Henning Mankell, la « star » du roman policier suédois devait être l’invité d’honneur de la Fête du Livre d’Aix en Provence du 9 au 11 octobre dernier et dialoguer avec plusieurs écrivains dont Qiu Xiaolong. Le décès d’Henning Mankel le 5 octobre a bouleversé le déroulement de ce Salon du Livre d’Aix, organisé par l’association « Les Ecritures Croisées » sous la direction d’Annie Terrier. Une Fête du Livre qui, avec l’Université de Aix-Marseille, depuis de longues années, a fait connaître Aix à nombre de grands écrivains dont Gao Xingjian et Mo Yan.
Qiu Xiaolong et le roman policier nordique:
Un débat passionnant entre deux auteurs de roman policier n’a pu avoir lieu, mais l’évocation de l’œuvre et du personnage de Mankell par les participants a touché un très nombreux public.
Mankell s’est intéressé à la Chine moderne, notamment à son action en Afrique avec « Le Chinois » (2008)(1). Qiu Xiaolong comme Mankell sont des romanciers pour lesquels l’éclairage historique, sociologique, politique, est au moins aussi important que l’intrigue purement policière.
L’intérêt de Qiu Xiaolong pour le roman policier suédois est ancien; il a mentionné l’influence de Maj Sjöwall et Per Wahlöö (1926-1975) et notamment de leur roman Roseanna (2). Ces écrivains, qui se sont mariés en 1962, ont écrit entre 1965 et 1975 dix romans policiers avec l’inspecteur Martin Beck, un personnage un peu différent du héros de Mankell, Kurt Wallander.
Sjöwall et Wahlöö ont eu une approche très critique de la société suédoise social-démocrate en soulignant les aspects négatifs d’un modèle populaire et respecté à l’époque en Europe. Ils nous font vivre également la vie des policiers, le déroulement des enquêtes avec la patience et l’opiniâtreté qui est nécessaire.
Ces deux héros sont assez déprimés, Wallander vient d’être abandonné par sa femme et Martin Beck finira par divorcer. Ils n’inspirent pas comme Chen Cao une vraie joie de vivre; la poésie n’est pas leur affaire même si Wallander est un amoureux de l’opéra. Quant à la gastronomie, souvent une préoccupation majeure de Qiu Xiaolong, ce n’est pas leur problème; il faut manger c’est tout et ils boivent …trop.
Un interview à la Cité du Livre:
Une heure de rencontre a permis à Qiu Xiaolong de répondre, après une présentation, à mes questions et à celles du public; une rencontre suivie par de nombreuses signatures et des discussions informelles.
Vous n’êtes pas un militant comme Henning Mankell, mais pensez-vous que vos romans sont politiques ?
Certainement, c’est plus facile à moi qui vit aux Etats Unis de commenter la politique chinoise mais je préfère le faire dans mes livres plutôt que d’être directement impliqué.
Comme vous le savez, ma famille et moi même avons souffert de la Révolution Culturelle.
Notre maison a été pillée par les Gardes Rouge et mon père a été persécuté; j’ai du, à treize ans, écrire son autocritique car il venait d’être opéré des yeux. C’est d’ailleurs mon premier succès littéraire car cette autocritique a été acceptée sans réserves !
La Révolution Culturelle a été un tel désastre qu’on ne peut imaginer qu’il y en ait une autre, mais pendant l’affaire Bo Xilai, le Premier Ministre de l’époque Wang Jiabao a souligné que l’action de Bo Xilai (4) se rattachait à cette « tradition » avec les chansons « rouges » et les techniques de manipulation. Bo Xilai est en prison mais les chansons « rouges », la censure , le contrôle d’internet sont toujours en place !
Pensez-vous que la lutte contre la corruption, la lutte contre la pollution sont véritablement des priorités pour le gouvernement ou des moyens pour renforcer le pouvoir ?
Probablement les deux. Le pouvoir a compris que la corruption a conduit la population à perdre confiance dans le gouvernement. Sur internet, on se moque ouvertement de la lutte contre la corruption. Il faut faire quelque chose mais il faut aussi éliminer les ennemis politiques; cela fait partie du système avec le Parti unique et l’absence de transparence et de médias indépendants.
La pollution est un problème très sérieux dont on parle beaucoup. Avec un système de Parti unique, qui est responsable? Le Parti bien sûr. C’est pourquoi j’ai écrit un livre sur la pollution du lac Tai(5). Récemment la journaliste Chai Jing a financé elle-même un long documentaire sur la pollution en Chine, « Sous le Dôme » ; cent millions d’internautes ont vu ce film mais la censure l’a rapidement bloqué. Je viens d’ailleurs d’une nouvelle sur ce sujet.
En réponse à une de mes questions, il y a quelques années, vous avez souligné que toute évolution positive du système chinois impliquait que le cas de Mao soit réglé.
L’ombre de Mao est toujours là. On le voit dans le discours politique, la propagande, le Parti…Récemment un débat portait sur le point de savoir ce qui était le plus important, le système juridique ou le Parti. Réponse, le système juridique doit servir le Parti…Pour la littérature, c’est la même chose mais on ne dit plus ouvertement que la littérature doit être au service de la politique ! Mais en même temps la censure est là et pour mes livres les coupures furent nombreuses et Shanghai fut rebaptisée « ville H » dans l’édition chinoise!
Une lectrice lui demande s’il peut visiter la Chine ?
Oui je n’ai pas eu les mêmes problèmes que Ha Jin qui n’a pu rendre visite à sa mère en fin de vie. Je peux rentrer en Chine; peut être que mes lecteurs occidentaux qui vont à Shanghai avec mes livres comme guide sont une protection…commerciale. De plus mon livre « 100 classic Chinese poems » qui met en regard poèmes et peintures chinoises a été un livre officiel pour l’exposition de Shanghai en 2008. Mais je suis très prudent pendant ces visites qui sont pour moi importantes pour garder un contact étroit avec la réalité chinoise.
Noël Dutrait, Directeur de IrAsia, Institut de recherches asiatiques de l’Université d’Aix-Marseille, qui a reçu Qiu Xiaolong avec ses étudiants, lui demande « Quels sont vos travaux actuels et vos projets »
Je voulais confier mon prochain livre à mon éditrice française Liana Levi, qui publie mes romans avant les Etats Unis, à l’occasion de ce voyage. Des soucis familiaux m’en ont empêché. Le titre pourrait être « Becoming Inspector Chen » ou quelque chose de ce genre ; c’est à dire les années de Chen avant qu’il ne devienne inspecteur. La structure sera nouvelle, cela implique d’écrire à la première, deuxième, troisième personne. Chaque chapitre est un peu une histoire indépendante, certaines sont liées à Chen, d’autres sont plus autobiographiques.
Un écrivain m’a suggéré d’écrire une autre histoire du juge Dee (ou Ti) qui a vécu (630-700) sous la dynastie des Tang. Mais la difficulté est d’écrire après le célèbre sinologue et diplomate néerlandais Robert van Gulik (1910-1967) qui a créé vingt romans inspirés par ce juge. Mais j’ai pensé que peécrire ut-être l’inspecteur Chen pourrait essayer de résoudre une énigme du juge Dee dans la Chine actuelle. De plus je suis fasciné par un de ces romans « Assassins et poètes » qui est fondé sur une poétesse femme qui a réellement existé et qui est jugée un peu sévèrement car sa vie et ses amants ne correspondaient pas aux canons de l’époque.
Des poèmes pour terminer :
Qiu Xiaolong n’a jamais négligé la poésie qui tient une place importante dans sa vie. Déjà en Chine, il traduisait TS Eliot, Yeats, Ezra Pound. A Saint Louis, Eliot l’a beaucoup occupé.
Il a traduit nombre de poètes chinois en anglais dans plusieurs recueils et sur un magnifique site internet www.mountainsongs.net
En 2008, il publie un recueil de traductions et de ses propres poèmes en anglais (3). Le choix de « Meeting someone in Paris » s’imposait :
Holding two cups of black coffee
in Saint Germain, we try to stir
our memories with the coffee spoons
as in a poem we read together, long ago,
on a green bench in Bund Park,
with a petrel flying out of the morning mist
that was already fading, then
and there, with the sugar cube
of the present moment crumbling
like the debris of imagination.
The logo of the scarlet Guess appears
blurred on your bosom
as on that first page you accidentally
dropped a red ink stain
which, once, we compared
to a maple leaf against the snow…
Bertrand Mialaret
(1) Henning Mankell, « Le Chinois », traduit du suédois par Rémi Castagne, le Seuil, 2011; 560 pages, 8,20 euros.
(2) Maj Sjöwall et Per Wahlöö, “Roseanna”, traduit de l’anglais par Michel Deutsch, préface de Henning Mankel. Payot & Rivages, 2008, 310 pages.
(3) Qiu Xiaolong, « Lines around China », Neshuipress, 2008.
(4) Qiu Xiaolong, “Dragon Bleu, tigre blanc”, traduit par Adelaide Pralon. Editions Liana Levi, mars 2014, 304 pages, 19 euros.
(5) Qiu Xiaolong, « Les courants fourbes du lac Tai », traduit par Franchita Gonzalez Battle. Editions Liana Levi; mars 2010; 310 pages, 19 euros.