La Chine est maintenant le N°1 mondial tant pour le nombre d’internautes que pour l’utilisation de téléphones portables. Un tel environnement a permis un développement extrêmement rapide de la littérature sur internet. La création littéraire, le rôle des maisons d’édition, les rapports entre la littérature et les autres médias, tout cela en est bouleversé…
1- La Chine brûle les étapes :
La Chine, avec ses 460 millions d’internautes, a dépassé les Etats Unis; ils sont jeunes, ils se connectent longtemps et n’ont aucune réticence à lire des livres sur écran. Les téléphones portables (780 millions) sont utilisés sur le net et la lecture de livres sur portable est un marché en pleine évolution même si l’on est loin de la situation du Japon.
Près de 30 millions de blogs; il faut remarquer que leur développement a accompagné celui de la création littéraire sur internet mais ne l’a pas provoqué. Quant à l’environnement économique, il n’est pas, comme en Europe, dominé par les firmes américaines: les Google, Yahoo, Amazon, Ebay, ne sont pas leaders en Chine.
Enfin, l’industrie du livre électronique connaît une croissance accélérée. Les fonds de bibliothèque sont largement numérisés (et non par Google !) et 40% des éditeurs publient simultanément un texte sur les supports papier et électronique. La piraterie est importante et freine le développement du marché mais la tradition était déjà bien ancrée avec le support papier !
Le marché du lecteur (E reader) est limité (300 000 pièces au troisième trimestre 2011, ce qui est faible par rapport aux ventes du Kindle (Amazon) aux US. Les deux leaders du marché chinois: Hanvon (60%) et Shanda qui a lancé son propre lecteur (Bambook) pour 20%. La concurrence vient des tablettes, des petits portables et surtout de la lecture sur téléphone. L’entrée de Dang Dang sur le marché devrait développer la vente des lecteurs.
2- Littérature sur internet, un exemple à suivre ?
La littérature sur internet est née et s’est développée en dehors de l’édition.
Les premiers sites internet littéraires datent de 1995. En 1997 est lancé à Shanghaï Rongshuxia.com qui va devenir pour un temps l’animateur majeur. A partir de l’an 2000, c’est l’explosion; deux groupes principaux de lecteurs/contributeurs: les moins de vingt ans et les retraités. Entre ces deux groupes d’âge, on n’a guère le temps de lire et d’écrire !
Les volumes défient l’imagination. Le groupe Shanda qui a racheté les sites principaux (Qidian, le plus connu, Jinjiang et Hongxiu.com), totalise 70 millions de visiteurs unique par mois; un volume de 300 millions de pages par jour. Le site de Qidian est l’un des 30 sites les plus visités en Chine.
Il s’agit de textes de divertissement; les modes se succèdent: les romans sentimentaux ont toujours la cote surtout du côté féminin; récemment les arts martiaux (wuxia) sont un peu en perte de vitesse; par contre les romans fantastiques sur le thème des profanateurs de tombes ou des fantômes et autres vampires bénéficient de la popularité des romans type « Harry Potter ».
Par exemple, « Une bougie dans la tombe » de Zhang Muye, un roman fantastique écrit en un an, pendant ses loisirs, par un cadre financier générera six millions de contacts.
L’édition, de plus, limite ses risques : le succès sur internet se confirme, 600 000 exemplaires du livre ont été vendus et un film a suivi. Le site Qidian a publié 500 titres pour un total de 30 millions d’exemplaires.
3- Concurrence et « star system ».
La concurrence est sévère, les managers et les auteurs changent facilement de site. Lu Jinbo, un auteur sur le net, devient une vedette du marketing des sites littéraires et édite des écrivains aussi célèbres que Han Han et Wang Shuo.
Les portails généralistes comme Sina ou Sohu sont maintenant des concurrents des sites littéraires, non seulement parce qu’ils vendent des Ebooks en ligne mais surtout avec le développement de leurs propres auteurs sous contrat.
La difficulté majeure est de fidéliser les lecteurs; les positions ne sont jamais acquises. Il faut donc créer l’événement. L’attribution en 2002 du prix littéraire Lao She à Ning Ken, un auteur publié uniquement sur le net, a marqué les esprits.
Une nouvelle génération d’auteurs est née avec le web, ils sont jeunes et très soucieux de leur « look », ils occupent souvent les colonnes de la presse « people » par leurs aventures sentimentales ou leur mode de vie (Han Han est aussi pilote de course !)
4– Les entreprises multimédia, une chance pour la littérature ?
Le succès repose d’abord sur les membres, contributeurs et lecteurs. Le contributeur propose un texte qui, sélectionné, peut être mis en ligne. Certains auteurs sont sous contrat ( 4 000 chez Qidian). La première moitié de l’oeuvre peut être lue gratuitement, puis c’est 3 yuans pour 100 000 caractères (un montant très faible pour tenter de lutter contre la piraterie); ce revenu est partagé 50/50 entre le site et l’auteur. Les auteurs sont ainsi fidélisés mais aussi incités à augmenter la pagination ce qui n’est pas toujours une garantie de qualité.
Qidian a 150 000 contributeurs mais certains auteurs sont des forçats de la plume : Zu Hongzhi est un étudiant de 22 ans qui a abandonné l’Université de Suzhou et dont le pseudo est « j’aime manger des tomates » ! Comme dix autres auteurs, il gagne plus de 100 000 euros par an, mais a dû produire 10 millions de mots de romans d’arts martiaux dans les quatre dernières années !
Mais pour l’auteur sous contrat chez Qidian, l’objectif est certes d’avoir des lecteurs mais non plus d’être publié sous forme de livre et c’est là un changement fondamental. De plus avec internet, ce n’est pas une élite mais le plus grand nombre qui décide de la qualité d’une œuvre.
Les sites littéraires sur internet ont développé de nombreux services pour leurs membres, souvent en partenariat avec des tiers. D’autres médias ont été intégrés: stations de radio, négociation de droits pour les adaptations TV et cinéma et surtout pour les jeux vidéo.
75% du chiffre d’affaires (environ 280 millions de $) de la maison mère de Qidian (la société chinoise Shanda Interactive Entertainment, cotée en bourse aux Etats Unis ) provient des jeux vidéo et surtout de la popularité des jeux de rôle en réseau. Cela risque d’accentuer l’évolution de Qidian vers des œuvres de fantastique et de « fantasy » qui peuvent être à l’origine de nouveaux jeux vidéo.
Néanmoins des efforts sont faits pour améliorer la qualité des contributions: Qidian a financé la formation de 1 000 contributeurs par des stages de création littéraire avec l’Académie des Sciences Sociales de Shanghaï.
Certains pensent que ces sites littéraires sont des espaces de liberté. On peut en douter quand on voit la censure intervenir et surtout l’autocensure vis à vis des thèmes intouchables. Il convient de divertir et de ne pas poser ou se poser trop de questions; pas de violence excessive, de pornographie ou de « tendance politique négative » .
C’est pourquoi certains (Mo Yan, Wang Anyi), célèbres bien avant le web, pensent qu’il ne s’agit que d’une mode mais qu’il y a un risque que la littérature, qui a survécu avec peine à un pouvoir maoïste, puisse souffrir de ces évolutions. D’autres sont plus nuancés: Yu Hua a accepté que plusieurs chapitres de « Brothers » soient accessibles gratuitement et vient de publier une sélection des articles de son propre blog uniquement sous forme digitale. Shanda a déjà recruté comme consultant Wang Meng, l’ancien ministre de la Culture qui dirigeait la délégation chinoise au Salon du livre de Francfort.
Bertrand Mialaret
Un commentaire