Son dernier livre, un recueil d’essais (1), vient d’être publié aux Etats Unis où elle vit et où il a bénéficié d’ un accueil exceptionnel. Un livre court mais très dense qui évoque sa jeunesse à Pékin, son arrivée aux Etats Unis, ses premiers succès littéraires et ses graves dépressions suicidaires en 2012. C’ est un hymne magnifique à la lecture, à la littérature; elle nous fait partager ses conversations avec ses écrivains préférés.
- Quel avenir à Pékin ?
Elle nous parle de son école, de ses camarades, de son quartier; une résidence protégée car son père était un ingénieur spécialisé dans le nucléaire. Les livres sont pour elle essentiels dès son plus jeune âge. Elle en trouve chez elle et surtout à la bibliothèque de l’ école où en tant qu’ assistante elle a facilement accès. Beaucoup de traductions de romans étrangers mais aussi de poètes chinois même si elle avoue que la concision du grand poète des Tang, Li Shangyin, lui pose problème (2).
Son père, qui lui fait lire des textes bouddhiques, la marque par son fatalisme et ne sait pas la protéger, comme sa soeur aînée, du despotisme maternel. Une mère dure, vulnérable et possessive, professeur à la retraite. Ce personnage important est évoqué comme une obsession à de nombreuses reprises pour ses enfantillages, ses rages et ses pleurs.
Après le massacre de Tiananmen, elle doit passer un an à l’ armée avant de rentrer à l’ université. Rester à Pékin n’ est pas une option et elle part étudier l’ immunologie à Iowa aux Etats Unis en 1996 ; elle a 23 ans.
- Pour devenir écrivain, elle a tout abandonné :
En 2000, elle obtient son diplôme en immunologie mais décide de changer de vie. Elle s’ inquiète d’ une carrière scientifique toute tracée. Elle « traverse la rivière » pour suivre les cours de « creative writing » dans un autre campus de l’ université d’ Iowa et, en 2005, publie son premier recueil de nouvelles « Un millier d’ années de bonnes prières » (2). Séduit par son talent, un premier interview téléphonique d’ une auteure inconnue en Europe, est publié en 2008.
Son mari souligne les difficultés d’ une carrière littéraire et lui demande si elle a mesuré les implications d’ un renoncement à sa langue maternelle. Il s’ agit d’ une décision profondément personnelle, « over the years, my brain has banished Chinese. I dream in English, I talk to myself in English. And memories not only those about America but also about China ¦are sorted in English « (p.145).
Il n’ y a pas de différence entre le langage qu’ elle utilise avec elle même et celui avec lequel elle communique avec autrui. Ressentir et exprimer des sentiments dans une langue d’ adoption est difficile mais c’ était quasiment impossible dans sa langue maternelle.
Les rapports avec la Chine et les lecteurs chinois ne sont pas aisés. Certains lui reprochent de ne pas être assez politique, d’ autres trop. Ses livres ne sont pas traduits en chinois ; des lecteurs regrettent l’ insistance sur certains thèmes, ils ne se sentent pas fiers d’ être chinois en refermant le livre. Si elle n’ écrit pas en chinois, a-t-elle le droit d’écrire de manière critique sur le pays…une traîtrise culturelle ? Elle est toujours perdante, beaucoup de sinologues ne s’ intéressent pas à elle car elle n’ écrit pas en chinois !
Mais contrairement à un autre romancier sino-amèricain, Ha Jin, elle peut visiter la Chine sans problème et ses deux fils connaissent leurs grand-parents, mais Yiyun Li ne semble pas mécontente que sa mère ne puisse pas lire ses livres !
L’ étude des textes bouddhiques dans sa jeunesse a été décisive même si elle reconnait les avoir lus trop tôt. Elle a un sentiment très fort du vide, de la négation, d’ une « emptiness that says : you are nothing ». Elle n’ est pas fataliste comme son père car « a fatalistic person cannot be a dreamer, which I still want to become one day » (p.20).
- Un exemple du rêve américain ?
Des succès pour ses nouvelles et son roman « The Vagrants » (4). Mais comme elle le dit dans la conclusion de ses essais: son ambition, sa volonté d’ excellence comme mère, comme professeur, comme écrivain lui font mener une vie impossible: pendant dix ans, elle écrit entre minuit et quatre heures du matin. En 2012 pendant qu’ elle prépare « Kinder than solitude » (5), elle fait deux dépressions de type suicidaire qui imposent une hospitalisation.
Le livre est une exploration d’ aspects de sa vie non abordés et un moyen de donner du sens à ce qui lui est arrivé. Elle s’ interroge sur le suicide, nous parle de celui de Stefan Zweig et de sa femme. Elle s’ étonne des réactions habituelles: l’ entourage se croit autorisé à commenter et même à juger.
Comme elle le dit: « people who have not experienced a suicidal urge miss a crucial point. It is not that one wants to end one’s life, but that the only way to end the pain …is to wipe out the body » (p.72). Cette volonté de fuir la souffrance est-elle une preuve d’ égoïsme, un trait de caractère dont sa mère l’ a toujours gratifiée !
Elle nous dépeint ses contacts à l’ hôpital avec les soignants et les autres patients. Elle se réfugie dans la lecture notamment de textes très personnels des auteurs qu’ elle aime et c’ est à Katherine Mansfield qu’ elle va emprunter le titre de son livre (1). Mais elle est prudente car comme dit Romain Rolland dans « Jean Christophe », la solitude peut être fatale et un artiste doit vivre la vie de son temps.
C’ est la lecture et l’ écriture qui la sauvent, mais elle doit préciser ses rapports avec les personnages qu’ elle crée, elle doit conserver une vie privée en dehors de ses personnages.
- Un hymne à la lecture :
Elle évoque de manière très attachante les écrivains qu’ elle aime. On regrette de ne pas connaître certains, elle nous en fait découvrir …Elle nous parle surtout d’ écrivains russes (Tolstoï, Tourgueniev, Tchekhov), de Romain Rolland et de Montaigne, d’ écrivains irlandais (John McGahern, Elizabeth Bowen). Des écrivains décédés avec lesquels elle poursuit une conversation.
Le plus important était William Trevor ; elle avait avec lui des rapports confiants quasiment filiaux et il l’ a toujours soutenue ; la mort de celui-ci il y a quelques mois à 88 ans a dû» être une épreuve douloureuse; elle explique même qu’ elle ne serait pas devenue écrivain si elle n’ avait pas rencontré son oeuvre.
Ce livre d’ essais de Yiyun Li est étonnant : un style impersonnel et surtout une abondance de termes abstraits, rare dans un texte anglophone. Elle conclut souvent par des aphorismes qui doivent engager le débat (pour elle, avec le lecteur ?) et qui sont souvent très elliptiques, parfois peu nuancés. Son style est très concis et certaines conclusions mériteraient d’ être développées.
Elle ne veut pas d’ une approche autobiographique, ses quatre précédents livres ne l’ étaient pas. Son approche de cette déprime suicidaire est très personnelle mais sa vie intime, ses rapports avec son mari, ses enfants, ceux qu’ elle aime, ne sont jamais abordés. Elle parvient à se protéger même si ce livre l’ a occupée pendant près de deux ans ; c’ est une sorte de trêve avec ce qui ne pourra pas disparaître.
Elle continue à écrire, un nouveau roman, des nouvelles ; elle vient d’ être nommée professeur de création littéraire à l’ université de Princeton. Comme des millions d’ autres, elle est choquée par l’ élection de Trump…
Bertrand Mialaret
- Yiyun Li, « Dear friend, from my life, I write to you in your life ». Hamish Hamilton, 2017, 200 pages.
- Yves Hervouet, « Amour et politique dans la Chine ancienne, cent poèmes de Li Shangyin (812-858) ». Paris 1995.
- Yiyun Li, « Un millier d’ années de bonnes prières », traduit de l’ américain par Françoise Rose, Belfond 2011.
- Traduit en français « Un beau jour de printemps » !! Traduit par Françoise Rose, Belfond 2010.
- Yiyun Li, « Plus doux que la solitude », traduit par Françoise Rose, Belfond 2015.