Lao She (1899-1966) est un de mes écrivains préférés, c’est pourquoi je n’ai pas trop attendu pour lire « Lao She in London » (1) de Anne Witchard, maître de conférence au Département Anglais de l’université de Westminster. Un bon livre qui apprend peu sur Lao She mais beaucoup sur l’influence de la Chine sur les avant-garde londoniennes de l’époque et surtout sur l’obsession du « péril jaune ».
Londres, une étape importante:
Lao She, né dans une famille mandchoue pauvre, élevé par sa mère, suit l’Ecole Normale grâce à un de ses oncles et sort instituteur à 19 ans. En 1922, il est baptisé et deux ans plus tard obtient un poste à l’Ecole d’Etudes Orientales de l’Université de Londres sous les auspices de la London Missionary Society (LMS).
Il est un professeur de Chinois apprécié dont le supérieur est Reginald F. Johstone (2), l’homme qui fut le précepteur de Pu Yi, le dernier empereur. Il retrouve à Londres quelques amis chinois et souffre du climat et de la nourriture anglaise. Mais il va partager pendant trois ans un appartement avec un personnage étonnant, Clement Egerton, qui deviendra un ami. Il traduira avec lui le grand roman « Jin Ping Mei » mais ne le mentionnera pas compte tenu du caractère pornographique de certains passages.
Il vivra ensuite dans une pension près de Russel Square puis chez un couple anglais qui lui servira dans son roman « Messieurs Ma père et fils » (3)
A Londres, ses trois premiers romans:
C’est à Londres qu’il écrira successivement en 1926 « La Philosophie de Lao Zhang » (également traduit par Claude Payen) puis Zhao Ziyue et en 1929 « Messieurs Ma père et fils ». Ce dernier livre a été traduit également en anglais et publié à Hong Kong en 1984. Curieusement Anne Whitchard ne mentionne qu’une traduction non publiée dont elle annonce une parution prochaine chez Penguin.
« Messieurs Ma… » est un des bons romans de Lao She, une satire assez féroce des Anglais mais aussi de certains traits de caractère de l’ancienne génération chinoise. Il faut se référer à un texte de grande qualité, malheureusement introuvable, la traduction par Paul Bady de « Mon expérience littéraire » que Lao She publiera en 1937. Cette traduction (PUF 1974) est accompagnée de 80 pages du traducteur sur la biographie de Lao She.
Dans un chapitre de ce livre « Comment j’ai écrit Messieurs Ma « , Lao She nous dit: « quant aux Anglais, je n’ai pas réussi à leur donner la moindre consistance humaine. Le patriotisme étroit qui les caractérise est à l’origine de tous leurs crimes. Ils ne manifestent que des préjugés et respirent l’ennui…Mon attention s’est concentrée sur les rapports qui les unissent à leur pays ».
Il garde un mauvais souvenir des missionnaires qu’il a beaucoup côtoyés en Chine et qui intervenaient beaucoup trop à son goût dans la marche de l’Eglise. Il s’en souviendra dans le portrait du Révérend Evans: « Il priait le Seigneur pour qu’il fit tomber la Chine dans le giron de l’Empire Britannique. S’adressant à Dieu, il disait « Si les Chinois ne sont pas pris en charge par les Anglais, comment ces êtres à peau jaune et aux cheveux noirs pourront-ils espérer accéder au Royaume des Cieux » (p.21).
Le livre de Anne Witchard analyse rapidement la carrière littéraire et politique de Lao She jusqu’à sa mort qu’elle attribue à un suicide: « Lao She chose instead to go to Taiping Pond and drown himself » (p.135). On ne peut croire qu’elle n’a pas eu connaissance des controverses sur la mort de Lao She, des déclarations notamment de sa femme qui exclut la possibilité d’ un suicide. Même Ba Jin, dont on connaît la prudence politique, écrit en 1979 qu’il ne sait toujours pas s’il s’agit d’un suicide ou d’un assassinat!
Modernisme littéraire et « péril jaune » :
C’est dans ces domaines que l’on lit avec intérêt le livre de Anne Witchard. C’est d’ailleurs par ses études sur Limehouse, le Chinatown de Londres, qu’elle a découvert Lao She en recherchant une opinion chinoise qui puisse rendre justice de tous les documents, livres, films, articles, qui alertaient les Anglais dans les années 1920 sur « le péril jaune ».
Ses commentaires sur le journaliste Thomas Burke et ses « Tales of Chinatown », qui s’inquiétaient des risques de corruption de la nation anglaise par la Chine, sont fort intéressants. Tout comme son analyse des livres de Sax Rohmer et de son héros , le Docteur Fu Manchu (4), un Chinois d’une intelligence et d’une cruauté hors du commun qui menace la civilisation !
Puis le film « Piccadily » en 1929, renforce l’image d’un trafic de drogue organisé par la communauté chinoise. Les protestations chinoises sont nombreuses mais qui s’en soucie à l’époque !
Mais en même temps, l’avant garde intellectuelle de Londres et notamment le groupe de Bloomsbury manifeste un grand intérêt pour la Chine et sa civilisation. Poésie où le rôle d’Ezra Pound est bien connu ; confucianisme souligné par Allen Upward qui eut aussi une grande influence sur Ezra Pound. L’impact de l’art chinois et notamment via Laurence Binyon, sont également importants.
La mode même s’inspire de l’Orient et de la Chine; le style de Paul Poiret à partir de 1911 après Paris est adopté à Londres. De même en matière de décoration, la Chine et les « chinoiseries » sont à l’honneur.
Dans tous ces domaines, le livre d’Anne Witchard apporte beaucoup d’éléments et nous montre que les quatre années passées à Londres sont une étape essentielle dans la carrière d’un grand écrivain.
Bertrand Mialaret
(1) Anne Witchard, « Lao She in London ».Hong Kong University Press. 2012, 170 pages.
(2) Mentionné dans la biographie de Britt Towery “Lao She, China’s Master Storyteller”. The Tao Foundation, 1999.
(3) Lao She, “Messieurs Ma père et fils”, traduit par Claude Payen, préface de Paul Bady. Editions P. Picquier, 2000, 330 pages.
(4) Trois romans de Sax Rohmer ont été récemment publiés dans une nouvelle traduction chez Zulma. Etonnant, des romans pour la plage…qui se lisent avec plaisir.
PS: Précisions le 7/8/2013
« Mr Ma and Son », traduit par William Dolby avec une introduction par Julia Lovell, est publié en Août dans la collection Penguin Modern Classics.
Ce même éditeur publie le mois prochain « Cat Country » de Lao She , traduit par William A. Lyell et une introduction de Ian Johson. Une bonne nouvelle car ce livre était quasi introuvable en français et en anglais.
Ce n’est pas un de mes romans préférés d’un point de vue littéraire, c’est un ouvrage de science fiction, son seul roman directement politique et à ce titre très intéressant.