Vingt ans déjà et de nombreuses questions pour l’ avenir ; c’ est en 1997 que la souveraineté de Hong Kong fut transférée à la Chine. A l’ occasion de cet anniversaire, l’ éditeur Penguin a publié une série de sept ouvrages sur Hong Kong, des livres sur l’ histoire, l’ économie, la politique du territoire.
La littérature n’ est pas absente avec « Dear Hong Kong » par Xu Xi et surtout « Cantonese love stories » (1) par Dung Kai-Cheung, l’ écrivain considéré comme le plus important, couvert de prix mais peu connu hors du territoire
Une littérature et des écrivains peu traduits :
On a présent à l’ esprit des romans qui se situent à Hong Kong, généralement écrits par des étrangers (« Tai-Pan », « Multiple splendeur », « Le monde de Suzie Wong « …. En Chine chacun connaît les fabuleux romans de cape et d’ épée du phénomène Jin Wong. Mais ce n’ est pas à eux que Dung Kai-Cheung se réfère quand il parle de romanciers de Hong Kong; il cite Leung Ping Kwan, Xi Xi et Liu Yichang qui sont peu traduits.
On ne fera pas la liste de ses romans, nouvelles et essais, très nombreux et parfois d’ une taille imposante (notamment la « Trilogie de l’ histoire naturelle »), d’ autant que peu d’ oeuvres sont traduites en français à part quelques nouvelles par Annie Curien (2). Mais récemment, l’ excellente revue « Jentayu » avec Gwennaël Gaffric, a publié sept extraits d’ « Atlas ».
En anglais par contre, « Atlas » est publié en 2002 dans la prestigieuse collection de Columbia grâce aux recommandations de David Der -Wei Wang, professeur à Harvard. Et il y a quelques mois paraissait « Cantonese love stories », traduit comme « Atlas » par Bonnie S. MacDougall et Anders Hansson.
« Atlas », l’ archéologie d’ une cité imaginaire :
On imagine que la ville a disparu et que des universitaires unissent leurs efforts pour recréer l’ histoire à travers des documents, leur imagination et la lecture de cartes. Tout ceci est une ouverture pour le futur et c’ est en cela que « Atlas » peut être une archéologie du futur. Le livre a tout d’ abord été publié à Taipei en 1997, date du retour de la colonie à la Chine. C’ est un ensemble de 51 petits chapitres divisés en quatre parties.
La première, « Théorie », est passionnante et a été traduite par l’ auteur lui-même. Il nous parle des vieilles cartes et de leur signification politique : « La cartographie n’ est pas un simple ensemble d’ exercices techniques…les cartes ne sont pas…un symbole du pouvoir mais l’ exécution même du pouvoir. La ruée pour la souveraineté sur des territoires à travers des actes et des documents a toujours été un champ de bataille alternatif entre pays » (p.16).
L’ auteur fait remarquer également que les bornes en pierre ou les barrières marquant les frontières n’ apparaissent pas avant le dessin de ces lignes sur les cartes. En fait, la production de cartes ne cherche pas à retranscrire la réalité mais proclame un droit de propriété et d’ exploitation d’ une partie de notre terre.
La deuxième partie, « La ville », une cité qu’ il nomme Victoria du nom du pic central de Hong Kong, est occupée par les Anglais depuis 1841 et l’ auteur utilise les mémoires d’ anciens gouverneurs soucieux d’ une ville prospère et bien administrée. Aucune tentation de réécriture anti coloniale; comme il le dit : « la vérité est que Hong Kong a été créé par les Britanniques à partir de rien ».
Différentes rues et leur histoire sont évoquées dans la troisième partie, quant à la dernière, elle analyse les différents signes, les légendes des cartes, les échelles, les couleurs, les symboles et enfin la digitalisation.
Il s’agit souvent de petits essais qui s’ additionnent les uns aux autres sans qu’ il y ait une véritable progression de la narration. Comme nous dit la traductrice, il s’ agit d’ un roman, un assemblage de faits et de fiction mais sans intrigue ni scénario. L’ auteur souligne que pour ce livre, il a subi l’ influence d’ Italo Calvino, de Borges et de Barthes mais ne reconnaît qu’ un seul maître, Marcel Proust auquel il a consacré sa thèse.
Il a très peu de contacts avec les écrivains chinois qu’ il lit peu mais se sent proche des romanciers taiwanais tels Zhang Da-Chun et Chu Tien-Wen.
Des histoires d’ amour de Canton :
Le livre résulte d’ une sélection par l’ auteur de 25 des 99 textes qui formaient « The Catalog », écrit en 1998 et 1999. C’ est en fait le second volet de la ville V dont le premier tome est « Atlas ». Il préfère parler d’ esquisses plutôt que d’ histoires ; il considère que ces tranches de vie ne sont pas véritablement des nouvelles. C’ est vrai dans certains cas mais on peut lire aussi des histoires bien construites avec des personnages précisés en quelques phrases, une intrigue, une chute…
Il nous parle souvent d’ objets, parfois sous l’ influence japonaise (cosmétiques, gadgets, jeux…), qui pour certains sont parfois dépassés ou ont disparu. Un sentiment de nostalgie dans ces textes mais avec de nombreux éléments surréalistes qui facilitent la chute de l’ histoire.
Les relations entre les personnages sont souvent créées par des objets qui sont une occasion, une manière de se rapprocher mais qui parfois rendent ces relations difficiles ou impossibles. Ces objets et les symboles qu’ ils représentent ont des significations différentes pour les personnages qui en font des mythes. Ces objets, ces mythes, ne rendent pas nos personnages heureux, la plupart d’ entre eux passent leur vie à fuir ou à regretter.
Tous ces textes sont liés à Hong Kong mais on peut remarquer que contrairement à la littérature du continent, il n’ y a pas d’ intrusion de l’ histoire ou de la politique ni de jugements de valeur. Un style très clinique qui situe précisément les personnages, leur histoire personnelle et surtout leurs rapports avec ces mythes, ces objets.
On nous parle d’ Agnes b, de Gucci, de Prada, de Burberrys, de Birkenstock, de duffle coat, mais aussi du Che, de Windows 98 et même de « pasteis de nata », des gâteaux portugais aux oeufs que l’ on peut trouver à Macao, mes préférés…
Un style très vivant, très différent des essais et parfois d’ un ton un peu universitaire dans certains chapitres d’ « Atlas ». L’ intérêt est soutenu, l’ on ne s’ ennuie pas et l’ on sourit souvent même si les dénouements sont rarement heureux.
Bertrand Mialaret
- Dung Kai-Cheung, « Cantonese love stories », traduit par Bonnie S. MacDougall et Anders Hansson, Penguin Specials, 2017, 125 pages.
- « L’ horloge et le dragon », 14 nouvelles de Hong Kong, traduites en français par Annie Curien. Editions Caractères, 2006, 260 pages.
Dung Kai-Cheung, « Atlas, the archaeology of an imaginary city », traduit par Bonnie S. MacDougall et Anders Hansson, Columbia University Press 2011, 160 pages.