Un excellent roman de science fiction politique et sociale a été traduit en anglais cet été avec une intéressante préface de Julia Lovell sous le titre « The Fat Years » (1). La traduction française (« Les années fastes ») sera publiée chez Grasset au début de l’an prochain.
L’auteur Chan Koonchung était l’invité d’une rencontre organisée à Paris par le CERI (Centre d’Etudes et de Recherches Internationales) de Sciences Po et Rue89. Le débat animé par Pierre Haski, Directeur de la publication de Rue89 et Jean-Philippe Béja, chercheur au CERI, a permis à Chan Koonchung de préciser certains de ses thèmes mais aussi l’impact de son livre.
Une vie à Pékin, un roman interdit…
Le livre publié à Hong Kong fin 2009 puis à Taiwan a été rapidement interdit en Chine. Les éditions pirate ont suivi mais surtout sur internet où l’auteur a piraté son propre éditeur en laissant une version accessible gratuitement…Le buzz sur internet a été important et l’auteur a pu présenter son livre à l’étranger: une émission de radio avec Bi Feiyu à Londres puis au salon du livre à Singapour.
L’auteur explique qu’il est prudent et qu’il n’est pas au centre d’une mobilisation comme Ai Weiwei et peut-être bientôt Murong Xuecun qui vient de se signaler à Oslo par un discours très critique.
Chan est surtout connu pour ses activités d’édition et c’est son premier roman. Il est né à Shanghai mais a été éduqué dans le système anglais de Hong Kong où ses parents s’étaient réfugiés. Il vit maintenant à Pékin, pour lui une ville fascinante qu’il décrit dans son livre.
Comme dit Old Chen (bien proche de l’auteur) en citant Lu Xun « In a good hell, people are aware that they are living in hell and so they want to transform it, but after living for a long time in a fake paradise, people become accustomed to it and they actually believe that they are already in paradise »(p.161) . Tout est dit…
L’enfer ou le paradis :
En 2013, la Chine assure le leadership économique du monde après une nouvelle crise financière et l’écroulement du Dollar; la population jouit de la prospérité et manifeste un sentiment euphorique mais aussi une amnésie collective sur des évènements politiques d’une grande violence qui se sont déroulés pendant un mois. Seuls quelque individus, Old Chen et son amour de jeunesse Little Xi (devenue une activiste d’internet), sont obsédés par ce trou de mémoire collectif.
La première partie du livre nous présente les différents personnages et la belle vie à Pékin ainsi que les intellectuels choyés par le pouvoir qui vivent bien et sont euphoriques.
C’est l’un des intérêts de ce livre que cette description des intellectuels, rare dans la littérature chinoise contemporaine. Il y a bien cependant « La Capitale Déchue « de Jia Pingwa ou « Le Bain » de Yang Jiang…
« Les Années Fastes » se lit avec plaisir, les portraits sont vivants et si l’on connaît un peu Pékin, on y retrouve nombre d’endroits familiers.
Dans la deuxième partie, Old Chen et ses amis recherchent Little Xi dans plusieurs provinces où ils découvrent la condition des paysans et les expropriations de terres, le développement très rapide du protestantisme (officiel et caché), les écarts stupéfiants de niveau de vie, le contrôle du Parti (les livres de Yang Jiang n’existent plus dans les fichiers des librairies.. !)
Le modèle chinois…
Le groupe s’empare de He Dongshen, une de leurs relations mais aussi un membre du Bureau Politique, qu’ils obligent à parler. Il va leur expliquer pendant une quarantaine de pages pourquoi les massacres de Tiananmen de 1989 ont été oubliés et comment plus tard le pouvoir a organisé une crise majeure pour que la population accepte la dictature: « In a moderately well-off society, the people fear chaos more than they fear dictatorship » (p.248)
Un modèle chinois est alors développé, combinant un contrôle du pouvoir et une politique économique très libérale centrée sur la demande intérieure. De même He Dongshen explique la politique étrangère mise en place, souvent orientée par les besoins du pays en matières premières.
Enfin il justifie avec cynisme le monopole du Parti qui veut préserver son propre pouvoir, ce qui exclut toute réforme mais évite aussi les risques d’une dérive nationaliste et fasciste . Comme dit He Dongshen « even if we are fascists, we are only in the early ages of fascism now » (p.283). Il va enfin leur révéler le secret de l’euphorie ambiante…
Cette interrogation fort pessimiste de l’auteur sur le modèle chinois est bien sur préoccupante pour la planète; les risques de dérive peuvent être approfondis en lisant un bon article de Zhansui Yu dans « The China Beat ».
Bertrand Mialaret
Photo : Chan Koonchung à Paris le 11/21/2011 (BM)
(1) Chan Koonchung, “The Fat Years”, traduit du chinois par Michael S. Duke- Doubleday 2011.