Su Tong fait partie des écrivains pré-sélectionnés pour le prix prestigieux « Man Booker International ». Un petit livre qui vient de sortir « A Bicyclette »(1) est une belle illustration d’un talent que l’on pourra aussi apprécier lors de la publication dans quelques mois d’un roman remarquable (2) déjà traduit en anglais et primé en Asie.
Un rêve, le prix « Booker International » :
Ce prix, doté par le groupe Man, est attribué tous les deux ans, pour l’ensemble de son œuvre, à un écrivain de langue anglaise ou traduit en anglais. C’est un complément du « Man Booker Prize », le « Goncourt » anglais.
La liste des 13 sélectionnés pour le prix international vient d’être publiée; elle comprend des écrivains très connus comme John Le Carré ou Philippe Roth, mais aussi et pour la première fois, deux écrivains chinois : Wang Anyi et Su Tong.
Wang Anyi, écrivain de Shanghai, que l’on a déjà présentée, vient de publier un petit livre inégal, « A la Recherche de Shanghai »(2), un recueil de petits essais, de contes,
de nouvelles… qui forme un ensemble assez disparate mais dont certaines pièces ne manquent pas d’intérêt .
Quant à Su Tong, dont on a vanté les qualités, il fut le lauréat en 2009 du prix littéraire Asie, doté par le même groupe, pour un bon livre « Le Bateau d’une Rédemption » (3), dont la traduction sera publiée par Bleu de Chine-Gallimard.
« A bicyclette », une promenade avec l’auteur :
Un ensemble d’une trentaine de textes courts, de très bonne tenue et dont la traduction par Anne-Laure Fournier se lit agréablement. Beaucoup de morceaux autobiographiques sur son enfance, son village et les canaux de Suzhou. Une famille pauvre (« à part leurs quatre enfants, mes parents n’avaient strictement rien ») mais qui n’affecte pas l’optimisme de l’auteur.
A cette époque, certaines marques de bicyclettes sont un signe de luxe et un poisson rouge est le plus beau cadeau dont puisse rêver un enfant. La Révolution Culturelle est cependant bien là et Su Tong nous confie que même si « l’autobiographie n’est qu’un miroir au trois quarts oxydé », il doit reconnaître, à sa grande honte, qu’il écrivit, comme les autres élèves, des lettres de dénonciation contre Madame Chen, son professeur qu’il admirait.
Des anecdotes récentes de sa vie d’adulte sont moins intéressantes: comment il est gêné par une famille à la piscine, comment il marchande en Allemagne…Ses rapports avec ses lecteurs sont traités de manière superficielle, « leurs attentes étaient déçues mais pourquoi avaient-ils des attentes envers quelqu’un qui leur était étranger… ». Par contre, ses commentaires sur les auteurs qu’il aime : Salinger, Borgès, Carson Mc Cullers et sa « Ballade du café triste », sont attachants.
On est séduit par plus d’une dizaine de nouvelles, très courtes, pleines de rythme, avec des personnages dont on se souvient et surtout des chutes imprévues: un vieux gourmand mange ses économies, une femme battue se cuisine des festins, un voisin misérable à qui l’on donne les têtes de poisson finit par ouvrir un restaurant et les proposer avec succès.
Des histoires de magasins: la soie, les raviolis, la ferblanterie, le salon de coiffure, la boucherie, une maison de thé, la pharmacie et son employée muette qui, méprisée, sauve une cliente.
Suzhou, sa région, ses canaux, sont présents partout; sa mère lui dit en plaisantant « tu n’es pas sorti de mon ventre, je t’ai recueilli sur un bateau… » De ce fait, il confesse: « en m’intéressant aux bateaux, j’explorais aussi une part de moi même… » C’est peut-être parce qu’ils sont proches de son coeur que les bateaux sont les personnages d’ un de ses plus beaux romans « Le Bateau d’une Rédemption »(3).
En bateau avec Su Tong, un beau roman :
La traduction anglaise du titre met l’accent sur la « rédemption ». Le père du narrateur, fils d’une martyre de la Révolution, voit sa filiation remise en cause par une commission d’enquête. Il est déchu de sa position de responsable, sa femme demande le divorce, il se réfugie sur un bateau, une petite péniche qui, en convoi, assure des transports sur la rivière de « l’Hirondelle Dorée ». Il vivra pendant onze ans sur le bateau n°7 avec son fils Dongliang le narrateur, qui a choisi de le suivre.
Rédemption car le père veut racheter ses infidélités et ira jusqu’à une auto-castration, tout en demandant une révision des conclusions de la commission d’enquête.
Le titre peut aussi être traduit par « Rivière et Rivage », car tout oppose le monde des bateaux, souvent peuplé de marginaux, à celui des berges, des gens responsables et politiquement sûrs, des bureaucrates du Parti, arrogants, brutaux et corrompus.
L’arrivée sur le bateau d’une petite orpheline, Huixian, entraînera de nombreuses difficultés mais aussi, après quelques années, l’éveil de sentiments amoureux chez Dongxian. Il est isolé, il n’appartient à aucun des deux mondes; comme Huixian, il n’a pas de racines et ses relations épisodiques avec sa mère sont aussi pesantes que la surveillance constante de son père qui ne semble préoccupé que de la sexualité de son fils.
C’est un roman plus long, plus complexe, plus ambitieux que les précédents. Su Tong est né quelques années avant le début de la Révolution Culturelle; ce sont des souvenirs d’enfance très forts qui sont à l’origine de ce livre. L’auteur évite tout jugement de valeur; les épisodes historiques de la Révolution Culturelle sont totalement absents, la mort de Mao Zedong n’est même pas mentionnée. Il s’agit de la vie de gens ordinaires pendant cette période exceptionnelle avec ses slogans, son contrôle politique, sa brutalité et ses abus. La politique se limite à profiter de l’exercice du pouvoir et chacun essaie de récupérer quelques miettes…
La construction du livre est parfois hésitante et tous les épisodes de la vie de Huixian, après qu’elle ait quitté les bateaux, ne s’intègrent pas toujours aisément au récit. De plus Huixian, jeune fille, est moins attachante que la petite orpheline qui cherche à vivre avec des bateliers.
Le portrait du père est assez schématique, notamment dans ses rapports avec Dongliang alors que le personnage de la mère, actrice dans une troupe de propagande puis animatrice à la radio locale, est beaucoup plus fouillé.
Mais c’est le narrateur, Dongliang, qui « porte » le récit, qui nous émeut et soutient notre intérêt pour un roman de qualité, le plus réussi de Su Tong.
Bertrand Mialaret
(1) Su Tong : « A Bicyclette », traduit par Anne-Laure Fournier. Editions Philippe Picquier, 2011, 140 pages, 15 euros.
(2) Wang Anyi : « A la recherche de Shanghai », traduit par Yvonne André. Editions Philippe Picquier 2011, 120 pages, 14,50 euros.
Su Tong : « The Boat to Redemption”; traduit par Howard Goldblatt. Doubleday 2010