Le “Booker International prize”, doté par le Groupe Man, est attribué tous les deux ans, pour l’ensemble de son œuvre, à un écrivain de langue anglaise ou traduit en anglais. C’est un complément au « Man Booker prize », le Goncourt anglais.
La liste des 13 sélectionnés pour le prix international vient d’être publiée, elle comprend des écrivains très connus comme John Le Carré ou Philippe Roth, mais aussi et pour la première fois, deux écrivains chinois: Wang Anyi et Su Tong (lauréat l’an dernier du prix Man Asia pour un bon roman que l’on présentera bientôt, « The Boat to Redemption »).
On a déjà introduit l’œuvre romanesque de Wang Anyi et il y a quelques semaines son ouvrage sur Shanghai. Elle est aussi l’auteur de 130 nouvelles et petits romans dont on parle peu et dont certains viennent d’être traduits en anglais.
Des petits romans de la vie quotidienne :
Comme dit Wang Anyi (1) : « Male authors write about major events in society. Even when they write about personal feelings, it is always related to those issues. Works by female authors have their own characteristics: we prefer to write about daily life…I like to watch other people lives. I am not a reader but a spectator observing the lives of others and even the most trivial things…the main talent of a writer is to observe…”
Elle en fait la démonstration dans deux nouvelles, publiées en 2008 par FLP à Pékin, dans un ensemble de trois ouvrages regroupant sur plus de 1200 pages un grand nombre de nouvelles d’auteurs contemporains.
Les « Confidences dans un salon de coiffure » (2) ont obtenu le prix Lu Xun: la vie dans un petit salon avec le patron, deux employés et une cliente qui vient prêter main forte et qui raconte son histoire. Comme dans toutes les nouvelles de Wang Anyi, on ne peut s’attendre à des rebondissements, à des chutes imprévues, à des héros extra- ordinaires, mais à une petite musique bien plaisante.
« Une jeune fille dans un boudoir » (3) est un texte bien différent qui nous rappelle le chef d’œuvre de Wang Anyi « Le Chant des regrets éternels » (4). Cette jeune fille, éduquée pendant la Révolution Culturelle, vit avec sa mère, travaille comme comptable dans un jardin d’enfants. Le temps glisse sur elle; quelques prétendants bien vite éconduits, le crochet, la couture, les vêtements, la télévision et ses opéras, l’église pour sa mère, quelques amies, quelques collègues, le monde extérieur ne les touche pas, ne les atteint pas. Les conventions sociales et les préjugés priment sur tout le reste.
Un portrait intéressant et un clin d’oeil de l’auteur: un voyage des deux femmes au nord du Hunan, dans la belle région de Zhangjiajie puis au village d’Hibiscus où fut tourné le film plein du bruit et de la fureur de l’histoire d’après le livre de Gu Hua (5). A Hibiscus, elle est choisie parmi les spectateurs pour jouer une mariée !
Un recueil de nouvelles « Little Restaurant » (6) :
Ce livre publié en 2010, regroupe neuf nouvelles très différentes qu’il est difficile de situer car l’éditeur ne donne ni leur date de publication, ni leur titre chinois, ni le support de publication !(7)
La plupart de ces textes se situent autour de la Révolution Culturelle, mais la politique et les luttes de cette époque sont absentes. La Révolution Culturelle n’a que peu d’impact sur la vie des petites gens qui sont les héros de ces nouvelles sauf pour l’infirme Ah Qiao qui essaie de trouver une place dans la société.
Tout est écrit de manière très neutre, aucun militantisme mais pas non plus de critique !
On parle des jeunes « envoyés à la campagne », comme l’a été Wang Anyi, dans « Le banquet de noces » où l’on voit ces jeunes marginalisés dans une société paysanne.
Elle nous décrit aussi les migrants qui viennent de leur village pour se faire exploiter sur les chantiers de construction de Shanghai. Il est vrai que leur cousin « Le grand étudiant » qui prétend les défendre ne fait qu’aggraver la situation.
Ces nouvelles ont une intrigue très simple et sont assez statiques sans fin imprévue ou spectaculaire. Il n’y a pas le plus souvent de progression. Wang Anyi sait créer une ambiance, un climat parfois poétique (comme dans Ah Fang, la vendeuse de fruits). Parfois, l’accumulation de détails de la vie quotidienne, des vêtements, de la cuisine, peut lasser. Mais l’on est séduit par le portrait de certains personnages (Ah Qiao, l’étudiant…).
On est surpris par l’absence de la Shanghai moderne et de la nouvelle génération; a t-elle du mal à comprendre cette évolution comme la plupart des écrivains de sa génération, peut-être le sujet d’un prochain recueil de nouvelles !
Bertrand Mialaret
(1) Interview par Lena Scheen ; ILAS Newsletter hiver 2010.
(2) « The great masque and more stories by women writers » – FLP 2008, 450 pages.
(3) “ How far is forever and more stories of life in the city”- FLP 2008, 450 pages.
(4) “ Le chant des regrets éternels”, traduit par Yvonne André et Stéphane Lévêque. P.Picquier 2006; 675 pages.
(5) « Hibiscus » par Gu Hua, traduit par Philippe Grangereau. Robert Laffont 1987.
(6) « Little restaurant » ; traduction de Yawtsong Lee. Better Link Press, New York 2010, 360 pages.
(7) Ayant questionné l’éditeur, il me fut répondu par retour; ces nouvelles sont tirées de recueils ou de revues littéraires de 1998 et 1999.