Bertrand MialaretOn ne cèdera pas à la manie saisonnière des bilans, qui, pour la littérature chinoise et sur un exercice, n’ont pas grand sens. On tentera simplement de se poser quelques questions après avoir suivi l’excellent MOOC « Ecrire pour le web », organisé par Rue89. Cependant, pour faire connaître la littérature, le web est une condition nécessaire mais non suffisante.
Lire et écrire sur le Web :
Un MOOC de quatre semaines, animé par une équipe composée notamment de Estelle Dumont, Valérie Vergez et Mathieu Deslandes et qui vient de se terminer. On retiendra un seul des grand thèmes: comment lit-on sur le Web ?
L’internaute est inondé d’infos sur le Web et les mots ne sont pas le véhicule le plus efficace pour capter l’attention du lecteur. De plus Jacob Nielsen analyse la manière dont les yeux lisent sur le Web en une sorte de F majuscule: le titre, les premières lignes et le début des premiers paragraphes puis un scroll jusqu’à la fin, le tout en quelques secondes.
Et pourtant c’est un click…Certains publicitaires refusent une facturation au click et n’acceptent que sur la base du temps passé sur l’article par le lecteur. Un auteur doit interpréter avec précaution ces statistiques et s’attacher lui aussi au temps passé et à la proportion de lecteurs qui reviennent sur le site.
Quelques secondes, désolant pour l’auteur? Non car l’on constate aussi que des articles longs et des sujets difficiles peuvent être appréciés. Le MOOC insiste sur la présentation, les titres, le chapeau, l’iconographie mais aussi l’articulation avec les réseaux sociaux…
2015 et mychinesebooks.com
Une vingtaine d’articles ont été publiés en français et en anglais dont près de la moitié en français sur Rue89. Les cinq articles les plus lus concernent des registres très différents:
1-« Les chroniques de Zhalie » de Yan Lianke, ou comment un village chinois se transforme en mégapole. Un grand écrivain particulièrement bien servi en France par son éditeur Philippe Picquier et ses traductrices Sylvie Gentil et Brigitte Guilbaud. Un futur prix Nobel ?
2- « Le dernier loup », un article sur le film de Jean-Jacques Annaud mais aussi sur le livre de Jiang Rong qui l’inspira et sur tous les débats environnementaux, politiques et idéologiques autour du livre.
3- « L’enfer des codes » de Mai Jia : un succès planétaire pour un bon roman présenté comme un thriller mais qui est en fait une plongée passionnante dans l’univers de la cryptographie et donc pas loin de la folie.
4- « Bonsoir la rose » de Chi Zijian, une auteure peu connue en France, qui nous fait découvrir la Mandchourie et l’histoire étonnante des juifs réfugiés à Harbin. On attend dans quelques mois la traduction de son magnifique roman sur les Evenki, éleveurs de rennes, qui vivent à la frontière de l’extrême nord entre Chine et Russie.
5- Murong Xuecun, une interview au séminaire de Leeds (UK): un jeune écrivain audacieux dans sa critique du pouvoir chinois, que l’on a pu rencontrer à Paris en septembre dernier au Festival du Monde à l’Opéra Bastille.
Un blog bilingue :
Certains articles, non publiés sur Rue89, concernent des écrivains dont l’œuvre est disponible surtout en anglais mais que l’on peut évoquer sur mychinesebooks.com, un blog bilingue dont la majorité des lecteurs est d’ailleurs anglophone.
Deux articles concernant les sœurs Zhu, Zhu Tianxin et Zhu Tianwen ont été très lus. Une satisfaction car ce sont des écrivains d’un accès assez difficile, très connues à Taiwan mais peu en Europe où Zhu Tianwen est surtout mentionnée comme la scénariste du grand cinéaste Hou Hsiao-hsien.
« Paper Republic », un lobby efficace pour la littérature chinoise :
Un groupe de traducteurs anglophones, vivant en Chine et en Grande Bretagne, s’est progressivement transformé de site internet de traducteurs spécialisés en un lobby utilisant le web pour développer les traductions de littérature chinoise dans le monde anglophone.
Pour cela des actions communes ont été menées avec des centres culturels, des universités telles celles de Leeds et des opérations de promotion efficaces organisées: cours de formation, concours de traduction…
La promotion des écrivains est organisée entre les traducteurs, les universités, les éditeurs alors que contrairement à la France, on ne peut compter sur le support des libraires indépendants. La présence sur les réseaux sociaux est également réalisée de manière systématique. Un revue trimestrielle « Pathlight » a été fondée avec un éditeur chinois.
La traduction de nouvelles a été privilégiée; elle permet de satisfaire la demande des éditeurs qui veulent des textes traduits avant de se décider et surtout de publier, sans lourd investissement, en Ebook.
De même, la collaboration avec l’éditeur Amazon Crossing, qui représente 14% des traductions publiées aux Etats Unis, est recherchée. Amazon vient récemment d’annoncer un investissement de 10 millions de $ pour développer son éditeur. En France, l’association des traducteurs littéraires s’est bornée, avant toute négociation, à les critiquer publiquement sur leurs pratiques et leurs tarifs !
Tout cela permet le schéma « Read Paper Republic », la publication gratuite d’une nouvelle traduite par semaine pendant un an, un outil de promotion exceptionnel…
Il y a quelques années, la France était LE marché de référence pour les traductions de littérature chinoise, cette situation risque de changer très rapidement…
Bertrand Mialaret