Hai Zi 3Hai Zi , qui s’est suicidé à 25 ans, demeure l’un des poètes les plus célébrés en Chine surtout par les jeunes générations. Quelques années très fécondes, 250 courts poèmes, 400 pages de longs poèmes, des nouvelles, des pièces de théâtre. Ses œuvres complètes ont été publiées en 1997 par son ami, le poète Xi Chuan.

Deux recueils importants de traductions en anglais (1.2). En France, Hai Zi n’est connu que par trois pages de poèmes publiés par l’« Anthologie de la poésie chinoise » dans la collection de La Pléiade (3) et neuf poèmes traduits par Romain Graziani dans l’excellente « Anthologie de la nouvelle poésie chinoise », dirigée par Chantal Chen-Andro (4).

 

  • Un fils de paysans, un étudiant très brillant :

Hai Zi est né dans un petit village de la province de l’Anhui en 1964. A 15 ans, il est reçu au Département juridique de la prestigieuse Université de Pékin. Un étudiant brillant et un poète qui commence à publier dans des revues comme ses amis Luo Yihe et Xi Chuan. Diplômé à 19 ans, il devient professeur à l’Université chinoise de sciences politique et de droit et édite le journal de l’université.

Une période folle de création pendant cinq ans ; une vie isolée à Pékin consacrée à l’écriture d’un poète quasi inconnu. Une vie difficile d’autant que ses contacts avec son village se sont progressivement relâchés. Il voyage peu sauf sur le plateau du Qinghai et au Tibet ; un voyage en 1988 à Delingha où un monument rappelle son souvenir ainsi qu’un festival de poésie.

Hai Zi 4Le 2 mars 1989, il s’allonge sur la voie du train à Shanghaiguan, à 300 kilomètres à l’est de Pékin. Ce suicide, à quelques mois du massacre de Tiananmen en juin, sera une des raisons du véritable culte qui lui sera rendu, notamment sur sa tombe, sur une colline près de son village.

Le débat sur les causes de son suicide n’est pas terminé ; les références à la mort, à l’automne, sont constantes dans son œuvre. Il souffrait de son isolement, de dépression, d’hallucinations qu’il pensait liées à la pratique du qigong ; il craignait d’être atteint de maladies mentales.

Les suicides de poètes de son entourage vont se multiplier ; son ami Luo Yihe en mai 1989 et le plus dramatique, celui de Gu Cheng en Nouvelle Zélande en 1993 après qu’il ait assassiné sa femme.

  • Une poésie de la campagne, la nature, les saisons.

Des poèmes qui ne traitent pas de la ville ou les grandes secousses historiques. Il se dit influencé par les classiques chinois (le Livre des Odes et Qu Yuan) mais aussi Homère et la mythologie grecque. Il invoque également Van Gogh, son « frère émacié ».

Un poème, « Le Cygne » (1986.5), nous donne une synthèse de ses thèmes de prédilection :

 

Dans la nuit, j’entends au loin des cygnes survoler un pont

et l’eau du fleuve dans mon corps

répond

 

ils survolent les terres de ma naissance, les terres du soir

quand un cygne se blesse

mais seule la brise est au courant

qu’il est déjà blessé lorsque lui vole encore

 

mais lourde est l’eau dans mon corps

comme ces battants de porte accrochés aux maisons

leur vol passe au dessus d’un pont lointain

je ne puis leur répondre d’un vol gracieux

 

ils passent comme la neige, rafale sur le cimetière

mais dans la neige, nulle route menant à ma porte

-le corps est sans portes- il n’y a que des doigts

plantés au cimetière, comme dix bougies meurtries par le froid

 

sur mes terres,

mes terres de naissance

un cygne se blesse

comme le chant d’un air d’autrefois

 

Hai Zi 2Hai Zi était trop jeune pour faire partie des « jeunes instruits » envoyés à la campagne, qui dans les années 1970-74, écrivaient des poèmes, recopiaient des manuscrits clandestinement. Certains de ces textes seront publiés dans la revue « Aujourd’hui » fondée à Pékin par Bei Dao et Mangke en 1978, qui fut affichée sur les Murs de la Démocratie avant d’être interdite fin 1980.

Il ne fait pas partie du courant des poètes « obscurs » du début des années 1980, qu’illustrèrent Beidao, Gu Cheng, Mangke, Yang Lian…Ce groupe refuse la tradition « réaliste » révolutionnaire et la poésie au service de la politique. La poésie est une création individuelle, c’est un miroir de soi. L’accent est mis sur l’image dans le processus de création même si cela s’accompagne de textes parfois complexes et obscurs.

La génération de Hai Zi est bien différente, elle n’a pas connu la rééducation à la campagne, a pu aller à l’université, connait les œuvres de la littérature mondiale, les grands mouvements de pensée et tous les « ismes » (existentialisme, surréalisme, structuralisme…).

Il faut aussi noter un certain mysticisme et la Bible a été l’un des livres retrouvés autour de son corps suicidé. La lecture de ce texte n’était pas si fréquente à l’époque. Tout cela est acceptable pour le Parti car le poète ne montre aucun intérêt pour la politique. Il se réfère à une vie idéale à la campagne comme nous le montre « Face à la mer » (1989, 6), son poème le plus célèbre qui fait partie des manuels des lycéens dès 2003.

 

Dés demain, je m’engage à être un homme heureux :

nourrir les chevaux, fendre le bois, parcourir le monde

dès demain, j’aurai souci du grain et des légumes

je possèderai une maison, face à la mer

au printemps doux s’ouvrent les fleurs

 

dès demain j’écrirai à tous mes proches,

je leur dirai mon bonheur

ce que les foudres de cette félicité m’ont dit

à chaque homme je le dirai

 

pour chaque rivière, pour chaque montagne je choisirai

un nom qui tiendra chaud

Etranger ! sur toi aussi je porte ma faveur

je te souhaiterai un avenir éclatant,

que la vie te destine à celle que tu aimes,

qu’en ce monde de poussière tu captures le bonheur

 

pour moi, je veux seulement que face à la mer

au printemps doux s’ouvrent les fleurs.

 

 

Bertrand Mialaret

 

  • « Over Autumn Rooftops », poems by Hai Zi, translated by Dan Murphy, Host Publications, 2010, 270 pages.
  • “Ripened Wheat”, selected poems by Hai Zi, translated by Ye Chun. The Bitter Oleander Press; 2015, 200 pages.
  • “Anthologie de la poésie chinoise”, publiée sous la direction de Rémi Mathieu. Gallimard, la Pléiade ; février 2015, 1600 pages
  • « Le Ciel en Fuite », Anthologie de la nouvelle poésie chinoise, établie et traduite par Chantal Chen-Andro (et Martine Vallette-Hemery pour Taiwan). Circé 2004, 390 pages.
  • « Le Cygne », p. 180, traduit par Romain Graziani. Anthologie Circé 2004.
  • « Face à la mer », p.182, traduit par Romain Graziani. Anthologie Circé 2004.

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