Liu Zhenyun est un des écrivains chinois les plus connus par ses succès littéraires et les films célèbres de son complice Feng Xiaogang. Liu Zhenyun, dans le cadre d’une tournée européenne, vient de passer quelques jours à Paris pour présenter films et romans comme il l’avait déjà fait en octobre 2013.
Une affaire de famille :
Le programme a commencé par une présentation à l’Institut Confucius de l’Université Paris Diderot de « En un mot comme en mille » tourné par sa fille Liu Yulin et dont le titre anglais est « Someone to talk to ». Liu Zhenyun a écrit le scénario tiré d’une partie de son long roman dont les ventes ont atteint 1,5 millions d’exemplaire après l’attribution du prix Mao Dun en 2011(1). Le thème principal est la solitude, l’affaiblissement avec le temps des liens entre les gens et l’impact d’une société sans religion.
Liu Yulin a trente ans, elle a étudié à la Tish School of Arts à New York. Son film est sorti en Chine le 11 novembre 2016, le jour des célibataires, et a été plutôt bien reçu.
Sciences Po à Paris, 450 étudiants chinois !
Liu Zhenyun a prononcé une conférence à Sciences Po organisée par Geneviève Imbot- Bichet à qui l’on doit la publication des six romans de Liu Zhenyun en français et Laurence Souloumiac qui à Sciences Po dirige le Centre pour l’Asie, le Pacifique, l’Afrique et le Moyen Orient. Celle-ci a souligné que 450 étudiants chinois étudiaient à Sciences Po. Il y a de très longues années, l’Ancien que je suis et qui était responsable du groupe d’accueil des étudiants étrangers, se souvient que Sciences Po ne comptait que deux Japonais mais aucun Chinois !
Un amphi de plus de 200 places, rempli essentiellement par de jeunes Chinois, chaleureux, heureux de rencontrer une célébrité. Liu Zhenyun, ravi d’un public très différent des rencontres littéraires et montrant un talent certain pour amuser l’auditoire et parfois pour éviter de répondre aux questions.
La célébrité par le cinéma :
Les succès de Liu Zhenyun et du metteur en scène Feng Xiaogang sont très liés, ce sont des amis de longue date. Un succès considérable en 2003 du roman et du film « le Portable. Une nouvelle réussite avec l’adaptation cinématographique d’un récit, publié en 1992 et traduit en 2013, « Se souvenir de 1942 » (2) que Liu Zhenyun était alors venu présenter à Paris.
Le nord de la province du Hénan est une zone où l’auteur a passé sa jeunesse et qui a souffert en 1942 /1943 d’une terrible sècheresse entrainant la mort de trois millions de personnes. La distribution de rations alimentaires par l’armée japonaise alors que le gouvernement nationaliste n’avait rien fait, a quelque peu limité le drame. Mais les villageois chinois ont ensuite aidé les Japonais à remporter des succès considérables sur l’armée chinoise.
Un très beau livre qui n’a connu aucune difficulté à sa sortie en 1992; en 1942, en effet, les communistes n’étaient pas au pouvoir. Le film a mis des années à être tourné. Cependant en novembre 2012, les 25 millions d’euros investis ont été récupérés en une semaine !
Lors d’un débat à Paris en octobre 2013, on avait pu s’étonner que cet essai sur 1942 n’évoque en aucune manière la famine qui a suivi la politique de Mao Zedong du Grand Bond en avant dans les années 1960 et qui causa le décès de plus de 30 millions de personnes. Deux ouvrages essentiels sont consacrés à cette période: celui d’un journaliste chinois Yang Jinsheng « Stèles » et l’un des plus beaux romans des cinq dernières années, « Les Quatre Livres » de Yan Lianke (2) ; ces deux livres traduits en français sont interdits en Chine.
La dernière collaboration entre Liu Zhenyun et Feng Xiaogang a donné naissance à « Je ne suis pas Madame Bovary », que je n’ai malheureusement pas pu voir et qui est considéré comme l’un des plus beaux films du cinéaste. Le roman a été traduit en français sous le titre « Je ne suis pas une garce » (3) alors que le titre chinois peut être traduit par « Je ne suis pas une Pan Jinlian », une femme à la sexualité perverse, héroïne d’un célèbre roman des Ming, le « Jin Ping Mei » (4). On a du mal à trouver des correspondances entre Pan Jinlian et Madame Bovary !
Le roman nous décrit les efforts d’une paysanne qui, pendant dix ans, de son village jusqu’à Pékin, essaie d’obtenir justice. Un beau livre qui rappelle le film de Zhang Yimou de la belle époque (1992), « L’histoire de Qiu Ju » avec Gong Li dans le rôle principal.
Très différent est un roman, traduit uniquement en anglais (5), plus connu sous la traduction du titre chinois « Je suis Liu Yuejin ». C’est un roman policier où un migrant, qui travaille comme cuisinier, se fait voler ses papiers mais trouve une disquette dont beaucoup souhaitent s’emparer. Encore un succès de librairie et un film tourné par la cinéaste Ma Liwen en 2008 sous le titre « Lost and Found ».
Même les premières œuvres de Liu Zhenyun ont été utilisées comme scénarios. « Tapu », son premier succès en 1982 a été adapté par Wang Wei en 2007. Il faut noter que cette belle nouvelle vient d’être traduite en français (6).
« Les Mandarins »et « Peaux d’ail et plumes de poulet » (7) ont été combinés et un tournage pour la télévision a été réalisé par Feng Xiaogang en 1994, leur première collaboration à succès. Ce sont des textes très bien écrits à une période où l’auteur s’intéressait à l’évolution historique de son pays et avait une réelle volonté d’analyse critique.
Les turbulences de l’histoire et la censure :
Contrairement à des écrivains majeurs comme Mo Yan et Yan Lianke et si l’on exclut « 1942 » qui est un essai et non un roman, les turbulences de l’histoire jouent un rôle secondaire chez Liu Zhenyun, il explique même que « En un mot comme en mille », ce qui l’intéresse c’est la vie des gens ordinaires et cela seulement.
Cette position n’a rien à voir avec la censure. Il considère dans une interview de juin 2015 (8) que « There isn’t a country that does not impose censorship on artistic and literary works. Additionally, in China, the situation has improved noticeably in recent years.” “In a sense, one could view censorship as an important factor in the creation of great writers and directors in China. Pressure is not necessarily always a bad thing”!
Il est peut-être moins convaincu après la fermeture sans explication en janvier 2016 de “Beijing Zhongze Women’s legal counseling service », crée en 1995 par Guo Jianmei, une avocate connue dans le monde entier et qui est sa femme. Ce centre aidait les femmes, victimes de violences domestiques, de conflits du travail, de litiges sur les propriétés foncières…Cette opération fait partie des actions gouvernementales récentes contre les professions juridiques et la société civile.
« Le Téléphone Portable », un roman technologique :
A Sciences Po, il a peu parlé de son roman, « Le Téléphone Portable » qui vient d’être traduit en français (9). Ce roman est l’un de ses grands succès. D’abord un scénario pour un film de Feng Xiaogang ; le réalisateur aurait insisté pour qu’un roman soit rédigé et publié lors du lancement du film en 2003. Un succès considérable, 200 000 exemplaires vendus le premier mois et un film qui fut le plus gros succès de l’année au box office.
Le héros, Yan Shouyi est un animateur vedette d’une émission de télévision « Appelons un chat un chat » ; il parle beaucoup et souvent pour ne rien dire (la télévision chinoise n’a pas l’exclusivité de ce genre d’émission !). Il a passé son enfance dans un village du Shanxi et l’histoire de sa famille nous montre que l’on parlait peu et que les communications entre villages étaient longues et difficiles.
Le téléphone, le portable, a tout changé, notamment les relations entre personnes; leur manière de parler, de se comprendre, de mentir (« je ne peux pas vous parler maintenant, je suis en réunion ». La technologie du portable est au centre du récit et crée les rebondissements: comment passer d’une sonnerie à un vibreur, comment envoyer une photo ou un message, comment déconnecter la batterie…
Le récit est centré sur les infidélités de Yan Shouyi et de son ami Fei Mo. Les personnages ne sont pas toujours intéressants ou attachants, de ce fait on n’est pas captivé par un scénario qui hésite entre comédie et étude de mœurs. De plus le romancier est plus à l’aise quand son héros retourne dans son village que quand il nous le dépeint dans les couloirs de la télévision.
Yan Shouyi est un peu caricatural, mais en cette période d’élection présidentielle en France, il nous rappelle une règle fondamentale : quand on a du mal à justifier un mensonge, il faut vite inventer une autre histoire pour justifier la première !
Bertrand Mialaret
(1) Liu Zhenyun, « En un mot comme en mille », traduit par Isabelle Bijon et Wang Jiann-Yuh. Bleu de Chine- Gallimard. 2013, 720 pages.
(2) Yan Lianke, « Les Quatre Livres », traduit par Sylvie Gentil. Philippe Picquier, 2012, 410 pages.
(3) Liu Zhenyun, « Je ne suis pas une garce », traduit par Brigitte Guilbaud. Bleu de Chine-Gallimard, 2015, 292 pages.
(4) « Jin Ping Mei », traduit par André Levy ; la Pléiade, 2 vol. 1985.
(5) Liu Zhenyun, « The cook, the crook and the real estate tycoon », traduit par Howard Goldblatt.
(6) Liu Zhenyun “Les épreuves”, traduit par Grégoire Läubli et Zhang Zhenfeng et publié par Ming Books dans un bon recueil de nouvelles « Tranchant de Lune » 2015.
(7) Liu Zhenyun, « Les Mandarins » (2004) et « Peau d’ail et plumes de poulet » (2007) ont été traduits par Sébastian Veg et publiés par Bleu de Chine.
(8) The China File, 1/6/2015, interview par Ouyang Bin.
(9) Liu Zhenyun, “Le Téléphone Portable”, traduit par Hervé Denes en collaboration avec Jia Chunjuan. Gallimard-Bleu de Chine, 340 pages. Disponible le 20 avril 2017.
(10) Liu Zhenyun, « Cell Phone », translated by Howard Goldblatt. MerwinAsia 2011, 250 pages.