Un film projeté lors du festival « Quartier du livre », une semaine programmée par le Conservatoire et la Mairie du Vème arrondissement de Paris. Une soirée Gao Xingjian où fut également présenté son œuvre poétique, traduite par Noël Dutrait (1), son ami, un universitaire très connu notamment pour avoir traduit les œuvres de deux prix Nobel, Gao Xingjian en 2000 et Mo Yan en 2013.
- – Gao Xingjian, un artiste total :
Deux livres l’ont rendu célèbre : « La montagne de l’âme » (2) et « Le livre d’un homme seul » (3), il est également admiré pour son œuvre théâtrale, une quinzaine de pièces jouées dans le monde entier et un magnifique opéra « La neige en Août » (4) présenté à Taipei fin 2002 mais aussi à Marseille en 2005.
Il a toujours consacré une grande partie de son temps à la peinture, une démarche spectaculaire avec des lavis d’encre; des expositions sont organisées partout dans le monde, récemment à Bruxelles/Ixelles.
Gao Xingjian est aussi un homme seul qui n’adhère à aucune association, aucun parti et qui ne correspond pas aux critères en vogue dans les médias. Plusieurs recueils de dialogues et de textes théoriques ont été publiés; une pensée très riche sur le rôle de l’artiste dans notre monde, la position de l’écrivain, les arts plastiques, le jeu de l’acteur…bref « pour une autre esthétique » (5).
- – Trois films, trois ciné-poèmes :
Il veut faire autre chose que des films de fiction ou des documentaires; il n’est pas prêt à faire des concessions pour être financé par le système et distribué par les circuits commerciaux. A part son premier film, financé dans le cadre de l’année Gao Xingjian à Marseille (2003), ce sont les revenus de sa peinture qui lui permettront de réaliser les deux films suivants. Ces films sont présentés dans des rétrospectives, dans des universités mais hors de la distribution classique.
Les cinéastes qu’il admire sont connus pour leurs exigences et leurs recherches formelles : Eisenstein, Tarkovski, Bergman, Antonioni…Alors que la plupart des films sont des films d’action, il souhaite utiliser la richesse du cinéma pour la perception.
Il réalise des ciné-poèmes. « Si l’écriture d’un scénario de film est aussi libre que la création littéraire, qu’elle se libère de la structure, de l’obligation de créer une histoire, d’écrire dialogues et commentaires, le cinéma sera alors comme la littérature, tout aussi riche et diversifié ». (5- p.162).
- – Des films « tripartites » :
Il veut créer « un cinéma aux trois principes où est instaurée l’autonomie de l’image, du son et du langage qui se complètent mutuellement…cela produit un sens nouveau » (5-p. 159). Le cinéma n’est pas dominé entièrement par l’image. La musique a une fonction autonome, différente des liens entre musique et montage comme avec Eisenstein et Prokofiev .
Le langage peut être un poème comme « l’errance de l’oiseau », un poème en vers libres composé en français pour son premier film « La silhouette sinon l’ombre » (2006). Un film d’environ 1 heure 30 sur la liberté et la mort; un homme dans une ville désertée avec ses souvenirs.
Les rapports de Gao Xingjian avec la couleur sont complexes; son œuvre picturale en lavis d’encre n’en comporte pas. Dans « La silhouette… », la couleur est signification, elle est saturée ou légère dans un film qui évolue dans ses dernières séquences vers l’imaginaire en noir et blanc. La couleur a un sens comme dans « Pierrot le Fou » ou « Le désert rouge ».
Dans son deuxième film, « Après le déluge » (2009) avec ses tableaux à l’encre de Chine où le déluge menace la vie humaine, la couleur n’intervient que faiblement et sur la fin pour monter qu’il reste un espoir. Dans « Le deuil de la beauté », son troisième film, la couleur est partout chaude ou froide mais ce sont les éclairages qui ont un rôle structurant.
La place de la musique est essentielle surtout dans « La silhouette… » avec l’œuvre de Xu Shuya et des extraits du « Requiem pour un jeune poète » de Bernd Alois Zimmerman avec différentes langues et voix de dictateurs enflammés. La messe en si mineur de Bach vient en contrepoint. Les sons et les bruits jouent un rôle majeur dans « Le deuil… » mais les extraits d’œuvres de Mozart, Vivaldi ou Monteverdi sont, à mon sens, moins adaptés à l’évolution des images.
- – « Le deuil de la beauté », un film ambitieux, un art total :
« Fondre dans un tout, littérature, théâtre, danse, peinture, photographie et musique, c’est transformer le cinéma en art total « (5 p.163).
Ce film, de près de deux heures, terminé en 2013, se veut une critique de la société de consommation, de l’oppression, mais aussi de l’art contemporain qui fait table rase du passé. Or l’art ne peut être au service de la mode, de la politique ou du marché.
Gao Xingjian a mis sept ans pour écrire « La montagne de l’âme », une durée comparable sera nécessaire pour réaliser ce film terminé en 2013. Les images viennent du monde entier : New York, Seoul, Tokyo, Hong Kong, Singapour mais aussi Paris et Londres et surtout Venise. Une quarantaine d’acteurs, danseurs, acrobates, ont participé au film et pour certains bénévolement; des nationalités très diverses dans une période de mondialisation.
Le poème, les paroles en français, en anglais et en chinois sont très évocatrices même si elles sont utilisées le moins possible mais toujours en recherche de contrepoint avec l’image. Il n’y a pas de sous-titrage car pour lui cela perturbe l’image.
Venise et son carnaval occupent une grande place dans le film; un lieu de rencontre où les masques et l’architecture jouent un rôle essentiel. Gao Xingjian se moque de certaines architectures contemporaines; pour lui les références artistiques et historiques ne doivent pas être oubliées.
Le film a été tourné dans son atelier avec les images en arrière plan et les comédiens; la difficulté consiste à établir un lien entre les deux. Les plans sont des tableaux mais qui ne sont pas statiques et l’éclairage notamment des comédiens a un rôle structurant. Il n’aime pas que l’on parle de « collage » : on joue sur une image comme sur la scène, mais l’image évolue, c’est beaucoup plus riche que le théâtre. On peut encore créer de la beauté, il faut résister…
Les rapports avec les comédiens sont importants et Gao Xingjian a beaucoup insisté dans « De la création » sur le jeu de l’acteur : « Tout le corps: l’attitude, la posture, la position des mains, le pas, toute la gestuelle, la mesure, le rythme, le style, constituent le vocabulaire fondamental du jeu » (p.124).
Enfin dans les derniers plans du film, l’auteur revient au lavis d’encre et à son obsession de l’œil. « This is an age without redemption; minds are getting smaller and smaller”.
Gao Xingjian sera présent au Marché de la Poésie à Paris, Place Saint Sulpice le 12 juin prochain à 14 heures et le 24 juin à la Maison de la Poésie (6) où une soirée lui sera consacré avec un dialogue animé par Noël Dutrait et Nicole Gdalia (des Editions Rencontres) avec une projection de son film.
Bertrand Mialaret
- (1) Gao Xingjian, « Esprit errant, pensée méditative», poétique complète, traduit du chinois par Noël Dutrait. Editions Caractères 2016, 176 pages, 32 euros.
- (2) Gao Xingjian, « La montagne de l’âme », traduit par Noël et Liliane Dutrait. Editions de l’Aube 1995.
- (3) Gao Xingjian, « Le livre d’un homme seul », traduit par Noël et Liliane Dutrait. Editions de l’Aube 1999.
- (4) Gao Xingjian, « La neige en août », livret de Gao Xingjian, musique de Xu Shuya. Opéra de Marseille/ Actes Sud 2015.
- (5) Gao Xingjian « De la Création », Le Seuil 2013, 320 pages, 23 euros.
- (6) Maison de la Poésie. Passage Molière, 157 rue saint Martin. Paris 75003.
www.maisondelapoesieparis.com/programmes