On a évoqué en 2010 les deux recueils de nouvelles de Lu Xun, traduites et commentées par Sébastian Veg, « Cris » (1923) et « Errances » (1926), qui ont établi la renommée littéraire de l’écrivain. Les Editions Rue d’Ulm viennent de réunir ces deux recueils et de publier également « Mauvaises herbes » (1927) dans un ouvrage très agréable à lire avec un papier d’une qualité égale à celle de la typographie.
« Mauvaises Herbes », des poèmes en prose
Le recueil regroupe, en une soixantaine de pages, vingt trois textes écrits à Pékin entre 1924 et 1926 et publiés au fur et à mesure dans la revue « Fil de paroles ». C’est une œuvre à part mais centrale: six textes concernent la position de l’écrivain et de la poésie, quatre sont consacrés aux souvenirs de jeunesse, sept sont des poèmes oniriques et cinq sont des poèmes liés à l’actualité et au rôle politique de l’écrivain.
Comme l’explique Sebastian Veg dans une quarantaine de pages de commentaires et dans une postface « De l’autonomie à l’impuissance », la question de l’autonomie de la littérature par rapport à la politique est au cœur de la réflexion et de l’écriture de Lu Xun.
La littérature se sera dégagée de « l’instrumentation confucéenne de la littérature comme discours de légitimation de l’ordre existant et en même temps contre l’écriture traditionnelle de lettré ». Les tensions politiques, la rupture entre nationalistes et communistes avec les massacres de Shanghai de 1927 vont conduire à assumer des responsabilités, ce qui poussera une partie des écrivains « à subordonner de nouveau la littérature, à peine affranchie de l’idéologie confucéenne, à un nouvel ordre idéologique globalement situé dans l’orbite du marxisme » (p.614).Pour certains c’est le moment de l’engagement, pour d’autres c’est la conviction que « la littérature ne construit son indépendance qu’au prix d’une prise de conscience douloureuse de son impuissance sociale » (p.626).
Lu Xun va suivre ces deux approches et « Mauvaises herbes » marque la fin de son activité strictement littéraire. Comme il le dit dans une préface à l’édition anglaise: « Ensuite je n’écrivis plus rien de la sorte. Alors que l’époque changeait de jour en jour, on n’avait plus besoin de ce genre de texte, ni même de ressentir ce genre d’impressions ». Certes il y aura encore « Contes anciens sur un mode nouveau » publié en 1935 mais Lu Xun va se consacrer à des essais journalistiques, polémiques, politiques, souvent liés à des débats d’actualité.
Certains textes des « Mauvaises Herbes » sont d’une grande qualité littéraire et poétique; le recueil est hanté par l’image de la mort du poète. Symbolisme et réalisme sont utilisés tour à tour et l’influence de Freud ou de Nietzsche peut être relevée. On ne sera pas surpris d’apprendre qu’en Chine populaire, la critique a longtemps considéré ces textes comme contre révolutionnaires ou au minimum dangereux…Mais cela n’empêcha pas Mao Zedong d’encenser l’écrivain, de l’utiliser et de saluer « le commandant en chef de la Révolution culturelle chinoise… »
Lu Xun et Xiao Hong dans « Golden Era »
Xiao Hong malgré une vie très courte est un écrivain majeur de la littérature chinoise que l’industrie des médias de Hong Kong est en train de « lancer » comme cela a pu être partiellement le cas pour Eileen Chang.
« Golden Era » est le dernier film de Ann Hui, une cinéaste de Hong Kong dont on a pu apprécier plusieurs films et notamment ceux qui ont été inspirés par des nouvelles de Eileen Chang « Love in a fallen city » (1984) et “Eighteen springs” (1997). « A simple life » sorti en 2012 est un grand succès. Ce n’est malheureusement pas le cas de « Golden Era ».
Le film est beaucoup trop long (trois heures) et paraît interminable tant il rebondit alors qu’on le croit terminé…Et pourtant Ann Hui rend magnifiquement la Mandchourie; la vie de Xiao Hong et Xiao Jun telle qu’elle est décrite dans « Market Street ». Tang Wei, qui fut punie d’une interdiction de tournage de plusieurs années après les scènes « hot » de « Lust Caution », est tout à fait remarquable.
Le film s’attarde trop sur la vie sentimentale (compliquée…) de Xiao Hong et pas assez sur son œuvre mais il a le mérite de recréer les relations filiales de Lu Xun et Xiao Hong de manière assez convaincante. Lu Xun a beaucoup aidé Xiao Hong notamment pour publier « Terre de vie et de mort ». Le film nous montre la vie quotidienne de Lu Xun, de sa femme et de son fils. C’était pour Xiao Hong la famille qu’elle n’avait jamais eu.
A cette occasion, j’ai pu lire un beau texte de Xiao Hong qui décrit la vie quotidienne de Lu Xun et de sa famille, ses nuits d’écriture et sa maladie, « A remembrance of Lu Xun », un texte d’une vingtaine de pages, publié par la revue « Renditions » (printemps 1981), traduit par Howard Goldblatt, qui a tant fait pour faire reconnaître Xiao Hong. Enfin, il convient de lire l’article de Sebastian Veg « Nouvelles interprétations de Lu Xun » dans « Perspectives Chinoises » (2014/3) pour comprendre la place de Lu Xun dans les débats intellectuels en Chine mais aussi récemment son relatif effacement dans les organes de propagande et les programmes scolaires.
Ces traductions et cet intérêt pour Lu Xun font qu’il paraîtra bientôt ridicule que Lu Xun ne figure pas dans la bibliothèque de La Pleiade !
Bertrand Mialaret
Lu Xun, « Nouvelles et poèmes en prose », Editions rue d’Ulm. Traduction, annotations de Sébastian Veg ; 2015, 660 pages, 24 euros.