Le dernier ouvrage de Gao Xingjian, « L’Art d’un homme libre » vient d’être publié (1), il regroupe, traduits par Noël Dutrait, des discours prononcés dans plusieurs pays, des entretiens ou de courts essais. Ces textes datés de 2010 à 2016, sont plus récents que les essais regroupés dans « De La Création » (2) et sont beaucoup plus courts.
Une belle surprise dans ce dernier ouvrage, édité par Anne Sastourné, une centaine d’ images (ses encres, des photos de ses pièces et de ses films…) illustrent la vision artistique de l’ auteur. Cette belle mise en page facilite la lecture du livre qui n’ a pas le caractère un peu aride de « De La Création ».
Plusieurs de ces textes abordent des sujets chers à Gao Xingjian qui en fait une courte synthèse, mais développe également sa vision de ses films, sujet que l’ on ne commentera pas car déjà traité.
Un citoyen du monde :
Gao Xingjian, qui vit à Paris depuis 1987, est un homme seul qui n’appartient à aucune chapelle, qui se tient en dehors des modes et des courants politiques. Comme il le dit à Noël Dutrait (p.126), il a dépassé l’ exil. Dans un débat de 1993 à Sydney avec le poéte Yang Lian (3) ils se sont posé la question de savoir ce que l’ exil leur a apporté; un texte passionnant sur la langue et l’ écriture.
Gao Xingjian n’ a pas été comme tant d’ autres un « exilé professionnel », toujours plongé dans le passé. Il cite le cinéaste russe Tarkovski (dont on projette ces jours-ci six films à Paris), « un grand cinéaste qu’ il adore » mais dont toute l’inspiration était tournée vers la Russie d’ avant son exil.
Un beau texte de 2010 évoque « l’ identité nationale, maladie de la littérature » : « l ‘écrivain ne parle ni au nom de la collectivité ni au nom de la nation, du pays, d’ un parti ou d’ un peuple » (p.20). C’ est la différence fondamentale avec l’ homme politique et « insister sur l’ aspect national ou local d’ une culture est le corollaire caché d’ une nécessité politique ».
L’ écrivain crée sa culture nationale, il n’ a pas à défendre son héritage culturel. C’ est pourquoi, des écrivains chinois, installés en Occident, peuvent comme Gao Xingjian, utiliser une langue occidentale dans leur travail de création.
Depuis toujours, il s’ oppose aux idéologies, aux « ismes ». Comme il le dit dans « De La Création », « la littérature n’ a pas pour mission ni la critique sociale, ni l’ élaboration de visions du monde ». Mais à part l’ idéologie communiste ou le nazisme, il souligne dans son dernier livre, l’ impact de la globalisation, de l’ économie capitaliste, des marchés avec leurs crises économiques. Il précise (p.40) que « les discours vides de sens au sujet de la liberté et des droits de l’ homme ont cédé la place aux lois du profit ».
Il développe peu sa position sur les droits de l’ homme. Il serait intéressant de pouvoir comparer avec celle de François Jullien qui stigmatise « l’ arrogance ethnocentrique » et qui fut agressé par Jean Daniel sur ce thème…
Une renaissance des arts et des lettres :
Au cours du 20ème siècle, on a voulu « faire de la subversion, un mécanisme de rénovation ». Pourtant, il nous rappelle que la littérature et les arts ne respectent pas les règles de la théorie de l’ évolution : les générations postérieures ne sont pas forcément meilleures que celles d’avant ! La critique de la tradition a cependant dominé la création littéraire et artistique au siècle précédent.
Il faut se méfier de l’ esthétique et de l’ approche des philosophes qui cherchent à expliquer les oeuvres d’ art et la création artistique. Tout créateur sait que « s’ il prend comme point de départ un concept, une définition, il devient impossible de créer ».
Par contre, on peut, on doit, rechercher comment faire évoluer telle ou telle forme artistique. Le roman est inséparable de la narration mais on peut rechercher de nouveaux procédés narratifs ; ce qu’ il a fait avec les trois personnes « je, tu, il » de son grand roman « La montagne de l’âme ».
De même en peinture, Gao Xingjian recherche « une forme entre le figuratif et l’ abstrait…Ce qui motive ce genre de forme n’ est ni la recréation du réel, ni l’ expression et l’ épanchement personnel de l’ artiste, c’ est plutôt une évocation, avec certaines images, pas vraiment abstraites, que le spectateur pourra enrichir de sa propre expérience et associations d’ idées » (p.126).
On ne peut pas aborder en quelques paragraphes des sujets aussi riches et complexes. Ce livre permet de lire les derniers textes de Gao Xingjian, son approche de ses films « Après le déluge » et « Le deuil de la beauté », mais aussi une pièce de théâtre dont on a peu parlé « Le classique des mers et des monts » (4) qui met en scène des personnages de la mythologie chinoise dans un ouvrage du 4ème siècle avant J-C, une pièce qui fut mise en scène à Hong Kong et à Taipei.
Gao Xinjian et Noël Dutrait présenteront « L’ art d’ un homme libre » à la librairie Le Phénix à Paris le samedi 14 octobre à 17 heures et le lundi 16 octobre à 19heures 30 au Centre National du Livre.
Bertrand Mialaret
- Gao Xingjian, « L’art d’ un homme libre », traduit et présenté par Noël Dutrait. Le Seuil, octobre 2017, 170 pages, 25 euros.
- Gao Xingjian, « De La Création », traduit du chinois par Denis Molcanov, Noël Dutrait, Sébastian Veg, Yinde Zhang. Le Seuil, octobre 2013, 320 pages, 23 euros.
- « Visite à Gao Xingjian et Yang Lian, conversation », traduit par Chantal Chen-Andro. Editions Caractères, 2004,118 pages.
- Gao Xingjian, « Chronique du Classique des mers et des monts », traduit par Noël Dutrait et Philippe Che. Le Seuil, novembre 2012, 150 pages.