Yan Lianke est un des écrivains chinois actuels les plus importants, à coup sûr Nobélisable. Huit de ses romans ont été traduits en français, mais peu de nouvelles ou de courts romans. C’est pourquoi, il faut se féliciter qu’une longue nouvelle, publiée en 1999, déjà traduite en anglais (1), soit maintenant disponible en français (2).
– Un roman de son pays natal :
Ce livre d’une centaine de pages a pour titre « Un chant céleste », un titre bien plus adapté que celui de la traduction anglaise (« Marrow », La moelle), mais il aurait pu s’appeler « Les chants des montagnes Balou » dans une traduction littérale. Cette chaine de montagnes du Henan est en effet la région où Yan Lianke a passé son enfance et une partie de son adolescence. Cette zone pauvre et montagneuse se retrouve dans nombre de ses romans et est aussi importante pour lui que Gaomi et la province du Shandong pour Mo Yan.
Montagnes Balou est une précision suffisante pour l’auteur qui ne nous donne guère d’indications sur la période où se déroule l’histoire de la famille You. Le livre d’ailleurs n’a aucune ambition d’analyse politique ou sociologique et les quelques indications qui nous montrent que la famille est mal traitée dans l’attribution des terres ou dans ses rapports avec ses voisins ne sont en aucun cas des dénonciations comme dans d’autres romans de Yan Lianke.
– Le village de You est appelé « Le village des quatre idiots » :
L’héroïne, la mère, Quatrième épouse chez les You, a trois filles débiles et épileptiques; le fils, un petit dernier qui semble normal va devenir idiot du fait d’une maladie héréditaire transmise par son père You « la Pierre »; celui-ci se suicidera mais son fantôme sera près de sa femme pour l’aider à trouver des maris à deux de ses filles, l’un d’eux est infirme et l’autre borgne.
La troisième fille veut elle aussi un mari mais qui doit faire partie « des gens complets ». La mère, après de nombreux échecs, rencontre un veuf Wu Shu qui accepterait la fille si elle a une belle dot…Avec la fille, Wu Shu ira se servir et videra la maison familiale.
Un des gendres garantit que l’on peut guérir les enfants à l’aide d’une soupe avec les os d’un mort, d’une personne très proche. La tombe du père est ouverte. La soupe a des effets positifs mais il n’y a pas assez d’os. C’est la mère qui, avec son corps, fournira la solution mais lors de ses funérailles en dénouement de cette fable, elle prévient : « Ce mal est héréditaire, vous savez maintenant comment soigner vos enfants ».
-Des thèmes très présents chez Yan Lianke:
Les handicaps et les maladies héréditaires sont au cœur de nombre de ses romans, qu’il s’agisse de « La fuite du temps » (3) où les villageois ne dépassent pas quarante ans.
Les handicapés et les « gens complets » sont les héros de « Bons baisers de Lénine » (4), mais dans le village, la famille You est la seule avec des problèmes alors que le village de Bénaise est un village d’handicapés. Les gens complets sont de bien vilains personnages dans les deux romans mais « Bons baisers de Lénine » est un roman fantastique, plein d’humour, beaucoup plus élaboré et avec un objectif de dénonciation affirmé.
Le corps peut nourrir ou sauver comme dans un magnifique court roman « Les jours, les mois, les années » (5) où le héros arrose de son sang les épis de maïs et où son corps après sa mort leur servira d’engrais.
Pour sauver les enfants, la soupe aux os, le cannibalisme est-il la seule solution ? On pense bien sûr à Lu Xun qui avait déjà abordé ce thème.
Dans « Un chant céleste », le père, le fantôme du père est un personnage important. C’est le cas pour l’auteur qui se sent coupable de ne pas avoir fait assez pour sa famille. On pense au recueil de nouvelles « Songeant à mon père » (6) ou au roman (non traduit) « La génération de mon père » qui remporta en Chine un grand succès. La piété filiale est essentielle mais les enfants dans « Un chant céleste » n’en manifestent que bien peu vis-à-vis de leur mère.
Une composition simple, un nombre réduit de personnages, des descriptions de la campagne souvent attachantes et poétiques même si elles n’atteignent les beautés de « Les jours, les mois, les années ». L’humour nait de l’utilisation du personnage du mari fantôme mais n’est pas au centre du roman comme dans « Bons baisers de Lénine ».
Yan Lianke souligne que « tout est tragique » mais son livre ne cherche pas à apitoyer le lecteur; l’auteur se tient à distance et ne cherche pas à créer l’émotion.
-Un renouvellement dans chaque nouveau roman :
Comme Mo Yan, il sait se renouveler ; la forme, la structure est aussi importante que le contenu. « Un chant céleste » est un des débuts de son œuvre mais avec des qualités bien mises en valeur par Sylvie Gentil et qui annoncent les romans ultérieurs.
En mai 2016, on a appris que la version anglaise des « Quatre Livres» (7), qui avait fait partie des finalistes du International Man Booker Prize, n’obtiendrait pas le prix; beaucoup de regrets car c’est, à mon sens, le plus beau livre de Yan Lianke.
« Les Chroniques de Zhalié » (8), publiées d’abord en français par Sylvie Gentil, sont maintenant traduites par Carlos Rojas (« The Explosion Chronicles »). C’est un livre superbe, la chronique d’un village qui devient une mégapole.
Une bonne nouvelle,Yan Lianke a obtenu avec son dernier livre, « Death of the Sun », le sixième prix du « Rêve dans le pavillon rouge », décerné tous les deux ans par l’Université Baptiste de Hong Kong pour récompenser un roman écrit en langue chinoise.
Enfin dernier cadeau, Sylvie Gentil a réussi la traduction d’une longue réflexion (9) de Yan Lianke, écrite en 2011, sur le réalisme en littérature et l’évolution de la fiction. Un texte important dont on reparlera.
Bertrand Mialaret
(1) Yan Lianke, “Marrow”, traduit par Carlos Rojas. Penguin Specials, publié par Penguin Group (Australie) en association avec Penguin Beijing ; 2015, 103 pages.
(2) Yan Lianke, « Un chant céleste », traduit par Sylvie Gentil. Philippe Picquier, 2017, 90 pages, 13 euros.
(3) Yan Lianke, « La fuite du temps », traduit par Brigitte Guilbaud ; Editions Philippe Picquier, janvier 2014, 608 pages.
(4) Yan Lianke, « Bons baisers de Lénine », traduit par Sylvie Gentil ; Philippe Picquier, 2009, 560 pages.
(5) Yan Lianke, « Les jours, les mois, les années », traduit par Brigitte Guilbaud. Philippe Picquier, février 2009, 125 pages.
(6) Yan Lianke, « Songeant à mon père », traduit par Brigitte Guilbaud. Philippe Picquier, 2010, 120 pages.
(7) Yan Lianke « The Four Books », traduit par Carlos Rojas. Grove Press, mars 2015, 400 pages.
(8) Yan Lianke, “Les chroniques de Zhalie », traduit par Sylvie Gentil. Philippe Picquier. 2015, 515 pages.
(9) Yan Lianke, « A la découverte du roman », traduit par Sylvie Gentil. Philippe Picquier, 2017, 190 pages, 20,50 euros.