Feng Tang est en Chine un auteur très connu mais controversé à la suite de certaines publications qualifiées par la censure de pornographiques. Il ne s’agit pas d’un camouflage; rien de politique dans ses livres, aucune critique sociale directe. Le comportement de ses héros montre cependant une inadaptation et parfois un rejet des excès consuméristes.
– La littérature, « un passe-temps très sérieux » :
Feng Tang est un cocktail très surprenant: gynécologue, consultant, entrepreneur et investisseur; auteur de nouvelles, de poèmes; traducteur critiqué, parolier à succès et animateur d’émissions de télé-réalité !!
Zhang Haipeng, son nom pour l’état civil, est né à Pékin il y a 45 ans. Il écrit très tôt et même un premier roman à 17 ans. A cette époque, le développement de la Chine s’accélère, il faut faire de l’argent, ce seront donc des études médicales au Peking Union Medical College de 1990 à 1998 où il se spécialise en oncologie gynécologique.
Il écrit une trilogie pékinoise : « Une fille pour mes 18 ans », « Qiu comme l’automne » (en anglais « Everything grows ») et enfin « Beijing, Beijing ». Il finira « Qiu comme l’automne » en 2000 après un MBA aux Etats Unis, à Atlanta, à l’université Emory.
Recruté à Pékin par Mc Kinsey, la célèbre société de consultants, il mène une vie un peu délirante vu la charge de travail dans cette entreprise. Il écrit néanmoins des romans, des nouvelles, des essais, mais aussi un blog très suivi à partir de 2005.
Il rejoint un conglomérat public (China Resource Group) et devient directeur général de la filiale (CRM) qui investit dans les hôpitaux publics pour les moderniser. Le président du groupe est mis en cause par l’organisme anti-corruption du Parti Communiste et doit partir. Feng Tang, qui perd son principal soutien, quitte son poste en juillet 2014.
Il souhaite une vie qui lui laisse plus de temps pour la littérature. En septembre 2015, il devient directeur général chargé des investissements dans le secteur de la santé dans une filiale d’un fonds d’investissement de 5 milliards de dollars, CITIC Capital Holdings Ltd.
– Une trilogie adolescente :
Ces trois livres ont eu beaucoup de succès tant en Chine qu’à Taiwan. On a comparé Feng Tang à Wang Xiaobo (qu’il n’aime pas) ou à Wang Shuo, le mauvais garçon de Pékin. La presse parle même de Henry Miller, peut-être pour justifier certaines dérives ultérieures de notre auteur.
Deux livres traduits en français dès 2007 par Sylvie Gentil et publiés par les Editions de l’Olivier; le troisième, « Beijing, Beijing », n’est disponible qu’en anglais et a été traduit récemment par Michelle Deeter et publié, il faut le souligner par Amazon Crossing, qui en moins de cinq ans est devenu le plus grand éditeur de livres traduits aux Etats Unis.
Cette trilogie est bien présente auprès du public chinois. De « Beijing, Beijing » il se vend entre 100 et 200 000 exemplaires par an et « Everything grows » a été porté au cinéma en 2015 par Yu Li dans « Ever since we loved » avec la star Fan Binbing.
Pour Feng Tang, ces trois livres « comprise three eras of my life, forming a semi accurate depiction of my youth. I hope that by writing these books, I can be satisfied with the way I spent my life…With wreckless exuberance, I use every literary device I can think of to describe the visual and emotional landscape of my own feelings” (“Beijing, Beijing” Epilogue).
Ces romans d’apprentissage de lycéens et d’étudiants en médecine ont des thèmes communs: la priorité est l’éveil et le développement affectif et sexuel des personnages. Cela permet d’infinies variations mais ne justifie pas vraiment un total de 930 pages. Les caisses de bière succèdent aux caisses de bière et les études ou l’avenir professionnel ne sont évidemment pas la priorité. Les professeurs et les parents ne sont utiles que pour sortir nos héros de quelque mauvais pas.
L’environnement socio-économique n’a aucune place, la politique n’existe pas. L’histoire n’est pas une référence mais la littérature donne lieu à de nombreuses citations culturelles.
L’auteur nous séduit par son sens de l’humour et sa drôlerie, souvent un peu graveleux ou même scatologiques. On est parmi les étudiants en médecine, vive les blagues de carabin ! Le ton est très vivant et enjoué. On tourne en rond, il n’y a pas d’intrigue, pas de progression dramatique mais l’on ne s’ennuie pas. L’auteur a le sens des images, des scènes courtes et une grande liberté de ton; c’est l’insolence d’une génération iconoclaste qui rejette les fondements de l’existence de leurs parents.
- – Vive le sexe et la censure, ils assurent les ventes :
En 2011, Feng Tang publie à Hong Kong « Oneness », un roman semi-pornographique, à l’époque des Tang, sur les manières peu orthodoxes pour moines et nonnes de parvenir à l’éveil ! Le livre est interdit en Chine mais fut un succès considérable à Hong Kong avec 100 000 exemplaires vendus.
En Chine, Feng Tang est maintenant très connu. Il a 8 millions d’inscrits sur Weibo (le Twitter chinois) et gère une émission populaire de TV réalité « Go to love ». Après avoir écrit la chanson du film « Ever since we loved », il a signé récemment un accord exclusif de parolier avec BMG, une filiale de Bertelsmann !!
Son dernier ouvrage a créé un buzz impressionnant et vient d’être retiré de la vente. Le poète bengali R. Tagore est connu et respecté en Chine, il fut en 1913 le premier prix Nobel asiatique et ses poèmes sont étudiés dans les collèges. Deux traductions étaient disponibles de recueils de R. Tagore. Et portant Feng Tang a traduit « Oiseaux errants », un recueil de plus de 300 poèmes, en trois mois en Californie, avec nous dit-il beaucoup de vin de la Napa Valley.
Une partie de la presse et de la critique universitaire s’est déchaînée en qualifiant son travail de vulgaire et même de pornographique. Le scandale fut considérable et ce n’est pas la première fois que R. Tagore crée des vagues en Chine. Sa visite en 1924 avait fortement irrité les écrivains de gauche !
La controverse ne semble porter que sur quelques vers mais il ne semble pas avoir eu beaucoup de défenseurs à part Li Yinhe, la veuve de Wang Xiaobo. Bref, le livre fut retiré de la vente mais cette censure a beaucoup fait pour la notoriété de Feng Tang !
Bertrand Mialaret
- (1) Feng Tang, « Qiu comme l’automne », traduit par Sylvie Gentil. Editions de l’Olivier, 2007 , 310 pages.
- (2) Feng Tang, « Une fille pour mes 18 ans », traduit par Sylvie Gentil. Editions de l’Olivier, 2009, 250 pages.
- (3) Feng Tang, « Beijing, Beijing », translated by Michelle Deeter. Amazon Crossing, 2014, 370 pages.
- (4) Feng Tang, a short story “Mahjong”, translated by Bredan O’Kane and published by Paper Republic (www.paper-republic.org)