Après un article sur son premier livre « La Ville de Pierre » et une interview il y a dix ans, liée au succès de son roman « Petit Dictionnaire anglo-chinois pour amants », j’avais été déçu par les trois livres qui ont suivi, « 20 Fragments d’une jeunesse vorace » (traduit en français), le roman « UFO in her eyes » et les nouvelles de « Lovers in the age of indifference ».
Un cinquième livre « I am China » est de bien meilleure qualité mais c’est son autobiographie « Once upon a time in the East, a story of growing up » publié en 2017 qu’il convient de saluer car c’est une grande réussite.
Guo Xiaolu a 45 ans, sa fille Moon est née en 2014, elle vit à Hackney, un quartier libéral et cosmopolite du nord de Londres avec un philosophe australien Stephen Barker. Elle a également dirigé et produit une dizaine de films (non distribués en Chine) dont elle parle d’ailleurs peu dans son livre.
Elle n’aime pas l’acte d’écrire qui est une activité solitaire, ce qui n’est pas bon pour la santé de l’individu ! De plus les langues lui créent de réelles difficultés. Elle écrit à la fois en anglais et en chinois. Mais comme elle vit souvent à Berlin, elle apprend également l’allemand. Le chinois, mais quel chinois, le mandarin bien sûr mais aussi le dialecte de sa province qui lui permet de comprendre les Wenzhou quand elle se promène à Paris.
Comme elle le dit « la langue est une aliénation, elle ne me permet pas de me sentir chez moi. Elle me dit que j’habite dans un endroit qui n’est pas fait pour moi ». Ce sentiment est renforcé par le fait que citoyenne britannique, elle n’a plus de passeport chinois.
Mais écrire dans une langue étrangère est une sorte de libération de l’auto-censure, cela lui permet d’être beaucoup plus directe. Elle souligne à juste titre la censure qui existe aussi en Occident, une censure de type commercial soutenue par l’industrie de l’édition qui favorise la narration traditionnelle. Une censure de type politique ou religieux également, deux pages sur un avortement ont été coupées dans l’édition américaine d’un de ses livres.
- Des images de la vie quotidienne :
La première partie de « Once upon a time… » est consacrée à son village de Shitang, déjà évoqué dans « La Ville de Pierre » où elle a passé ses premières années avec ses grand- parents. Des petites scènes très réussies qui nous rappellent ce qu’était la Chine il y a quelques générations : sa grand-mère vendue enfant à son mari, un pêcheur Hakka, contre un sac de riz et 8 kg de patates douce. Les femmes qui n’ont pas le droit de monter dans des bateaux de pêche pour éviter le mauvais sort…
Pas de misérabilisme même si la vie est très dure. Un moine interrogé par sa grand-mère lui dit qu’elle est une « paysanne combattante » qui traversera les mers et voyagera dans les neufs continents.
A huit ans, elle va rejoindre ses parents à Wenling, à 12 heures de bus (aujourd’hui à deux heures de voiture). Sa mère a « un cœur de pierre », c’est une paysanne qui méprise les villageois, sait à peine écrire son nom mais, pétrie d’idéologie maoïste, a été longtemps membre de la troupe de danse et de propagande de son usine.
Elle a épousé le père de Xiaolu, malgré l’opposition de sa famille ; certes c’est un communiste convaincu mais il est professeur et voulait dessiner et peindre. Après l’épisode des « Cent Fleurs », il est envoyé en rééducation dans une carrière. Il sera plus tard réhabilité et recruté par le Bureau de la Culture de la ville.
A Wenling, la Révolution Culturelle est maintenant terminée mais la vie quotidienne reste saturée de propagande politique. Tous ont été impliqués et beaucoup ont souffert même si les habitants ne comprennent pas vraiment ce qui est arrivé.
Les relations de Xiaolu avec sa mère sont mauvaises et ses contacts avec son frère très limités. Elle est gênée à l’école par des problèmes de vision mais ne portera des lunettes que bien plus tard à Pékin.
- Viol et Avortement :
A douze ans, elle est violée par un collègue de travail de son père dont elle donne l’identité. Plus tard, elle sera, pendant plus d’un an, la maîtresse de son professeur de sciences ; un avortement à l’hôpital d’une ville voisine clôturera cette relation.
Elle lit beaucoup, écrit, publie ses poèmes qui seront primés. Elle est séduite par le groupe des poètes modernistes chinois, les « Misty Poets ». Elle se dégage de sa famille ; sa grand-mère ne parvient pas à vivre à Wenling avec sa mère ; son père voyage près d’une année le long des côtes chinoises pour accumuler des esquisses. En septembre 1993, à 20 ans, elle s’installe à Pékin, elle a été reçue à l’Académie du Film où sept places étaient disponibles pour 6000 candidats !
Ses longues études lui permettront de rencontrer des cinéastes tels Jia Zhangke, de nombreux artistes plus ou moins marginaux qui restent très machos. Son ami Jiang la bat, elle le quitte pour Paul, un cinéaste occidental pour qui elle n’est qu’une aventure. Elle voyage en Chine avec un Américain, Andy, qui doit quitter la Chine pour Taiwan. Elle n’accepte plus d’être émue par des hommes, surtout par des Chinois…
- « 20 Fragments d’une jeunesse vorace » :
Sa vie et ses aventures pékinoises vont la conduire à écrire un premier roman, court, un peu bâclé, publié en chinois et revu lors de sa traduction en anglais. Elle crée un personnage, Huizi, pour qui elle écrit des scénarios, qui est en fait Haizi, un poète très célèbre de la jeune génération qui s’est suicidé en 1989. Huizi lui cite des poèmes de Cha Haizong, le vrai nom de Haizi et notamment un texte très connu « Facing the ocean, the warmth of spring is blooming ».
De nombreux épisodes de sa vie à Pékin sont retracés et plusieurs de ses amours, même si ses échecs la conduisent à devenir « a person who was very good at hiding her emotions. Maybe that was why people thought I was heartless » (p.80). Mais tous les personnages qui l’entourent n’ont que peu d’épaisseur. Un second roman autobiographique est alors publié « La ville de Pierre » (1) un livre intéressant et plaisant dont j’ai déjà parlé.
A Pékin, elle ne parvient pas à financer ses films ; elle rédige des scénarios qui sont rejetés par la censure. Elle a besoin d’argent et écrit avec succès des séries TV. Il est plus facile d’être écrivain que réalisatrice ! Finalement elle obtient une bourse pour Chevening, une bourse pour les futures élites. Elle quitte Pékin en 2002 pour la Grande Bretagne.
- Nomadisme en Europe : Londres, Berlin, Paris…
Elle doit étudier pendant un an la réalisation de documentaires à la National Film and TV School. Elle rencontre Daniel, un élève de son école, également livreur, un peu hippy, dans sa famille au Pays de Galles où il entraine Xiaolu. Elle rentre sans regrets à Londres pour faire un film et écrire en anglais « Petit Dictionnaire chinois-anglais pour amants » (3). Elle envoie le livre à l’éditeur Toby Eady, décédé il y a quelques semaines, le mari de la romancière Xinran. Un grand succès, un livre traduit en plus de vingt langues.
Deux livres peu convaincants, en anglais, suivront, un par an. Dans « UFO in her Eyes » (7), une paysanne voit un OVNI dans le ciel au-dessus des champs de riz d’un voisin. L’arrivée de la police de Pékin, qui ne comprend ni le dialecte local ni les règles de la vie au village, est assez plaisante. La volonté d’innover en empilant des interviews ne convainc pas et casse la narration du roman.
Les autorités locales investissent et cherchent à attirer les touristes avec cet OVNI. Tout cela n’a pas la démesure ou l’invention du roman de Yan Lianke « Bons baisers de Lénine » où les responsables veulent acheter la momie de Lénine pour développer le tourisme !
En 2010, un recueil de nouvelles « Lovers in the age of indifference » (8). Un style curieux où l’on échange des Emails et des messages pour rédiger une nouvelle. Le dernier texte, l’histoire de Houyi et Chang’e semble être là pour parvenir à remplir les 200 pages ! Une nouvelle émouvante, « Stateless », le héros est dans un aéroport pour prendre l’avion, c’est un solitaire, personne ne l’attend. Il rencontre une petite fille qui pleure, il reste pour la consoler et manque son avion !
- « I am China » (9), un livre ambitieux :
Elle raconte dans son autobiographie la visite de ses parents à Londres ; son père très affaibli par un cancer de la gorge, sa mère qui cherche à la marier avec des célibataires de bonne famille de Wenling vivant en Europe. Elle se sent éloignée de ses parents et de son frère qui a de gros problèmes d’alcoolisme. Des voyages en France et en Italie mais son père décèdera après son retour à Pékin. Sa mère mourra après la naissance de la petite Moon ; Guo Xiaolu se sent enfin libérée du poids de sa famille en Chine.
Elle a travaillé plusieurs années sur « I am China », publié après la naissance de sa fille. C’est un livre très travaillé, sophistiqué où elle tente de démontrer qu’elle peut être romancière.
Trois personnages : un rocker, punk star, célèbre à Pékin, Kublai Jian, son amie Deng Mu et une traductrice Iona Kirkpatrick, née en Ecosse dans l’ile de Mull. Un éditeur Jonathan reçoit à Pékin un dossier de lettres et de notes concernant ce couple et les transmet à Iona. Une construction ambitieuse qui se lit avec plaisir.
Jian est un activiste qui croit que l’art est nécessairement politique. Lors d’un concert, il diffuse un manifeste qui le fera arrêter et expulser. Mu est poète, beaucoup plus conformiste, elle ne veut pas vivre dangereusement pour des idées d’autant que le couple vient de perdre un bébé de quelques mois.
Jian n’obtient pas l’asile politique en Grande Bretagne mais en Suisse. Mu avec les musiciens de Jian fait une tournée aux Etats Unis où elle ne veut pas rester. Sa correspondance avec Jian est souvent perdue mais l’un comme l’autre et c’est un peu surprenant, ne cherchent pas à se retrouver à l’étranger. Un éloignement qui date d’avant la mort de Petit Shu, leur fils.
Autre élément peu crédible, le père de Jian avec qui il avait dans son enfance de très mauvaises relations est devenu un grand personnage politique et c’est lui qui fera expulser Jian de Chine. Le personnage des deux héros est intéressant et très fouillé; par contre le personnage de Iona est la caricature d’une intellectuelle et de ses amants d’un soir.
Mais c’est Jian qui peut conclure: “I am China. We are China. The people not the State”.
Bertrand Mialaret
- Guo Xiaolu, “La ville de Pierre », traduit du chinois par Claude Payen. Philippe Picquier 2004.
- Guo Xiaolu, « Village of Stone”, Chatto & Windus, 2004.
- Guo Xiaolu, « Petit Dictionnaire chinois-anglais pour amants », traduit de l’anglais par Catherine Laléchère. Buchet Chastel, 2008, 330 pages.
- Gua Xiaolu, « 20 Fragments d’une jeunesse vorace », traduit de l’anglais par Catherine Laléchère. Buchet Chastel, 2009, 190 pages.
- Guo Xiaolu, « 20 Fragments of a ravenous youth”, traduit du chinois par Rebecca Morris. Chatto & Windus, 2008, 200 pages.
- Guo Xiaolu, « Concise Chinese-English dictionary for lovers”, Chatto & Windus, 2007.
- Guo Xiaolu, “UFO in her eyes”, Chatto & Windus, 2009, 190 pages.
- Guo Xiaolu, “Lovers in the age of indifference”, Chatto & Windus, 2010, 210 pages.
- Guo Xiaolu, “Iam China”, Anchor Books, 2015, 370 pages.
Guo Xiaolu, “Once upon a time in the East, a story of growing up”, Chatto & Windus, 2017, 315 pages.