Le premier recueil de nouvelles de Yiyun Li vient d’être traduit en français (1). On en a déjà parlé en août 2008 lors de la sortie en France du film de Wayne Wang « Un millier d’années de bonnes prières », inspiré de la nouvelle titre du recueil. Séduit par le talent d’une auteure totalement inconnue en France, je l’avais même contactée pour une interview téléphonique.
Couvert de prix aux Etats Unis, ce recueil est publié en France après le roman de Yiyun Li « The Vagrants », malencontreusement traduit par « Un beau jour de printemps » (2), un roman fort sur la fin de la Révolution Culturelle avec des personnages dont on se souvient.
En avril 2010, nous avions pu rencontrer Yiyun Li, venue présenter son livre à Paris et apprécier sa spontanéité, son charme et la qualité de ses réponses loin de la langue de bois ou des tirades standard que certains auteurs servent lors des interviews. Elle nous annonçait aussi un deuxième recueil de nouvelles « Gold Boy, Emerald Girl » (3), non encore traduit .
« Un millier d’années de bonnes prières » :
Des nouvelles qui témoignent d’un grand talent; on a déjà évoqué la nouvelle titre mais certains des autres textes sont de la même qualité. De la Chine à la Californie, de la Révolution Culturelle à la période contemporaine, ces dix nouvelles abordent des thèmes très différents mais avec une constante: l’analyse soignée du ou des caractères principaux, ce que Yiyun Li considère comme essentiel et que la littérature chinoise néglige assez souvent.
Des thèmes sociaux: une vieille femme, licenciée, qui se remarie à un homme frappé de la maladie d’Alzheimer. Un paysan, persécuté (« Les kakis ») par l’administration du contrôle des naissances, a enfin un fils qui est noyé par des responsables en goguette. Le déni de justice conduira à une vengeance sanglante.
Une nouvelle sur la jeunesse chinoise actuelle plutôt perdue comme « La princesse du Nébraska », enceinte d’un amant homosexuel, que convoite un homme plus âgé qui propose d’élever l’enfant à naître.
Parfois un caractère autobiographique comme « La mort n’est pas une mauvaise plaisanterie si on la raconte bien » ; on passe de la Révolution culturelle à la période moderne dans une grande maison, surpeuplée de différentes familles,.
La complexité des personnages et le caractère elliptique des descriptions peut conduire à un sentiment d’incompréhension comme dans « L’arrangement ». Mais parfois, on est ébloui; dans « Immortalité », Yiyun Li nous raconte l’histoire récente de la Chine, vue par de vieux eunuques à la retraite dans leur village, et, en développant l’épisode, par un sosie de Mao Zédong, célèbre puis oublié après la mort du « Grand Timonier ». Ecrit de façon impersonnelle, détachée, montrant l’impact des horreurs de l’Histoire sur certains personnages qui accusent pour se protéger.
Une excellente idée, le recueil est complété par la traduction d’un article de 2006 consacré à la vie de l’auteur et par un texte de Yiyun Li sur son roman « Un beau jour de printemps ».
La nouvelle reste mal aimée :
Le « Monde des Livres » du 13 mai dernier publie une interview de Marie-Catherine Vacher, éditrice chez Actes Sud, et des commentaires intéressants sur le genre de la nouvelle. « En Grande Bretagne et aux Etats Unis, il n’y a pas de genre mineur ou majeur. Alors qu’en France… s’est instaurée une curieuse hiérarchie qui, à mon sens, a largement contribué à dévaloriser la nouvelle, je pense même que certains éditeurs ont dû déconseiller -et déconseillent encore- à de jeunes auteurs d’en écrire au prétexte que cela ne se vendrait pas ».
Yiyun Li, comme d’autres, souligne les contraintes de la nouvelle qui ne supporte pas « l’à peu près » et qui exige une grande maîtrise.
La nouvelle est aussi exigeante pour le lecteur qui, concentré, doit passer d’un texte à l’autre. « Les Français ne savent pas lire les nouvelles car ils les abordent comme les chapitres d’un roman…comment comprendre le succès rencontré par les nouvelles vendues séparément et celui bien moindre des recueils ».
« Gold Boy, Emerald Girl » :
Un recueil de huit nouvelles, peut être plus ambitieux que le premier, notamment avec « Kindness », une longue histoire très subtile, très construite. Une jeune fille rejoint l’armée à 18 ans, elle est la fille adoptée d’une mère déséquilibrée, épousée par un homme beaucoup plus âgé. Pendant sa scolarité, elle a longtemps rendu visite à une voisine, professeur Shan, qui lui lit de l’anglais et lui apprend cette langue. Son lieutenant, Wei, une femme, a une attitude agressive et ambiguë mais se rapproche d’elle et lui facilite la vie à l’armée qui est devenue un refuge pour elle.
« Kindness binds on to the past as obstinately as love does, and no matter what you think of Professor Shan or Lieutenant Wei, it is their kindness that makes me indebted to them. For that reason, I know Lieutenant Wei will continue coming to me in my dreams, as Professor Shan still reads to me when I sit in my flat with one of her books in hand”.
D’autres nouvelles sont tout à fait contemporaines: des chantages sur internet (“A man like him”) et comment la réalité rejoint internet pour un vieux professeur retraité, comment la société pendant la Révolution Culturelle ou à l’heure d’internet, peut détruire un homme sans preuves.
Une nouvelle encore entre les Etats Unis et la Chine (« Prison ») : la mort d’un enfant, le désir d’une autre naissance, la nécessité d’une mère porteuse que l’on trouve dans un petit village chinois. Une histoire qui évoque aussi les vols d’enfants utilisés comme mendiants par des mafias.
Mais aussi des textes plein d’humour comme « House Fire » où un groupe de six femmes retraitées se sont découvert des talent de détective privé pour débusquer les maîtresses et protéger les mariages jusqu’au jour où le client est un homme …
Une rencontre arrangée dans la nouvelle titre: Siyu, élevée par son père, Honfeng par sa mère, tous deux assez isolés, un mariage sans enthousiasme : « they were lonely and sad people…and they would not make one another less sad, but they could, with great care, make a world that would accomodate their loneliness ».
Avec des livres de cette qualité, Yiyun Li est maintenant bien connue aux Etats Unis; il y a quelques mois, elle fut choisie pour figurer dans la liste, établie par le New Yorker, des vingt écrivains de moins de quarante ans qui comptent dans le monde. Honorifique bien sûr, mais une reconnaissance qui fut suivie par le prix Mac Arthur, cent mille dollars par an pendant cinq ans simplement pour que des individus « exceptionnels » développent leur talent ; elle pourra consacrer plus de temps à l’écriture…
Bertrand Mialaret
(1) Yiyun Li « Un millier d’années de bonnes prières », traduit de l’américain par Françoise Rose. Belfond 2011, 300 pages, 18 euros.
(2) Yiyun Li « Un beau jour de printemps », traduit de l’américain par Françoise Rose. Belfond, avril 2010 ; 440 pages ; 21,50 euros.
(3) Yiyun Li « Gold Boy, Emerald Girl », Random House, New York; 2010; 220 pages.