En Malaisie, dans les années 1950, un magnifique roman où Yun Ling, la seule survivante d’un camp japonais retourne dans « Le Jardin des Brumes du Soir » où elle a vécu avec Aritomo, un ancien jardinier de l’empereur du Japon. Un livre sur la sérénité et les symboles d’un jardin au milieu des chaos d’une guérilla anti-britannique et des difficultés des personnages à accepter leur histoire et leur identité.
Tan Twan Eng est un écrivain malaisien d’origine chinoise qui écrit en anglais et partage son temps entre l’île de Pénang où il est né et l’Afrique du Sud où il réside. On a parlé, il y a quelques années, de son premier livre « A Gift of Rain », qui n’est malheureusement pas publié en France. Son deuxième roman, très réussi et qui vient d’être traduit, « Le Jardin des Brumes du Soir » (1), a remporté en 2013 le prix Man Asie après Mo Yan, Su Tong, Bi Feiyu…
Le succès international de ce livre a même suscité quelques controverses en Malaisie où seules les œuvres en malais peuvent être qualifiées pour des prix littéraires et bénéficier de soutiens publics.
1/ Un roman comme …un jardin japonais :
S’avancer dans un jardin japonais permet de découvrir les différents sous-ensembles, les pierres érigées autour desquelles ils s’organisent. Plus l’on avance, plus l’on découvre d’autres points de vue, de nouvelles perspectives, des secrets à élucider …
L’héroïne, Yun Ling, est une Chinoise « des Détroits », très anglicisée. Pendant l’occupation de la Malaisie par les Japonais durant la seconde guerre mondiale, elle est internée dans un camp de travail avec sa sœur. Celle-ci, « au service » des officiers japonais, ne survivra pas.
Yun Ling, seule rescapée du camp, retourne à Cameron Highlands, une station d’altitude où l’on cultive du thé, et y rencontre Aritomo, un ancien jardinier japonais de la cour impériale. Yun Ling lui demande de créer un jardin à la mémoire de sa sœur qui était passionnée par ces œuvres d’art. Aritomo refuse mais accepte de prendre Yun Ling comme apprentie pour qu’elle puisse le concevoir elle-même.
Des épisodes successifs, des retours en arrière très contrôlés entre le camp japonais puis Cameron Highlands et Aritomo, enfin la période récente (autour de 1986) où Yun Ling, juge à la Cour Suprême, prend une retraite anticipée. Elle veut écrire son histoire et celle de sa sœur avant qu’une maladie neurologique ne la prive de sa mémoire et de sa capacité, après le décès d’Aritomo, à restaurer le jardin « Brumes du soir » dans sa splendeur passée.
Des personnages très différents: Yun Ling et sa famille, Aritomo et ses amis japonais, son voisin Magnus, un Boer du Transvaal qui a fui l’Afrique du sud, les policiers chinois et militaires anglais, les ouvriers tamils des plantations et même des aborigènes Semai…
2/ Réalité ou…fiction historique :
Le Japon envahit la Malaisie à la date de Pearl Harbour (décembre 1941), les militaires et fonctionnaires anglais se replient sur Singapour réputé imprenable. Les 30 000 Japonais du général Yamashita obligent les 85 000 britanniques à se rendre le 15 février 1942.
Rapidement des maquis chinois, dont certains sont dirigés par le communiste Chin Peng, sont renforcés par les forces spéciales britanniques (force 136). Après la fin de la guerre, ces maquis se retournent contre les Anglais qui, dans un premier temps, veulent rétablir l’ordre colonial. L’attitude de la population malaise, peu impliquée, est un point assez sensible, mais l’on est surpris que les Malais n’existent simplement pas dans le livre de Tan !
Après la guerre, Yun Ling, au tribunal des crimes de guerre, essaie de retrouver la localisation du camp où sa sœur est morte et poursuit de sa haine les tortionnaires japonais dont une petite centaine sera pendue. La Malaisie et Singapour ont beaucoup souffert de l’occupation et ont perdu 3% de leur population, des pertes bien plus limitées qu’en Indonésie, Indochine ou Philippines (sans parler de la Chine…).
Cameron Highlands s’est développé avec la culture du thé et comme station d’altitude pour les officiels britanniques, mais les maquis chinois entretiennent l’insécurité et les assassinats toucheront certains de nos personnages. Les déplacements massifs de population, la création de « nouveaux villages » aboutit à isoler et à affamer les maquis. Il s’agit d’un des rares cas dans l’histoire d’une victoire militaire contre des maquis communistes.
Tous ces évènements dramatiques conduisent les personnages de ce roman à conserver tous une zone d’ombre qui n’est révélée que très progressivement. Les pillages japonais de la guerre et l’organisation « Golden Lily », dirigée par le prince Chichibu, un frère de l’empereur, donnent au livre des développements imprévus.
3/ Le jardin japonais symbole de notre mémoire :
Le jardin est l’art d’ériger des pierres, des pierres qui permettent de tout organiser et dont l’alignement ou le positionnement donneront un centre, un cœur au jardin, car ces pierres ont une âme…
Aritomo est connu pour ses talents de création du « paysage emprunté », c’est à dire la manière d’intégrer dans le jardin le paysage situé à l’arrière plan. Le jardin est le symbole de nos âmes et les « paysages empruntés » sont au fond notre histoire personnelle.
Le jardin est dans la nature une des choses les plus artificielles et artistiques que l’on puisse concevoir tout comme un roman. « Un jardin emprunte à la terre, au ciel et à tout ce qui l’entoure, mais vous, vous empruntez au temps…Vous incluez (vos souvenirs) dans votre vie pour qu’elle paraisse moins vide. Comme les montagnes et les nuages au dessus de votre jardin, vous pouvez les contempler mais ils seront toujours hors de votre portée » (p.195).
Le livre nous montre également des liens qu’on ne soupçonnerait pas entre le dessin d’un jardin, des estampes et des tatouages, dont Aritomo était un artiste.
4/ Un roman sophistiqué et attachant :
La construction est savante avec des personnages que l’on croise à différentes périodes mais c’est très habilement mené. On est tenu en haleine. Les secrets et les zones d’ombre des principaux acteurs ne sont que progressivement révélés.
Le ton est volontairement plat et dénué de débordements d’émotions. On est loin d’un « thriller » ou d’un roman historique. Tan sait créer un climat, varier descriptions, images et symboles (le héron, les papillons…). Certains passages sont superbes tout comme les paysages de Cameron Highlands, de la jungle et des champs de thé, bien servis par la traduction de Philippe Giraudon.
Comme ses lecteurs connaissent peu cette région ou son histoire, l’auteur doit fournir des références qui sont parfois surabondantes: trois pages par exemple sur le mythe de Chang Er alourdissent le propos, de même sur Aritomo et le tir à l’arc !
Yun Ling est un personnage intéressant; on est parfois surpris de sa froideur. Elle n’est pas vraiment vivante car on ne se remet pas d’un camp japonais. On est étonné que ses rapports amoureux avec Aritomo soient aussi peu analysés. Mais le thème de la mémoire, du pardon ou plutôt de son absence est remarquablement traité. Une dialectique du maître et de l’esclave et le thème du ressentiment comme haine intériorisée, de nombreuses références philosophiques qui ne sont pas développées.
Aritomo ne s‘excuse jamais pour ce qu’ont fait les Japonais, Yun Ling ne peut pardonner mais comme lui elle a dû se battre pour maintenir son intégrité et son identité, lui au palais impérial, elle dans un camp de prisonniers; leur destin à tous deux ne pourra échapper à leur passé.
Bertrand Mialaret
- (1) Tan Twan Eng, « Le jardin des brumes du soir”, traduit de l’anglais par Philippe Giraudon. Flammarion, 2016, 435 pages, 22 euros.
This is the first (and only) “Malaysian” novel I’ve read during my 9 months here in Penang. At the time I was really quite taken by it (the English version). Later, I realized that this is not the only of his novels to deal with Japanese themes; there is also « The Gift of Rain. » This turned me off a little. Seems this is his hallmark. And I met him at a literary event in Penang. A very ordinary person. I was a bit disappointed, because I was enchanted by the novel as a whole!
You make a good point when you mention that the Malay basically don’t figure in the novel, which is disconcerting. Reminds me of the non-existent Uyghur in Wang Gang’s English, which is set in Xinjiang (http://bruce-humes.com/archives/66).
Personally, I found the fact that Yun Ling ends up sleeping with Aritomo regrettable, in artistic terms. It just doesn’t make sense given her memories of internment and her sister’s grisly end. You write “On est étonné que ses rapports amoureux avec Aritomo soient aussi peu analysés,” but it doesn’t surprise me. There isn’t much to analyse. It’s just a cheap shot, an attempt to add a carnal element to what is otherwise a well crafted story.
Agree with you on « English », nobody in France has spoken of « colonial » literature. Your review is well balanced.
« The Gift of rain « is interesting because of Penang and the japanese, I mentioned the book in 2008
https://mychinesebooks.com/straits-chinese-writers-great-talent/?lang=en
Concerning Malaysia, there are some interesting books published; I try to review some of them. Less interest in Chinese novels and much more for Taiwanese literature although translations are limited.