L’écrivain chinois Shi Tiesheng est mort à 59 ans le dernier jour de l’année 2010. La fin d’un douloureux voyage après 38 ans dans une chaise roulante et avec trois dialyses par jour depuis 12 ans. C’est l’un des grands écrivains chinois, considéré souvent dans son pays comme l’égal des Mo Yan, Yu Hua, Yan Lianke, mais peu traduit et bien peu connu en Occident .
La souffrance peut conduire à la sérénité :
Il est Garde Rouge au lycée dépendant de l’Université Qinghua; ses grands parents sont d’une mauvaise « origine de classe » mais ses parents ne sont que de petits fonctionnaires.
Il part dans le Shaanxi, près de Yan’an, comme « jeune instruit ». Son enthousiasme n’empêche pas une maladie qui le laisse paralysé des membres inférieurs.
Michel Bonnin dans son ouvrage « Génération Perdue » (1) cite la nouvelle que tire l’écrivain de cette tranche de sa vie « Mon lointain village de Qingpingwan » : une confrontation brutale de l’optimisme révolutionnaire avec la pauvreté du village et la maladie. Mais beaucoup de nostalgie pour sa jeunesse : « Je sais que même si je n’étais pas devenu paralysé, je ne serai pas resté toute ma vie à Qingpingwan et que si mes jambes guérissaient maintenant, je n’y retournerai pas pour y vivre toujours…mais j’ai la nostalgie de là bas, vraiment. »
Il retourne à Pékin en 1972 et travaille sept ans dans une usine. Il commence à écrire et connaît le succès avec une nouvelle « Mes rivières claires et paisibles, bien au loin ».
Des nouvelles et des essais peu traduits :
En 1985, paraît une nouvelle de grande qualité, « La vie comme une corde de luth », traduite par Annie Curien (2). Deux aveugles, un jeune et son maître, sont conteurs et musiciens. Dans le luth du maître, un talisman qu’y a placé son propre maître doit lui permettre de recouvrer la vue quand il aura cassé, à la fin de sa carrière, sa millième corde de luth. Le talisman n’était qu’un papier blanc mais ce qui est important, c’est le but qui soutient la vie ! « Souviens toi, la vie des hommes ressemble à cette corde; quand elle est tendue, on peut bien jouer, et quand on a bien joué, c’est l’essentiel ».
Ce texte a été adapté au cinéma par Chen Kaige en 1991, « La vie sur un fil ». Un film loué par la critique mais un échec commercial qui donna lieu à nombre de commentaires politiques : pourquoi suivre…aveuglément…des dirigeants qui vous bernent avec de fausses promesses.
En 2002, il reçoit le prix Lao She pour un recueil d’essais « Fragments écrits dans les rémissions de la maladie », un ensemble de six essais écrits de 1998 à 2001 et regroupant 240 fragments d’abord publiés dans une revue. Tous ces essais se terminent par la même question « comment régler cela ? ». Il nous montre la variété de sa réflexion sur l’humanité et sur la religion. Comme dit Han Shaogong : « bien qu’il ait une soif pour les valeurs et la foi, il n’est pas lié à un culte spécifique. Sa réflexion est caractérisée par une connaissance aiguë et une compréhension chaleureuse de la vie humaine mais jamais par des superstitions fanatiques ».
Un nouveau succès en 2006, un roman « Ma cohabitation avec Ding Yi », qu’il écrivit en trois ans car il ne pouvait plus travailler que quelques heures par jour. Un esprit qui voyage depuis des temps immémoriaux, séjourne dans le corps de nombreux personnages: Adam, l’auteur et le héros Ding Yi; ces trois personnages représentant différents éléments de l’esprit humain. L’amour de Ding Yi et de Qin E est aussi un thème important du livre.
Chez Shi Tiesheng, jamais d’amertume, ni de sarcasme, mais une réflexion constante sur son infirmité, sa maladie. « Qu’est ce qui me pousse à rester en vie ?». C’est là aussi le cœur d’un grand texte « Le parc Ditan et moi ».
Un essai justement célèbre : « Le parc Ditan et moi » :
Ce texte a été traduit par Annie Curien dans un recueil de nouvelles (3) que l’on trouve facilement d’occasion sur internet. On peut aussi consulter une bonne traduction anglaise.
Le parc Ditan, situé au Nord-Est de Pékin, est connu pour les traces du culte de la terre que l’on y rendait et devrait l’être pour les plus beaux massifs de pivoines que l’on peut trouver à Pékin.
L’auteur a habité à proximité et n’a cessé de parcourir ce parc en fauteuil roulant pour cacher son isolement et parfois sa dépression. Sa mère ne l’accompagne pas, elle sait qu’il a besoin de solitude, mais elle s’inquiète et, sans se faire voir, vient vérifier que tout se passe bien. Comme d’autres écrivains, il a écrit pour sa mère mais elle disparaîtra avant qu’il ne soit reconnu.
Ses réflexions sont perturbées ou nourries par d’autres visiteurs : un couple de personnes âgées, un jeune homme qui aimait chanter, une jolie femme dont il imagine la vie, un coureur de fond qui ne parvient pas à se faire connaître, une petite fille handicapée. Tout conduit à une méditation apaisée sur son existence.
Le recueil contient aussi « Première Personne », une nouvelle très habile, un peu fantastique. En montant les 21 étages pour aller voir son nouvel appartement, le héros, à chaque étage, regarde les détails du paysage, il en découvre sans cesse de nouveaux avec des personnages parfois inquiétants ou qui ne sont peut-être que le fruit de son imagination.
Dans « Fatalité », c’est l’enchaînement de petits faits qui va expliquer comment le héros, à vélo, va glisser la nuit sur une aubergine ce qui va le précipiter par terre au moment précis ou arrive en face une voiture qui le laissera paraplégique.
Comme dit Shi Tiesheng, dans « Le parc Ditan et moi », « je ne saurais dire si je ressemble à un enfant ou à une personne âgée ou à un amoureux en pleine passion (mais) …à la saison où les volubilis commencent à éclore, la corne des funérailles résonne déjà ».
Bertrand Mialaret
(1) « Génération Perdue », Editions de l’EHESS, 2004.
(2) « Anthologie des nouvelles chinoises contemporaines »- Gallimard 1994.
(3) « Fatalité », nouvelles. Six nouvelles dont « Le parc Ditan et moi » et « Première personne ». Gallimard 2004.
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