La traduction récente en anglais de deux recueils de nouvelles , « War stories » et « Shenzheners » permet de découvrir Xue Yiwei, un écrivain célèbre en Chine mais qui vit depuis quinze ans, quasiment inconnu, à Montréal.
- – De Shenzhen à Montréal :
Il grandit à Changsha dans le Hunan où il travailla dans un organisme d’administration locale après des études d’ingénieur informatique à Pékin. Il publie en 1989, à 25 ans, son premier roman « Desertion », un livre essentiellement autobiographique; un flop total en Chine, couronné deux ans plus tard d’un prix à Taiwan. En 1993, il prépare un doctorat en littérature à l’université de Canton et publie de nombreuses nouvelles. Il devient professeur à Shenzhen en 1996 dans le département de littérature chinoise de l’université.
Shenzhen est une étape importante dans sa vie: ce village de pécheurs est en 1979 une zone économique spéciale; une croissance explosive qui fait penser au dernier roman de Yan Lianke (« Les chroniques de Zhalie »). Dix millions d’habitants en 2011 à Shenzhen dans la mégapole de la Rivière des Perles (200 km de Canton à Hong Kong) qui compte 50 millions d’habitants.
Comme le dit l’auteur « Shenzhen is also the frontier of Chinese globalization…I felt strong waves of the new era everyday…I have felt and been inspired by the inner world of ordinary people under the impact of globalization. This is the reason I decided to write Shenzheners”.
En 2002, il part pour Montréal et suit des études de littérature anglaise et américaine à l’université tout en écrivant de nombreuses critique littéraires pour deux revues en Chine. En 2010, professeur invité à l’université de la ville de Hong Kong, il est remarqué par deux célèbres professeurs et critiques littéraires, Wolfgang Kubin et Liu Zaifu. Leur enthousiasme crée une fièvre éditoriale qui conduit également l’auteur à réécrire tout ce qu’il avait publié avant 2010.
Son deuxième roman est alors édité à Taiwan, « Les enfants du Docteur Béthune », un livre toujours interdit en Chine. Docteur Béthune a vécu huit ans à Montréal de 1928 à 1936 avant de partir en Espagne pendant la guerre civile puis en Chine. Il arrive à Yan’an en avril 1936, soigne les blessés de la VIII ème armée et meurt d’une septicémie en 1939.
L’hommage de Mao Zedong était étudié par tous les écoliers chinois: « L’esprit du camarade Béthune, oubli total de soi et entier dévouement aux autres, apparaissait dans son profond sens des responsabilités à l’égard du travail et dans son affection sans bornes pour les camarades, pour le peuple. Tout communiste doit le prendre en exemple ».
- – Célèbre en Chine mais peu connu à Montréal :
Il continue d’habiter Montréal: «There are two major reasons that attracted me to settle here. I belong to the generation of Chinese writers profoundly influenced by existencialism and French literature. And Dr. Bethune was the spiritual father of the Chinese who grew up during the Cultural Revolution”.
Cinq nouvelles, “War Stories”, sont enfin traduites (1), qui soulignent les malheurs des hommes et les absurdités des révolutions. La brutalité, la cruauté sont partagées par tous les belligérants, japonais, communistes, nationalistes. Les personnages recherchent un sens à leur vie dans les guerres où ils sont impliqués mais n’y réussissent pas.
« Winning the first battle » est la nouvelle qui m’a le plus séduit. Le père, un général, représente tout ce que la Révolution veut abolir: aristocratie, richesse, système féodal, bigamie. Le fils malgré sa fortune veut rejoindre la Révolution. Sa vie n’a pas de sens; il rejoint la révolution pour lui-même et non pour ce qu’elle représente. Le père le suit mais finit par le quitter, c’était là la première victoire du fils. Après la guerre, il comprendra que son père cherchait surtout à le protéger et non à le contrôler. La famille en l’absence du père sera détruite par la violence et la guerre. « In fact death is the greatest lie of all, it eliminates everything and covers everything ».
Pour Xue Yiwei, le plus important est son indépendance, il n’est membre d’aucune organisation officielle. L’essentiel est la littérature; il relit « Ulysses » de Joyce et les nouvelles de William Trevor, que comme Yiyun Li il considère comme un maître.
« Being an invisible man in the country where I choose to live while being a big name in the country I chose to leave, has brought me an amazing experience. It is not easy for a writer to be removed from his readesrship. Of course censorship matters”
- – “Shenzheners”, le “Dubliners” chinois:
Telle est la comparaison, excessive à mon sens, osée par la critique chinoise même si ce recueil de neuf nouvelles, traduit avec talent par Darryl Sterk (2) est de toute première qualité. Joyce est une référence importante, Xue Yiwei a écrit son doctorat sur les oeuvres de cet écrivain et dédie « Shenzheners » to « the Irishman who inspires me ».
Les nouvelles ne se réfèrent qu’implicitement à Shenzhen, la ville n’est jamais décrite. C’est le statut social des personnages et leurs relations qui sont significatifs; personnages non spécifiés, sans nom, sans beaucoup de chronologie.
Les résidents sentent qu’ils sont des étrangers dans cette ville même après y avoir vécu de longues années. Comme le dit un personnage « almost everybody in this city is an immigrant, just like here in Canada ». Un style neutre qui ne veut pas émouvoir, ni sentencieux, ni moralisateur avec beaucoup de compassion pour les personnages.
Des thèmes très différents: « The prodigy », un enfant pianiste exceptionnel, est bouleversé par les attouchements de son nouveau professeur; il abandonne le piano et s’efforce de devenir un homme médiocre. « The taxi driver », la seule nouvelle écrite à Shenzhen, nous conte la dernière course d’un chauffeur.
L’une des « Two sisters » choisit un mari en qui on peut avoir confiance, qui ne plait guère à sa petite sœur qui accumule les erreurs dans sa vie amoureuse. Une amie de celle-ci entraînera des catastrophes et le sœur aînée tentera de se venger du mari qui l’a trompée. « The mother » nous montre comment de petits détails de la vie quotidienne, fermer la porte, des recommandations au mari…marquent la détérioration des rapports dans un couple.
« The country girl « est une vraie réussite. L’héroine vit dans une ferme et prend le train pour rendre visite à sa mère souffrant de démence sénile. Elle est assise à côté d’un Chinois. Elle lit Paul Auster; il le connaît par la traduction qu’il a en mains. Heureux, ils n’arrêtent par de bavarder pendant cinq heures. Il est peintre, il a travaillé treize ans au musée de Shenzhen avant d’émigrer il y a cinq ans à Montreal. Des emails, des invitations mais pas de nouvelle rencontre; elle reçoit un tableau, un nu dont elle est le modèle sans avoir posé…Il n’a plus que quelques semaines à vivre.
« The dramatist » est remarquablement composé: les voisins le trouvent excentrique, il sort à 10 heures 20 tous les jours; ils apprennent par une interview du journal qu’il est un dramaturge célèbre. Sa vie a appartenu à deux femmes et à leurs malédictions. Sa femme s’est suicidée à 10heures 20 et son premier amour habite « la plus jeune ville de Chine », c’est pourquoi il a accepté une interview en espérant qu’elle pourra le retrouver.
On souhaiterait que Xue Yiwei soit plus traduit et bien sûr également en français. On admire les thèmes et la qualité littéraire de ses nouvelles que l’on lit avec grand plaisir. Le succès de ses romans et notamment des deux derniers « Farewell from a shadow »(2013) et « Empty Nest »(2014), nous permettront, peut-être, de nous faire une opinion un peu plus précise sur ce romancier.
B. Mialaret
- (1) Xue Yiwei and his War Stories. Chinese Literature and Culture, volume 5, december 2015.
- (2) Darryl Sterk, enseigne la traduction à la National Taiwan University et vit à Taipei. Il est aussi le traducteur de « The man with the compound eye » de Wu Ming Yi.
- (3) Xue Yiwei, « Shenzheners », traduit par Darryl Sterk. Linda Leith Publishing. Westmount, Quebec. Canada. 2016; 175 pages.
Bonjour comment faire pour acheté son livre shenzheners en mandarin pouvez vous me donné le titre en mandarin svp
Bonjour
Ce n’est pas indiqué dans le livre; le mieux est de demander au traducteur Darryl Sterk. Bonne journée.