Qiu Xiaolong est un écrivain qui a toujours veillé à se renouveler. Il est certes célèbre pour les enquêtes policières de l’inspecteur Chen Cao, traduites dans une vingtaine de langues et vendues à deux millions d’exemplaires, mais pour lui, la poésie est une part essentielle de son œuvre.
Poèmes de l’inspecteur Chen glissés dans ses romans, traductions de poèmes chinois classiques, publication de ses recueils de poèmes dans la prestigieuse revue China Literature Today ou, il y a deux ans, dans un excellent recueil publié par Liana Levi, son éditrice en France, offert aux lecteurs de « Il était une fois l’inspecteur Chen », un livre hybride sur la jeunesse de Chen, une enquète policière et des nouvelles qui nous rappellent la merveilleuse série de la « Cité de la poussière rouge ».
Qiu Xiaolong sera à Paris au début du mois de novembre pour présenter sa dernière enquête, « Chine, retiens ton souffle » (1) Puis à Mons, en Belgique, où il rencontrera He Jiahong, un brillant professeur de droit à Pékin, également auteur de romans policiers.
– Comment « accrocher » ses lecteurs avec un sujet ardu, la pollution :
Pour Qiu Xiaolong, c’est avec le contrôle politique, un de ses thèmes majeurs. Il a écrit en 2009 « Les courants fourbes du lac Tai » sur la pollution de l’eau, un livre qui présente des liens avec sa nouvelle enquête sur l’air meurtrier en Chine.
On retrouve Shanshan, l’amour de Chen Cao autour du lac Tai, qui, mariée à un industriel, est devenue une activiste très suivie sur le net. Le camarade Zhao, un haut dignitaire du Parti, demande à Chen de se renseigner sur cette jeune femme. Cette mission éloigne Chen de son adjoint Yu et d’une enquête sur une série de meurtres à Shanghai.
Le livre va nous mener d’une enquête à l’autre de manière très habile et nous rappellera par de nombreux flashbacks l’aventure amoureuse et les poèmes que Chen a consacrés au lac Tai.
On retrouve certains personnages des livres précédents et notamment ceux que Chen a aidés et qui vont cette fois lui sauver la mise (l’informaticien Menlong ou Qiang de La Revue Littéraire de Shanghai). Les enquêtes de Chen vont lui faire découvrir un film documentaire sur la pollution de l’air tourné par Shanshan et financé par des industriels.
Quant aux crimes de Shanghai, Chen va aider Yu de manière décisive : il faut rechercher les éléments communs autour de ce que peuvent être des crimes en série, il se souvient de l’assassin et des robes rouges (qipao) dans « De Soie et de Sang ».
– Les plaisirs traditionnels : poésie et gastronomie
Le long poème « Ne pleure pas lac Tai », traduit avec grand talent par Adélaïde Pralon, joue un rôle dans l’intrigue. On peut le découvrir dans son intégralité dans le petit recueil publié en 2016 (2).
Peu de poèmes de Li Changyin (812-858), l’un des poètes préférés de Chen, mais on peut lire un très beau poème de Qiu Xiaolong « Version anglaise de Li Shangyin 1 et 2 » (2).
L’auteur cite assez rarement des poètes modernes ; ici dans la dernière lettre de Shanshan, un court poème de Xu Zhimo (1897-1931), un poète célèbre pour ses œuvres et ses aventures romantiques.
« Nuage dans le ciel, étourdi, je jette Nous nous sommes rencontrés sur la mer nocturne
une ombre sur la vague de ton cœur tu as ta destination et moi la mienne ,
ne soit pas si surprise si tu t’en souviens, très bien,
ne soit pas si transportée… mais tu devrais oublier
Tout disparait en un instant la lumière allumée par la rencontre ».
Chen est un gastronome, ses enquêtes sont épicées d’évocations de repas et de plats étonnants, une lecture qui donne faim ! Peiqin, la femme de Yu, prépare des plats pour un restaurant mais surtout pour son mari et parfois pour Chen à qui elle apporte souvent de l’aide. L’évocation par mail de recettes de cuisine peut être un moyen de communiquer discrètement…
La littérature est souvent au service de la gastronomie et Peiqin a trouvé la recette préférée de son mari « dans une nouvelle de Wang Zengqi (1920-1997), un écrivain récemment redécouvert » (3). La gastronomie peut même être le sujet unique d’un roman comme par exemple l’excellent « Vie et passion d’un gastronome chinois » (4) du grand écrivain Lu Wenfu.
– Traditions et critique politiques :
Les traditions et l’hommage rendu aux défunts jouent un rôle important dans ce roman. Dans la tradition bouddhique, les cycles de 7 jours sont essentiels jusqu’à la renaissance après 49 jours ; à chaque étape de 7 jours, offrandes et prières doivent intervenir.
Le Parti communiste fait aussi partie des traditions, son rôle est directement évoqué. La position du Parti est intenable : une campagne anti-pollution radicale est demandée par la population mais cela freinerait la croissance qui légitime la position du Parti. De plus, « le Parti professe depuis des années que le droit des peuples à vivre est plus important que les droits humains prônés par les sociétés occidentales. Mais qu’en est-il du droit à un air propre, à une eau potable, à une nourriture saine ? » (p.167).
Pour Shanshan, « les gens ne croient plus à rien…Donc le problème n’est pas seulement la pollution de l’eau, de l’air ou des produits alimentaires, c’est aussi la pollution des esprits » (p.146).
– Pollution de l’air, un problème essentiel :
La lutte contre la pollution est un objectif politique central depuis cinq ans. Comme dit le Premier Ministre Li Queqiang, c’est l’une des trois batailles de 2018 : pollution, pauvreté, désendettement. L’époque où le gouvernement niait les chiffres de l’ambassade des Etats Unis à Pékin sur les particules fines (2,5 microns) parait lointain pourtant l’épisode du film « Under the Dome », qui a été une source du roman, date de février 2015.
Ce documentaire a été autofinancé par une vedette de la télévision chinoise Chai Jing ; le film a été vu 300 millions de fois sur internet avant d’être retiré sept jours après son lancement. Le film critique vigoureusement les sociétés d’Etat dans le domaine de l’énergie, de l’acier et l’incapacité du Ministère de la Protection de l’Environnement à lutter contre les gros pollueurs.
De plus Chai Jing a ému le public : une tumeur due à la pollution chez sa fille pendant sa grossesse qu’il a fallu opérer immédiatement après la naissance.
Au début, de nombreux officiels ont soutenu le documentaire ; l’interdiction est venue du Parti qui craignait, vu le succès du film, des réactions collectives demandant des changements de législation.
L’impact actuel de la pollution de l’air est alarmant : 730000 nouveaux cas de cancers du poumon chaque année ; des types de cancer qui touchent maintenant en majorité les femmes et les non-fumeurs. L’impact des particules fines parait prouvé. On parle moins de la pollution à l’ozone qui pourtant a un impact considérable sur les rendements agricoles en réduisant la photosynthèse donc la croissance des plantes.
L’avantage d’une dictature est qu’elle peut agir rapidement en fermant des usines près des grandes villes et en interdisant le chauffage au charbon. La conversion forcée au chauffage au gaz a été menée en urgence pour des millions de foyers entrainant des pénuries de chauffage et des crises sociales.
Les purificateurs d’air se multiplient et sont achetés par ceux qui peuvent investir. C’est maintenant un appareil courant à Pékin et dans les grandes villes. Plus spectaculaire est le purificateur géant de la ville de Xian : une tour de 100 mètres de haut qui filtre les particules et permet d’améliorer la qualité de l’air dans une zone de 10 km2.
La politique du gouvernement a obtenu des résultats, ils ne sont certes pas suffisants mais sont-ils durables compte tenu des risques de freinage de l’économie chinoise à la suite du conflit commercial avec les Etats Unis ?
Bertrand Mialaret
(1) Qiu Xiaolong, « Chine retiens ton souffle », traduit par Adelaïde Pralon. Editions Liana Levi, 2008, 250 pages, 19 euros.
(2) « Il était une fois Qiu Xiaolong », portrait de l’auteur et 28 poèmes de l’inspecteur Chen. Liana Levi 2016, 90 pages.
(3) Aucune traduction en anglais, mais deux bons livres traduits en français : « Initiation d’un jeune bonze », Panda,1989 et « Trois amis de l’hiver », traduit par Annie Curien P.Picquier 1989.
(4) Lu Wenfu, « Vie et passion d’un gastronome chinois », traduit en français par Annie Curien et Feng Chen, P. Picquier 1988.