, elle aussi dans le trafic de faux papiers. Il la retrouve, couche avec elle mais elle refuse qu’ils vivent ensemble. La police prétend lutter contre les DVD pirates, Kuang Shan est arrêté mais bien vite relâché après divers paiements …
Dunhuang économise pour faire sortir Bao Ding. Cela ne servira pas car Bao Ding a protégé un détenu bien connecté et sera libéré en même temps que celui-ci. L’argent sera utilisé pour faire sortir Qibao, arrêtée pour prostitution. Dunhuang et elle vont vivre ensemble mais pour peu de temps et ce sera Kuang Shan, marié avec Xiaorong enceinte, qui aura de nouveaux ennuis…
2- Des petits trafiquants plutôt …heureux :
La fidélité en amitié est essentielle, on ne laisse pas tomber des partenaires, des amis. De ce point de vue, Dunhuang est très moral, trop lui dit Bao Ding qui considère qu’il se débrouillera pour sortir de prison ou pour y rester…
Avec les femmes, la situation est moins claire; Xiaorong vit quelque temps entre Dunhuang et Kuang Shan. Quant à Qibao, Bao Ding ne reproche pas à Dunhuang ses relations avec elle mais de ne pas être intervenu pour qu’elle arrête de se prostituer.
Dunhuang est tendre sans être romantique. Il a été très attaché à Xiaorong mais regrette que celle-ci ne pense qu’a retourner dans son village; il l’aidera quand il le faudra. Il est très amoureux de Qibao qui le manipule et lui cache sa double vie. Les périodes heureuses vécues ensemble sont plus importantes que tout et il n’y a pas de violence dans les relations entre Dunhuang et les deux femmes; un élément qui, peut être, favorise l’identification du lecteur occidental.
Ces petits trafiquants nous surprennent par leur sens des affaires, leur capacité à s’adapter et à développer leur clientèle. Dunhuang va même jusqu’à acheter un vélo (volé) pour livrer une jeune femme qui ne lui achète que périodiquement un DVD. Quand son propre vélo est volé, il livrera en courant, d’ou le titre du roman.
Ce sont des gens ordinaires qui sont venus de leur campagne tenter leur chance à Pékin; des petits trafiquants mais pas de vrai banditisme. Pas de réalisme excessif, pas de misérabilisme; la vie à Pékin est dure mais elle a de bons côtés. Ce devrait être un livre déprimant mais c’est tout le contraire; on ose l’écrire, ils semblent plutôt heureux.
Pékin n’est pas le héros du livre mais ces quartiers de Zhongguancun au nord de Pékin jouent un rôle important: bureaux, petits marchés qui entourent les universités. La corruption, les trafics; les escroqueries sont partout présentes. C’est un fait, la corruption de la police est traitée comme allant de soi. Aucune volonté de dénonciation, aucun intérêt pour la politique, le mot Parti n’est même pas prononcé ! Le roman et c’est une de ses qualités, ne recherche pas le spectaculaire ni dans le développement de l’intrigue, ni dans les personnages ou leur environnement.
L’analyse des cinq personnages est bien menée et assez fouillée, leur comportement nous explique leur caractère. Par contre les personnages secondaires sont parfois abandonnés sans explication; on ne saura pas ce qu’il advient de l’acheteuse de DVD que Dunhuang livre en courant ! Les personnages et les situations sont simples, le style également. La traduction de Eric Abrahamsen se lit avec plaisir et l’on apprécie l’humour de certains passages et le ton détendu des dialogues.
Xu Zhechen, un écrivain prometteur ?
Un petit roman (160 pages) et quatre nouvelles traduites, c’est peu de chose pour avoir une opinion mais la presse est très élogieuse. Il est né il y a 38 ans dans le nord de la province du Jiangsu. Une enfance à la campagne puis un diplôme de littérature chinoise à l’université de Pékin. Il avait auparavant enseigné pendant deux ans et commencé à écrire des nouvelles. Il travaille comme éditeur pour la célèbre revue « Littérature du Peuple » et a séjourné deux fois aux Etats Unis notamment en 2010 à l’université de l’Iowa.
Quatre romans et un nombre important de nouvelles, qui pour certaines sont liées à des souvenirs d’enfance. Parfois des cauchemars comme dans « Throwing out the baby » (2) : deux enfants attrapent des grenouilles près d’un cimetière où des bébés sont abandonnés; son ami Xiaomao n’est pas concerné par la mort de ces bébés mais le narrateur est très perturbé.
« Galloping horses » (3) est dans un registre plus léger: comment se faire prêter un cheval que l’on rêve de monter, en abandonnant volontairement la surveillance d’un champ de pastèques ? Mais le père d’un des enfants va rentrer plus vire que prévu et la fessée sera sévère…Ces souvenirs liés à la campagne sont bien écrits, simples, classiques sans guère de tension ni de chute. Mais l’auteur semble plus à l’aise dans ce registre que dans ses nouvelles « urbaines ».
« Wheels are round » (4) est une phrase de ponctuation, de commentaire que repéte un chauffeur qui n’a pu s’adapter au métier de batelier et divorce d’avec la fille du propriétaire du bateau. Après quatre ans de prison pour avoir écrasé un passant, il trouve un travail dans un garage et se construit avec des pièces dépareillées, une voiture « l’Etalon » qui impressionne les clients et pour laquelle le patron a un acheteur. Tout cela finira mal mais l’auteur ne se prend pas au sérieux et l’on apprécie le rythme de la narration.
Ce n’est pas le cas avec « A brief history of time » (5) où un cadre commercial qui abuse de l’alcool est pris dans le tremblement de terre de mai 2008 au Sichuan. Une dalle de béton le protège; il a peur, il souffre et surtout il a soif. Il remonte le cours de sa vie jusqu’à sa petite enfance. Ce n’est pas très original; les évènements politiques sont totalement escamotés qu’il s’agisse de juin 1989, de la Révolution Culturelle…
Son dernier roman « Jerusalem », publié en 2014, est beaucoup plus ambitieux; il sera ultérieurement traduit en français. Xu Zechem aura alors quarante ans, le bel age…
Bertrand Mialaret
(1) Xu Zechen, « Running through Beijing », traduction Eric Abrahamsen. Two Lines Press, 2014.
(2) Xu Zechen, “Throwing out the baby” (2005), traduit par Nicky Harman.
http://wordswithoutborders.org/article/throwing-out-the-baby/
(3) Xu Zechen, “Galloping horses”, traduit par Helen Wang.
http://www.theguardian.com/books/2012/apr/12/galloping-horses-xu-zechen-short-story
(4) Xu Zechen “Wheels are round”, traduit par Eric Abrahamsen. “Short stories from Urban China”, edited by Liu Ding, Carol Linghua and Ra Page. Comma Press 2012 (p. 115 à 136).
(5) Xu Zechen, « A brief history of time », traduit par Eric Abrahamsen.
http://en.chutzpahmagazine.com.cn/EnMagazineTextDetails.aspx?id=83
Xu Zechen est traduit en français chez Philippe Rey : « Running through Beijing » = « Pékin Pirate »