Avec Lao She et Lu Xun, Shen Congwen est sans doute l’un des grands écrivains du siècle précédent, mais contrairement à ses deux contemporains, on a arrêté de le publier, il est au purgatoire
Un illustre grand père qui fut général, un père médecin militaire mais surtout absent. Miao par sa grand mère et Tujia par sa mère, Shen Congwen se dit Han mais se rêve Miao. Toute son œuvre témoigne de sa fascination pour cette ethnie Miao, souvent méprisée, mais pleine de vitalité, d’énergie, alors que la culture Han de la fin de l’empire n’est plus créative. Sens du sacré, du beau, de l’amour, contre un Confucianisme urbain trop codifié, ces thèmes nourriront nombre de ses nouvelles.
Shen se présente dans son « Autobiographie », écrite en 1931 (1), comme un élève indiscipliné, dans une famille plutôt pauvre; sa maison familiale est d’ailleurs assez modeste…Il nous conte son goût pour la campagne, l’eau et les rivières, les travaux des artisans…
Après des études courtes, il s’engage dans l’armée, ce qui nous vaut des récits impressionnants de campagnes de pacification avec leurs massacres inutiles; mais jusqu’à la fin de sa vie, il vantera la qualité de certains personnages, bandits ou officiers, qu’il put côtoyer.
La violence des luttes entre « seigneurs de la guerre », le prix payé par les populations civiles au Hunan ou ailleurs quand le pays est divisé, est une composante essentielle des réactions populaires et explique souvent bien des positions politiques ou diplomatiques…
« Le petit soldat du Hunan – Autobiographie » est l’un des livres les plus plaisants de Shen : des portraits, des dialogues, des rebondissements, des interrogations…c’est en fait l’autobiographie d’une région très attachante.
Ce genre littéraire est peu représenté en Chine mais se signale par quelques textes superbes et notamment « Six récits au fil inconstant des jours « de Shen Fu (1763-1825? ) , traduit par Pierre Ryckmans et qui vient d’être réédité chez JC Lattès.
1/ Un écrivain régional à vocation universelle :
Il quitte l’armée à vingt ans, car l’avenir est dans les villes; il rejoint Pékin mais faute d’un niveau de formation suffisant, ne peut entrer à l’université. Il commence à écrire et quelques amis l’aideront à être publié dès 1924. Il devient l’éditeur du supplément littéraire d’un journal de Tianjin et en 1929 est nommé professeur de littérature dans un Institut sans être diplômé.
Quelque années plus tard, il épouse une de ses élèves, Zhang Zhaohe, qu’il courtisait depuis longtemps. Certaines lettres de ce mariage de cinquante années viennent d’ailleurs d’être traduites par Li Yiyun dans la revue littéraire « A public space »
La littérature doit influencer l’évolution sociale, il se veut partie de l’avant garde littéraire et va inventer une littérature régionale que vont nourrir ses souvenirs de Fenghuang, les dialectes, les contes, les plantes et les animaux de sa région natale. Des thèmes universels vont suivre . Enfin cette région devient une « communauté morale » qui permet une évaluation critique de la Chine moderne.
Il se sert des mœurs Miao, des chansons, des « cours d’amour » pour « pimenter » la partie sentimentale de ses nouvelles en soulignant l’aspect libre de l’amour dans les montagnes opposé aux traditions confucéennes et notamment au sort réservé aux veuves à qui l’on interdit toute liaison.
Ses nouvelles, qui sont au cœur de son œuvre, ne sont traduites qu’en Anglais par Jeffrey Kinkley qui a écrit également une biographie de l’auteur où nous avons largement puisé. En Français, l’on doit à Isabelle Rabut, professeur à l’INALCO, la traduction de trois textes et notamment de son roman le plus célèbre « Le passeur de Chadong » (1). La « ville frontière » de Chadong est une ville Han dans une zone Miao mais le roman n’est pas aussi précis . Rien de réaliste ni dans l’intrigue ni dans les personnages : l’héroïne Emeraude qui grandit et son grand père qui se rapproche de la mort. Des allusions aux émotions sexuelles de l’héroïne seront plus tard reprochées à l’auteur. Les marxistes quant à eux, soulignent son incapacité à l’analyse en termes de lutte des classes ! Pauvre Emeraude, courtisée par deux frères; ce roman est un beau texte avec une glorification de la nature et de l’amour mais où certains personnages restent assez schématiques.
2/ Attaqué de tous côtés, il choisit de se taire :
Ses relations avec l’«Union des écrivains de gauche » étaient assez mauvaises: il reprochait à Lu Xun la promotion exclusive des écrivains de sa province…Quant à ses amitiés étroites avec des écrivains communistes (Ding Ling et Pa Kin), elles ne lui servirent en rien quand il fut attaqué par des girouettes politiques telles Guo Moruo. Les communistes lui reprochaient son absence d’analyse politique et une tendance à l’art pour l’art.
Ses relations exécrables avec les nationalistes de l’entourage de Chiang Kai-shek et le Kuomintang (KMT) ne le dédouanèrent pas. Il détestait ce fascisme rampant appuyé sur les Américains et certains groupes chrétiens. Plusieurs de ses textes et notamment son roman « Le long fleuve » (non traduit) furent dépecés par la censure. Plus tard, à Taïwan, où se réfugièrent les nationalistes, ses œuvres furent totalement interdites.
S’étant rapproché des communistes pendant la guerre contre le Japon, il refusa toujours d’écrire de la « littérature patriotique » ; il craignait les excès possibles d’une révolution sociale et le contrôle politique sur les écrivains.
Il est de plus en plus isolé et l’évolution de sa région natale, où la corruption et les militaires règnent, le déprime un peu plus. En 1948, il arrête d’écrire. Après une tentative de suicide, il quitte l’université, guide des visites pour le public au Musée National d’Histoire et écrit son autocritique !
Néanmoins, il peut poursuivre recherches et publications sur les antiquités et travaille plusieurs années à un ouvrage sur le costume chinois avec le soutien des autorités. Cela ne lui épargnera pas des persécutions pendant la Révolution Culturelle qu’il subira comme tant d’autres intellectuels.
C’était le début d’un purgatoire que sa mort en 1988 n’a pas interrompu ; souhaitons lui une renaissance posthume à la manière d’Eileen Chang dont le succès en Chine auprès des jeunes générations est spectaculaire !
Bertrand Mialaret
(1) « Le petit soldat du Hunan- Autobiographie » et « Le passeur du Chadong » sont traduits par Isabelle Rabut et publiés chez Albin Michel.
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