Un musée de la littérature est une institution spécialisée dans la littérature considérée comme héritage culturel. Il s’ agit de promouvoir les connaissances sur la littérature et son rôle dans la société. Il existe dans le monde nombre de musées concernant des écrivains, particulièrement aux Etats Unis et en France mais bien peu de musées de la littérature. J’ avais été intéressé il y a quelques années par celui de Pékin, je viens de découvrir celui de Taiwan à Tainan, l’ ancienne capitale de l’ ile.
- Le musée de Tainan.
Le musée national de la littérature de Taiwan a été ouvert en 2003. Il est hébergé près du temple de Confucius dans un imposant bâtiment conçu en 1916 par l’ architecte japonais Mariyama Matsunosuke qui a également construit de nombreux bâtiments officiels à Taipei (dont le palais présidentiel).
Ce choix souligne l’ importance que l’ on attache à la littérature mais le musée avec ses salles de conférence, auditorium, hall, bibliothèque est très (trop) vaste et l’ on a le sentiment que la littérature est un peu perdue dans un tel cadre !
Des salles d’ exposition par thèmes, par périodes sans privilégier la vie et l ‘oeuvre des principaux écrivains de Taiwan. On veut montrer que la littérature de Taiwan existait bien avant l’ arrivée des Chinois du continent et de Chiang Kai-shek.
La littérature des écrivains aborigènes (14 tribus, 2% de la population) est particulièrement mise en valeur de même que la littérature (en japonais) pendant la période de colonisation (1905-1945).
La censure politique brutale du gouvernement du Kuomintang est bien oubliée ; on parle même de littérature érotique et les oeuvres de Qiu Miaojin, une talentueuse écrivaine lesbienne qui s’ est suicidée à Paris en 1995, sont exposées. Par contre, on ne mentionne pas la littérature sur internet (pour certains, cela ne fait probablement pas partie de la littérature !)
Les commentaires, si j’ en juge par les audioguides en anglais, sont très généraux, assez décevants et donnent peu d’ informations sur les écrivains ou leurs oeuvres. Certes des livres, des photos, des manuscrits, quelques objets personnels sont exposés mais ce n’ est pas le but principal. On veut parler de littérature plus que d’ écrivains.
Pas mal de visiteurs et notamment des jeunes ; l’ entrée est gratuite et le musée n’ est fermé que le lundi comme la plupart des musées à Taiwan. Des expositions temporaires sont régulièrement programmées, par exemple sur la littérature américaine.
A Taiwan, on visite peu les maisons d’ écrivains : à Tainan, la résidence de Bo Yang, un bon écrivain emprisonné à l’ Ile verte dans les années 1970 ; à Taipei, la maison de Lin Yutang. Un mémorial en l’ honneur de l’ écrivain Zhong Li-He, un classique, a été construit à Ménong, sa ville natale, Ã 50 km au nord de Kaoshiung.
Taiwan est en outre particulièrement bien doté de temples célébrant Wenchang Wang, le dieu de la culture et de la littérature, notamment à Taichung et à Kaohsiung. A Tainan, dans le complexe de la tour Chikkan, outre un pavillon dédié à Wenchang, on trouve, ce qui est beaucoup plus rare, un autel consacré à Kuiching, le dieu des examens, avec sa figure laide, sa jambe gauche levée et son pinceau pour lister les candidats.
- A Pékin, des musées littéraires et un musée de la littérature moderne.
On peut visiter de belles maisons d’ écrivains telles celles de Lao She, Mao Dun, Guo Moruo et bien sûr le musée Lu Xun mais le plus important est le musée chinois de la littérature moderne.
Ce bâtiment est situé dans le district de Chaoyang dans le nord de Pékin, massif et pas très élégant. Sa construction fut entreprise en 1981 à l’ initiative de Pa Kin alors président de l’ Union des Ecrivains.
Des collections très fournies, 300 000 pièces, documents, photos, mobilier, souvenirs. Une bonne présentation chronologique qui insiste sur la biographie des principaux écrivains et sur leurs oeuvres. Les cabinets de travail de plusieurs auteurs sont même reconstitués. Beaucoup de textes, des commentaires que peuvent traduire en anglais des étudiants préposés à l’ accueil des étrangers.
On est dans un musée très clairement politique : Jiang Zemin mêle ses autographes à l’ entrée du musée avec ceux des écrivains Ye Shengtao, Bing Xin, Pa Kin. On explique que la Chine est une, mais la littérature de Taiwan est reléguée dans une petite vitrine et je n’ ai pas le souvenir d’ écrivains de Hong Kong.
Les choix sont précis : Shu Yi, le fils du grand écrivain Lao She, expliquait que Liu Binyan et d’ autres liés à l’ épisode de Tiananmen ne seraient pas mentionnés dans ce musée.
Shu Yi a dirigé le musée pendant de longues années, il commentait les versions officielles et notamment celle du « suicide » de son père alors que sa mère expliquait qu’ elle n’ y croyait en aucune manière. La police refusa l’ autopsie et ne remit pas le corps à la famille.
Paul Bady, traducteur de Lao She et l’un de ses meilleurs connaisseurs, penche plutôt pour un suicide par les Gardes Rouge. Mais pour beaucoup tant en Chine que parmi les idolâtres de Mao Zedong à l’ étranger, un suicide était bien commode et évitait de rechercher des responsabilités et notamment celle de Zhou Enlai qui l’ avait vivement invité à rentrer en Chine et n’ avait pas su le protéger.
Quant à Pa Kin, il a fait édifier ce musée mais n’ a pas vraiment lutté pour son projet de construire un musée de la Révolution Culturelle ; comme il le dit « Osons proclamer la vérité et nous n’ avalerons plus les mensonges avec autant de facilité. C’ est seulement en gravant dans nos mémoires les évènements de la « Révolution Culturelle », que nous empêcherons l’ histoire de se répéter » (p.118) (1).
Bertrand Mialaret
- Pa Kin, « Pour un musée de la Révolution Culturelle », textes choisis et traduits par Angel Pino. Bleu de Chine 1996, 150 pages.