Près de trente ans après sa mort, elle demeure une célébrité en Chine et à Taiwan ; un million de « followers » sur son compte Weibo. Son livre le plus connu « Stories of the Sahara » (1) vient d’être traduit en anglais. Un énorme succès en 1976 et dix millions d’exemplaires vendus après une publication en feuilleton par le journal de Taiwan « United Daily News ».
Son souvenir attire les touristes chinois, même à El Aaiun, la capitale de l’ancien Sahara espagnol où elle résida trois ans avec son mari José. A El Aaiun, il y a un hôtel, le San Mao Sahara, et aux iles Canaries, des circuits Sanmao sont organisés ainsi que la visite de la tombe de son mari José Maria Quero.
De même en Chine, à Dinghai (Zhejiang), dans les iles proches de Ningbo, un musée lui est consacré où on peut admirer le crâne de chameau que José lui a donné comme cadeau de mariage. Le district de Dinghai a même organisé un prix littéraire Sanmao.
Cependant elle n’est plus la référence absolue pour de jeunes Chinoises éblouies par son audace, ses histoires d’amour et surtout ses voyages. Plus de 50 pays, ce qui était exceptionnel dans les années 1980, ne l’est plus à ce point pour la jeune génération. Néanmoins son existence très romanesque fait d’elle une personnalité unique.
- Etudes et voyages dans le monde entier :
Chen Mao-Ping est née en 1943 à Chongqing dans une famille chrétienne originaire de la province du Zhejiang ; son père était avocat et elle avait une sœur et deux frères. Elle a pris comme nom de plume Sanmao en référence au petit personnage de Zhang Leping. En anglais, elle était connue comme Echo ou Echo Chan du nom de la nymphe de la mythologie grecque.
En 1949, la famille part pour Taiwan où Sanmao supporte mal le système éducatif très strict. Elle lit énormément, de la littérature chinoise mais aussi occidentale. Après des résultats catastrophiques en mathématiques, elle arrête l’école. Son père lui enseigne la littérature et l’anglais et recrute un professeur, le peintre Gu Fusheng qui encourage ses goûts pour la littérature.
Un an de philosophie à l’université de Taipei et déjà à dix-neuf ans, elle commence à publier. Puis pendant quatre ans, des études à Madrid, en Allemagne puis à Chicago, entrecoupées de nombreux voyages. Elle retourne pour un an à Taiwan où elle enseigne mais repart en Espagne en 1972.
Elle retrouve José Maria Quero qu’elle avait connu quand il n’avait que seize ans. Il est maintenant diplômé et a fait son service militaire. Sanmao veut vivre au Sahara, José se fait recruter par les mines de phosphate de Boukraa, à 50 kilomètres au nord de la capitale du Sahara espagnol, El Aaiun où ils loueront une maison ; ils vont s’y marier en 1974.
- Sanmao et le Sahara :
« Stories of the Sahara » comprend une vingtaine de textes très différents : la vie quotidienne du couple à El Aaiun, leurs voyages au Sahara, leurs voisins, Sanmao devenue éducatrice et infirmière dans cette société féodale, les troubles de 1975-1976, à la fin de leur séjour.
El Aaiun, la capitale, a été fondée dans les années 1930 après la découverte de nappes phréatiques. Une petite ville pour le commerce et l’administration coloniale espagnole. Ils louent une maison en dehors du centre, l’aménagent et la meublent avec talent même si périodiquement les chèvres sautent du toit dans leur logement.
Samao, indépendante et vigoureusement féministe, est aussi une femme d’intérieur. Elle nourrit fort bien José parfois avec des produits expédiés par sa mère. « Married life is all about eating. The rest of the time is spent making money in order to eat. There really isn’t much more to it” (p.21).
Mais à l’époque, pour ses lectrices, une femme qui épouse un étranger, qui vit dans le désert loin de sa famille et qui n’a pas d’enfants, était une transgression exceptionnelle des normes sociales.
Peu de contacts avec la vie coloniale en dehors des collègues de José. Quasiment pas de télévision et des journaux avec beaucoup de retard. Elle lit, écrit et ne se plaint pas vraiment ni de la monotonie ni du climat. Les voyages sont un grand plaisir; « there is no other place in the world like the Sahara. This land demonstrates it’s majesty and tenderness only to those who love it” (p.332). Ils vont aussi parfois sur la côte rocheuse et escarpée pour pêcher et ramasser des moules et des ormeaux.
A part un voyage de noces de 2000 km., ce sont des tournées courtes car José n’a pas de congés. Ils recherchent des fossiles dans le désert. José est pris dans des sables mouvants, un récit angoissant (Night in the wasteland) où elle est poursuivie par trois sahrawis.
Les voisins sont une composante essentielle de la vie quotidienne. Sanmao a une attitude ambiguë; elle se plaint sans cesse de leur odeur corporelle car les sahrawis ne se lavent guère. Pour les nomades, un bain tous les trois ou quatre ans ! Mais sa porte est toujours ouverte, les voisines et leurs enfants sont chez elle en permanence pour emprunter quelque chose, essayer ses vêtements, papoter…José est sollicité pour réparer l’électricité du voisinage…Mais quand, à leur tour, ils ont besoin d’un coup de mains, les portes se ferment.
Elle est très sensible à la pauvreté des femmes surtout hors de la ville, à leur état sanitaire désastreux. Pas question de se laisser examiner par un médecin mâle. Elle devient infirmière, distribue des médicaments mais José s’oppose à ce qu’elle pratique des accouchements.
C’est une société féodale. Le mariage de la fille très jeune de son voisin, décidé par le père et le frère, la dot à payer, les festivités, la nuit de noces, tout cela la révolte. L’esclavage reste présent, elle nous conte dans « The mute slave », l’histoire d’un esclave noir et de sa famille. Ce sont les chefs de tribus qui sont les plus grands propriétaires. La situation s’est améliorée mais on signale encore actuellement de l’esclavage dans les camps sahrawis de Tindouf.
- Un livre justement célèbre :
Un ouvrage qui se lit facilement même sans connaissances de la littérature chinoise ou du Sahara espagnol. Aucune prétention scientifique, historique ou ethnologique. L’auteure de la préface, Sharlene Teo, une romancière singapourienne qui vient de publier un bon roman « Ponti » (2), cite Sanmao « when I began to write, I decided to faithfully record the life of ordinary people whose voice go unheard”. Le quotidien peut être sublime.
Un style très plaisant, elle nous parle presque à l’oreille comme à un ami. Quelques descriptions sans emphase qui soulignent son amour pour le Sahara. Elle précise ses idées, ses dégoûts, ses révoltes mais sans tenter de convaincre le lecteur ou de développer des présupposés idéologiques ou politiques. Elle a aussi beaucoup d’humour et les ambiguïtés de culture avec José ou les sahrawis sont souvent réjouissants. Un grand souffle dans ce livre, le désir de liberté.
- Les troubles de 1975-1976 et le départ :
L’indépendance du Maroc, de l’Algérie et de la Maurétanie, conduit ces trois pays à vouloir se partager le Sahara espagnol, rendu intéressant par de grandes réserves de phosphate. Les premiers mouvements indépendantistes se créent dans les années 1970. Onze morts à El Aayun ; Mohammed El Basri, le leader est assassiné en prison.
A Lemseyed, une petite oasis, des soldats espagnols sont égorgés dans leur sommeil. Un seul survivant, le sergent Salva qui, trop saoul, n’était pas rentré au camp. Un texte splendide sur ce sergent (p.246) où Sanmao reprend en quelques pages, les évènements de l’époque.
Les références historiques sont très limitées, ce qui peut être gênant car elle utilise des personnages historiques de manière fictionnelle ; par exemple dans « Crying camels », Bassiri réapparait comme leader des indépendantistes et mari de Shahida, une infirmière persécutée parce que catholique. Ils seront tués dans le livre par les sahrawis en 1975.
Sanmao et José quitteront le Sahara pour les iles Canarie début 1975. Madrid n’a pas été une option car les relations avec sa belle-mère sont plutôt complexes. Cela n’a pas créé de difficultés entre eux et le livre est une continuelle déclaration d’amour à José même si elle souligne ses défauts, ses faiblesses et leurs différences de culture. La mort de José en 1979 lors d’une plongée est une catastrophe. Elle rentre chez ses parents puis revient aux Canaries.
En 1981, après six mois en Amérique Latine pour le journal United Daily News, elle enseigne avec succès à l’université et publie beaucoup : récits de voyage, fiction, traductions, scénarios… Un film de Yim Ho « Red Dust », en 1990 avec Maggy Cheung et Brigit Lin, connait un très grand succès.
Des chansons célèbres, notamment « L’olivier », chanté par Chyi Yu https://youtu.be/LZb8fJZFhlo et dont on trouvera le texte traduit (https://supchina.com/2019/04/07/friday-song-chyi-yu-the-olive-tree-san-mao/ ).
Les dernières années seront noires du fait d’un cancer. Elle se suicide à l’hôpital de Taipei en janvier 1991. « In this life, I’d always felt I wasn’t part of the world around me, I often needed to go off the tracks of a normal life and do things without explanation” (p.171).
Bertrand Mialaret
- Sanmao, “Stories of the Sahara”, traduit par Mike Fu, Bloomsbury 2019, 390 pages.
- Sharlene Teo, “Ponti”, Picador 2018, 290 pages.