Mu Xin, écrivain, peintre, poète a du attendre ses 80 ans et son retour à Wuzhen, sa ville natale, pour être reconnu après vingt cinq ans passés à Queens, Forest Hills..
Wuzhen (Zhejiang), une toute petite Venise:
Une petite ville entre Hangzhou et Suzhou, bâtie sur des canaux, fière d’être le lieu de naissance du grand écrivain Mao Dun (1896-1981), mais celui-ci doit maintenant partager cette gloire avec Mu Xin. Il est né en 1927 dans une famille riche qui lui donne une éducation classique de lettré. Des études de peinture à Shanghai puis à l’Académie d’ Arts de Hangzhou avec Lin Fengmian comme professeur.
Il écrit, il peint, un travail de designer, mais toutes ses œuvres sont détruites pendant la Révolution Culturelle et en 1971, il passa même dix huit mois en prison dans un abri anti- aérien. Le papier, fourni pour rédiger son autocritique, lui servit à écrire soixante six pages de « Notes », une écriture fine et serrée qui s’abstrait des contingences de la prison et dialogue avec de grands intellectuels, ses modèles. Assigné à résidence, il pourra peindre la nuit, des œuvres qu’il emportera avec lui lors de son départ pour les Etats Unis en 1982.
Il commence alors à être publié à Taiwan, mais n’écrit pas en anglais. Deux expositions de peinture seulement mais en 2001 dans le cadre prestigieux de l’université de Yale. C’est un solitaire qui fuit les médias mais sa réputation grandit à Taiwan où près de vingt ouvrages ont été publiés et en Chine. En 2006, les autorités de Wuzhen le prient de rentrer; ses livres sont alors publiés en Chine avec grand succès. Sans femme ni enfants, il meurt fin 2011, entouré de lecteurs. Emoi sur le web, imposantes funérailles, Wuzhen veut lui dédier un musée.
La grande tradition du « sanwen » :
Il s’agit d’un genre littéraire classique qui mêle de manière très libre poésie, fiction, essais ou simple impressions. Mu Xin admire les auteurs des Tang et des Song qui ont illustré ce genre mais trouve aussi que Montaigne en partage l’esprit. Tous ces textes très personnels sont écrits à la première personne; c’est l’œuvre d’un esthète, d’un écrivain très individualiste qui se veut en dehors de l’histoire.
Comme il le dit dans un interview avec son traducteur Toming Jun Liu en 1993: « my short fiction is really narrative poetry, not unlike ballad in music…The method I am using now is to present ideas through impressions…Impressions are like pearls, ideas are like the string that turn the pearls into a necklace. The string is invisible, but it is not dispensable and cannot be broken.”
L’essentiel c’est l’oeuvre d’art et non la vie de l’artiste, mais la littérature permet au narrateur de vivre plusieurs vies: “what interests me is not “things past” but how to achieve simultaneously two I’s through rememberance: one is long dead, the other is still living…”
La peinture de paysage et la “poésie silencieuse”:
Il se rattache à cette tradition qui est aussi celle des peintres « yimin », les peintres « abandonnés », des lettrés qui ne voulurent pas se rallier à la dynastie des Yuan (1271-1368). Retirés de la société et de la politique, leur peinture, la poésie silencieuse tenait une place essentielle dans leur vie et pour leur survie.
Cette peinture a souvent signifié un retour vers le passé. L’œuvre de Mu Xin emprunte aux techniques de l’Est et de l’Ouest, un compromis entre l’encre de Chine et la gouache. Une peinture de paysage qui n’est pas influencée par l’œuvre de son maître Li Fengmian. Un catalogue d’Alexandra Munroe présente son exposition et un article de la Asia Society reproduit de nombreux tableaux.
« An empty room », un livre de grande qualité :
Treize textes choisis par l’auteur dans trois de ses recueils publiés à Taiwan, ont été traduits par Toming Jun Liu, professeur de littérature à la California State University à Los Angeles. Ce recueil , « An empty room » a été publié par New Directions, un éditeur prestigieux fondé en 1936 par James Laughlin (1914-1997).
Mélancolie de l’âge et du vieillissement: une visite d’un enfant à un temple, un bol perdu, « The moment childhood vanished ». Pertes de repères quand toutes les photos de l’enfance ont été détruites, mais même si le fils d’un voisin ressemble à l’auteur enfant, une photo ne peut rappeler sa propre enfance.
D’autres textes, magnifiques, sont aussi d’une veine autobiographique; Xia Mingzhu est la maîtresse de son père, elle est tuée par le Kempeitai japonais; la mère la fait enterrer dans le cimetière de la famille…Un professeur de piano analyse les étapes de sa relation amoureuse avec Fong Fong. Mais envoyée à la campagne pendant la Révolution Culturelle, la paysanne mariée et mère de deux garçons qu’elle est devenue, ne lui rappelle plus ses souvenirs d’antan.
Parfois il s’agit d’une véritable nouvelle avec une intrigue et un dénouement: « Eighteen passengers on a bus » se moquent du chauffeur, le narrateur prend sa défense, ce que le chauffeur n’accepte pas, le contraint à descendre et …lui sauve la vie.
La mémoire peut être un fardeau très lourd. La jalousie de sa tante concernant les quelques heures de retard de son oncle il y a plus de quarante ans, ne peut se satisfaire d’aucune des explications données; l’incident est bien présent dans les esprits mais n’est pas abordé. D’autres textes, à mon sens moins réussis, sont des essais : « Weimar in early spring » ou « The Windsor cemetary diary », des promenades à Queens « To morrow, I’ll stroll no more ».
« An empty room »,un petit recueil de 150 pages, mon beau cadeau de Noël !
B. Mialaret