Yu Hua est surtout connu pour ses romans, notamment « Vivre », traduit en français en 1994, et plus récemment « Brothers » (Actes Sud, 2008). Mais les nouvelles sont une part essentielle de son œuvre; un nombre suffisant a été traduit, ce qui permet d’en mesurer l’importance et l’évolution. C’est pourquoi, il faut saluer la publication récente de « Boy in the twilight », un recueil de treize nouvelles, écrites entre 1993 et 1998, traduites en anglais par Allan H. Barr (1), son traducteur depuis de longues années.
1-Des nouvelles sur la vie en province de Chinois ordinaires:
Ce recueil est très différent du premier, traduit en 1996 par Andrew F. Jones (2) reprenant des nouvelles des années 1986 à 1988. Les textes de cette période très marqués par la Révolution Culturelle sont cruels, sanglants et cultivent un style « moderniste »; il s’agit d’explorer toutes les possibilités du « comment l’on raconte » et l’influence de Kafka et Robbe Grillet est présente.
Ces nouvelles ont été publiées en français séparément (« Un monde évanoui », P. Picquier 1994), (« Un amour classique », Actes Sud 2000), (« 1986 », Actes Sud 2007) ou pour certaines reprises dans un recueil publié en 2009, « Sur la route à dix huit ans »(3). Ce recueil dont on a déjà parlé, comprend aussi des nouvelles plus tardives (1996-1997) dont trois sont également traduites par Allan H. Barr.
« Boy in the twilight », s’intéresse à la vie des chinois ordinaires, généralement dans des petites villes de province, il y a près de vingt ans. Yu Hua ne nous parle pas des transformations de son pays mais de la nature humaine et de ce fait,ces textes sont toujours actuels.
Le narrateur est détaché et ne manifeste guère d’émotions malgré la brutalité et la cruauté de certains de ces textes. Ces nouvelles concernent toutes la famille au sens large mais centrées sur les couples et en soulignant dans trois d’entre elles que ce sont les enfants qui paient le prix le plus lourd.
2-La famille, des couples, des enfants:
Dans « No name of my own », un simplet, Laifa, pourrait être un héros de Lu Xun; sa chienne est la seule personne qui partage sa vie mais il ne saura la protéger et elle finira mangée. « Boy in the twilight » est particulièrement violent: un jeune garçon vole une pomme, on le rattrape, on le ligote…Le vendeur se venge en fait de sa femme qui l’a abandonné à la mort de son fils noyé; une vraie réussite, une nouvelle de dix pages. Par contre « Timid as a mouse » qui narre les aventures d’un père et de son fils aussi peu courageux l’un que l’autre, manque de rythme et ces trente deux pages ne sont guère convaincantes.
Cinq nouvelles concernent les relations de couple. « Victory » nous détaille la stratégie d’une femme qui veut se venger d’une infidélité de son mari. Le mari résiste et le hasard permettra au couple de surmonter ses difficultés. Dans « Mid air collision », un récit léger, plein d’humour ou comment des amis se retrouvent grâce à l’un d’entre eux, homme à femmes, qu’ils doivent protéger malgré les réserves initiales de leurs épouses !
« Why there was no music » est assez déprimant: Lu Yuan, la femme de Horsie, le détache de ses amis, transforme leur appartement en une salle d’exposition de ses portraits. Une vidéo empruntée lui prouve l’infidélité de sa femme avec un de ses amis. Pas de drame, Horsie n’est pas vraiment concerné, les relations vont continuer…
3-Littérature et censure:
La brutalité des relations sociales que dénonce ces nouvelles, une société sans justice, ces thèmes ne créent pas de difficultés pour Yu Hua qui ne critique jamais directement ni le système politique ni le Parti. Il possède un véritable talent pour éviter de franchir la ligne jaune. Et quand il sait qu’elle sera franchie, par exemple par une évocation très émouvante de la répression de la place Tiananmen, dans le premier texte « People » de son recueil d’essais « La Chine en dix mots »(4), le recueil n’est pas publié en Chine. Pour la littérature, le système est plus permissif et son roman « Brothers » n’a pas été censuré, pas plus que son dernier livre « The seventh day », publié en juin 2013.
Il faut lire les articles de Yu Hua dans le New York Times (traduits également par Allan H. Barr, professeur à Pomona College en Californie). Il commente avec talent des évènements d’actualité de son pays. Il nous parle d’internet, de la censure, des séquelles de la Révolution Culturelle, des fraudes alimentaires, des contrefaçons…Il souligne que le style de ces articles doit être tout à fait différent de celui qu’il utilise dans ses romans et pourtant pour son dernier livre, « The seventh day », on lui a reproché d’utiliser un style non adapté à un roman.
4- « The seventh day »:
Publié en juin 2013 et tout d’abord un grand succès; 700 000 exemplaires réservés avant la sortie du livre. Il s’agit d’un tour de sept jours, du tour de Yang Fei, le héros, mort dans un accident. Ne pouvant payer un cimetière très onéreux, il devient une âme errante qui va rencontrer d’autres âmes qui n’ont pu être enterrées. Ces pérégrinations soulignent les absurdités qui sont le lot de la vie quotidienne des Chinois.
Les critiques ont été virulentes: on lui reproche d’évoquer des évènements récents et largement connus et ce livre est plus un recueil de nouvelles qu’un roman. Les personnages seraient plutôt falots et ne servent qu’à tenir ces nouvelles en un tout plus ou moins cohérent. Le style a même été qualifié de langage de blog…Les lecteurs ont attendu sept ans pour ce roman mais ils avaient dû patienter plus longtemps encore pour « Brothers » et ne l’avaient pas regretté…
Bertrand Mialaret
(1) Yu Hua, « Boy in the twilight », traduit par Allan H. Barr, 200 pages. Pantheon Books, 2014.
(2) Yu Hua, “The past and the punishment”, traduit par Andrew F. Jones; University of Hawai’i Press, 1996.
(3) Yu Hua, “Sur la route à dix huit ans”, traduit par Jacqueline Guyvallet, Angel Pino et Isabelle Rabut. Actes Sud, 2009.
(4) Yu Hua, « La Chine en dix mots », traduit par Isabelle Rabut et Angel Pino, 330 pages, Actes Sud, 2010.