Deux films de Wang Bing viennent de sortir: « Fengming, chronique d’une femme chinoise », un documentaire étonnant de trois heures où une communiste convaincue raconte sa vie et la mort de son mari dans un camp; un ton détaché, maîtrisé mais où perce l’amour et l’humanité. « Le Fossé » est un film de fiction qui traite d’un camp de « rééducation par le travail » et de la famine de 1960. Ces deux films sont directement inspirés d’un recueil de nouvelles de Yang Xianhui.
1- Des récits de survivants baptisés « fiction » :
Yang Xianhui est né en 1946 dans le Gansu, il finit des études secondaires à Lanzhou et en 1965 est envoyé « à la campagne » dans une ferme du désert de Gobi. C’est là qu’il rencontre d’anciens « droitiers » et qu’il entend pour la première fois le nom du camp de Jiabiangou. Il reste seize ans dans cette ferme, jusqu’en 1981, comme paysan puis vendeur au magasin de la ferme, comptable puis enseignant.
Il commence à écrire, publie quelques nouvelles et va vivre à Tianjin, où il réside encore aujourd’hui et devient « écrivain professionnel ». En 1997, il visite Jiabiangou; il ne reste quasiment rien. On lui refuse l’accès aux archives provinciales mais il apprend que c’est seulement en 1987, à la suite des protestations des paysans que les ossements ont été totalement enterrés !
Pendant cinq ans, il va retrouver une centaine de survivants et parvient à les faire parler. En 2000, il publie dans la revue « Littérature de Shanghai » la nouvelle « Une femme de Shanghai » qui crée un choc dans l’opinion , puis onze nouvelles. En 2003, un recueil « Adieu à Jiabiangou » est publié. Les nouvelles ont reçu de nombreux prix et suscité beaucoup d’intérêt particulièrement dans le Gansu.
Il s’agit officiellement de fiction alors que ces textes sont de la « littérature de reportage » souvent proches des interviews. Le traducteur, Wen Huang, journaliste vivant à Chicago, a été subventionné par le PEN Center et a travaillé avec l’auteur pour « adapter » dix neuf nouvelles qui seront publiées en anglais en 2009 (1). Ce texte a ensuite été traduit en français et publié chez Balland en juin 2010 (2). On notera les trois couvertures de ce même livre : la chinoise avec l’entrée d’un dortoir souterrain, l’américaine pour faire vendre, la française, peu adaptée…
2- Littérature et témoignages sur les camps :
La littérature sur les camps de travail est importante et a permis de faire connaître au monde un phénomène d’une ampleur considérable que la jeune génération chinoise ne connaît pas ou ne veut pas connaître.
La qualité littéraire est très variable. Des œuvres de grand écrivain comme Zhang Xianliang (3) ; des témoignages comme celui de Jean Pasqualini, fils d’un père corse et d’une mère chinoise, qui passa sept ans dans un camp et fut libéré en 1964 à la suite de la reconnaissance diplomatique de la Chine par la France (4).
Il convient de distinguer le « Lao Jiao », l’éducation par le travail, pour des gens qui ont commis des erreurs plutôt que des « crimes » (ce qui était le cas de la majorité des « droitiers ») et le « Lao Gai », réforme par le travail. En théorie, le « Lao Jiao » dure trois ans et les droits civiques sont conservés pendant le séjour au camp.
Il ne faut pas non plus confondre ces camps avec les fermes/camps organisés dans le Xinjiang par l’Armée de libération populaire (Corps de Production et de Construction du Xinjiang). Cette organisation, considérable, connue sous le nom de Bingtuan, dirigée directement de Pékin, a constitué la suite du système traditionnel du « tuntian » qui consiste à installer dans les zones frontalières des unités militaires qui doivent s’y implanter, cultiver et acquérir leur autonomie de subsistance.
Concernant le « Lao Gai », on pourra lire avec intérêt les livres de Harry Wu, qui séjourna 19 ans dans divers camp^s (5) et qui, aujourd’hui aux Etats Unis, anime la « Laogai Research Foundation » et a crée le musée Laogai à Washington (http://laogaimuseum.org ) .
3- Les Cent Fleurs, les droitiers et le Grand Bond en Avant :
En 1957, après une année de malaise social et le VIIIeme congrès du Parti Communiste qui montre une direction divisée, il s’agit de rectifier le style de travail par la critique mutuelle. Le slogan « que cent fleurs s’épanouissent » et la libéralisation temporaire de la presse conduisent en mai-juin 1957 à une explosion de critiques. Le pouvoir se croit menacé et réagit vite et vigoureusement. La campagne « anti-droitière » envoie environ 500 000 droitiers dans des camps de rééducation par le travail par simple décision administrative et sans condamnation par la justice.
Les professions juridiques, les milieux universitaires, les fonctionnaires sont particulièrement visés comme le seront nombre d’écrivains et notamment Ding Ling.
En 1958, c’est le « Grand Bond en Avant », une mobilisation politique sans aucun rapport avec la réalité économique qui se termine par un effondrement économique aggravé par la fin de l’aide soviétique et par des calamités naturelles.
La famine des années 1960-1962 entraîne autour de 30 millions de morts (6) et un déficit de naissances au moins équivalent. C’est dans ce contexte que se déroule la vie et la mort au camp de Jiabiangou au nord du Gansu, en bordure du désert de Gobi, qui compta jusqu’à trois mille prisonniers. Fin 1960, quand le camp fut fermé à la demande des autorités centrales, il restait à peine 500 survivants (qui furent renvoyés chez eux) et un médecin qui s’occupa des archives pour déclarer les maladies dont seraient morts les prisonniers victimes de la faim.
4- La force et l’horreur du « Fossé », un film interdit en Chine :
Le « Fossé » est le premier film de fiction de Wang Bing, connu pour son monumental documentaire sur la mort d’une ville industrielle du nord-est de la Chine (« A l’Ouest des rails »).
Le tournage de ce film, préparé par des rencontres avec les survivants, a été totalement clandestin autour du camp de Mingshui où des prisonniers de Jiabiangou avaient été transférés. Les prisonniers qui vivaient dans des dortoirs souterrains, de type troglodyte, creusaient un fossé qui devait permettre l’irrigation ultérieure de la région.
Un paysage plat et désertique, le vent, le froid, la faim, les cadavres qu’il faut recouvrir de sable tous les matins. Le seul objectif est de survivre, par TOUS les moyens…
La photographie est sublime et la musique très réussie mais le film dans sa force et sa crudité, n’a pas la complexité des nouvelles. L’épisode de la visite au camp de « La femme de Shanghai », l’une des nouvelles les plus émouvantes est un épisode décevant qui s’intègre mal dans le film.
Mais c’est un film courageux, qui fera date et qui, je l’espère, conduira à lire un recueil de nouvelles de très grande qualité.
Bertrand Mialaret
(1) Yang Xianhui, « Woman from Shanghai, tales of survival from a chinese labor camp”. Pantheon Books 2009, 300 pages.
(2) Yang Xianhui, “Le chant des martyrs, dans les camps de la mort de la Chine de Mao”, traduit de l’anglais par Patricia Barbe-Girault, Balland, juin 2010.
(3) Deux livres de Zhang Xianliang ont été réédités chez Belfond: « La mort est une habitude » , « La moitié de l’homme c’est la femme » .
Zhang Xianliang a passé vingt ans dans divers camps ou prisons ; le journal de cette période a été publié en langue anglaise « Grass Soup », Minerva UK, 1994.
(4) Jean Pasqualini, « Prisonnier de Mao », Gallimard 1995.
(5) Harry Wu, « Vents Amers », Bleu de Chine, 1995 et « Retour au Laogai », Belfond 1996.
Frank Dikotter, « Mao’s great famine », Bloomberg 2010, 420 pages
« La qualité littéraire est très variable. » Absolutely. Zhang « Half of Man is Woman, » Xianliang’s novel about the effects of being imprisoned in a camp, is a classic.
But I can’t help wondering about how good Yang Xianhui’s « Woman from Shanghai »might be. Haven’t read it, but I did read his new book of short stories about ethnic Tibetans in Gansu, « Chronicles of South Gansu » (Gānnán jìshì). It’s really pretty poor. Those stories seem like they are based on fact, but he doesn’t know quite how to « fictionalize » them. As a result, they don’t « ring true. »
This is an important challenge in China, where writing about labor camps or unflattering portraits of ethnic minorities must be done very carefully. Otherwise,they will be heavily censored or simply not published.
Agree with you Bruce; I was reluctant to read this book because of the cover (in the US) and the fact that the translator acknowkledged that the stories had been adapted with the author for a foreign audience. But I have not been disappointed. There is always a risk with adapted interviews. The same goes for Liao Yiwu, Zhang Xinxin or Feng Jicai…Look at Xinran, « China Witness, voices from a silent generation » could have been a great book as some of her previous collections of interviews; but severe editing would have been needed and 80 pages deleted; a pity because some of the interviews are first class…