Wang Anyi est une écrivaine de premier plan qui à elle seule symbolise la littérature de Shanghai. A plus de soixante ans, elle a écrit plus de cent cinquante nouvelles et romans dont sept traduits en français chez Philippe Picquier.
Elle est l’auteure d’un des chefs d’ oeuvre de la littérature chinoise contemporaine, « Le chant des regrets éternels » (1) qui fut couronné par le prix Mao Dun en l’an 2000 et qui un an après lui permit d’être élue Présidente de l’Union des Ecrivains de Shanghai.
Sa capacité à se renouveler et l’ importance de son oeuvre lui firent obtenir en 2016 le Newman Prize décerné tous les deux ans par l’ université d’ Oklahoma et un jury international qui a couronné Mo Yan, Han Shaogong et les Taiwanais Yang Mu et Chu Tien-wen !
- Une mère actrice :
Son roman « La coquette de Shanghai » (2), traduit avec son élégance habituelle par Brigitte Guilbaud, nous conte la vie de Xiao Mingming, une chanteuse d’ opéra réfugiée à Hong Kong pendant la guerre sino- japonaise et surtout de sa fille Xiaoqiu, née 18 mois après son divorce d’ avec Yu Zihan dont elle avait deux enfants. Il avait eu la mauvaise idée de la tromper avec une collègue de l’ imprimerie où il travaillait, collègue condamnée comme lui à la prison pour dettes !
Xiaoqiu va souffrir d’être une enfant sans père. Ses relations avec son frère et sa soeur seront très distantes même après le départ du frère qui, pendant la Révolution Culturelle, dénonce vigoureusement sa propre mère.
Comme dans la plupart des romans de Wang Anyi, les évènements historiques ne sont pas traitès en tant que tels, ils n’ ont qu’une place minime. Elle le revendique et soutient que en tant que femme, elle préfère écrire sur la vie quotidienne et que son principal talent d’ écrivain est sa capacité d’ observation. Ceci étant, si l’ on n’ a pas une connaissance préalable de la Révolution Culturelle et du mouvement d’ envoi des jeunes « à la campagne », on ne peut pas comprendre vraiment l’ histoire des personnages.
- Une fille envoyée » à la campagne « :
Xiaoqiu fait de la figuration au théâtre de sa mère puis, pendant ses études, est membre d’ une équipe de propagande artistique puis d’ un groupe de joueuses de tambourin. Elle a à peine quinze ans, très belle, des « yeux de chat » et un physique que l’on remarque.
Elle est envoyée à la campagne pour être « rééduqée » par les paysans en même temps que He Minwei, le frère d’ une amie collégienne. Les relations avec les paysans ne sont pas mauvaises, c’ est une zone riche proche de Shanghai. Certes les jeunes sont peu efficaces dans leurs tâches agricoles mais ils ne sont pas maltraités comme dans les zones plus arriérées.
Néanmoins, si l’ on veut une idée moins idyllique de la vie des « jeunes instruits », il vaut mieux lire l’ ouvrage de référence de Michel Bonnin « Génération Perdue » (3) Cette période à la campagne est le plus souvent un évènement fondamental dans l’histoire de ces jeunes et cela ne ressort pas du roman.
- Un ton assez neutre pour observer les personnages :
La composition est simple, chronologique, sans recherche particulière. Des dialogues limités et peu d’ émotion de la part de la narratrice ; on ne sent pas une passion pour les personnages. On note quelques évènements dramatiques mais les accidents sont traités de manière impersonnelle. Ce sont les émotions et les réactions des personnages qui font progresser la narration.
Les personnages secondaires ne sont pas vraiment utilisés alors que certains d’ entre eux comme Lao Dage, l’ ami de Xiao Mingming, pourraient être intéressants. Shanghai est la figure essentielle dans de nombreux textes de Wang Anyi; ici ce n’ est pas le cas, la mère a vécu à Hong Kong et la fille à la campagne dans la province de l’ Anhui.
On est dérouté par le personnage de la mère, d’ une grande froideur avec Xiaoqiu alors qu’ elle aurait pu être fière de sa beauté et de ses qualités ; nulle jalousie mais peut-être la difficulté d’ être la mère d’ une enfant née de père inconnu. Cependant c’ est l’ intervention habile de sa mère qui permettra à Xiaoqiu de quitter son village. Xiao Mingming s’ efforce de contrôler sa vie alors que Xiaoqiu subit les évènements surtout dans sa vie sentimentale et ses relations avec He Minwei.
- Une écrivaine capable de surprendre :
Le roman historique « Senteurs Célestes » publié en 2011 obtint un an plus tard le « Dream of the Red Mansion award » décerné tous les deux ans par un jury indépendant d’ universitaires sélectionnés par l’ Université Baptiste de Hong Kong.
Au 16 ème et au 17 ème siècle, quatre générations de femmes de la famille Shen développent un atelier de broderie et un style propre qui devint célèbre. Une saga familiale inspirée de la famille Gu, qui imposa à l’ auteure de longues recherches historiques.
Un roman dont on dit grand bien, en cours de traduction pour Penguin par Andrea Lingenfelter. Comme dit l’ auteure: « What attracted me most were the fascinating stories behind Gu embroidery, the rise and fall of a wealthy family, the struggle of the family’s women to earn a living with their embroidery skills and the revival of the Gu embroidery as a form of art ».
Il convient également de mentionner des nouvelles récemment publiées, une part essentielle de l’ oeuvre de Wang Anyi. « Dark Alley », traduit par Canaan Morse, est un très beau texte sur les quartiers traditionnels de Shanghai avec leurs allées étroites et très animées; des groupes d’ enfants jouent, grandissent, se disputent et découvrent le monde des adultes. Une nouvelle sans évènement ni chute spectaculaire mais qui vous tient longtemps sous son charme ¦
Bertrand Mialaret
(1)-Wang Anyi,, « Le chant des regrets éternels », traduit par Yvonne André et Stéphane Lévêque. Philippe Picquier 2006, 680 pages.
(2)-Wang Anyi,, « La coquette de Shanghai », traduit par Brigitte Guilbaud. Philippe Picquier, 2017, 240 pages, 21 euros.
(3)-Michel Bonnin, « Génération Perdue », le mouvement d’ envoi des jeunes instruits à la campagne en Chine, 1968-1980. Editions de l’ EHESS, 2004, 490 pages ; ouvrage également traduit en anglais et en chinois.
(4)-Wang Anyi,, « Dark Alley », traduit par Canaan Morse. Paper Republic 5/5/2016.