Yan Ge a un peu plus de trente ans. On cite son nom comme la star de cette génération. Elle a une bonne formation internationale, écrit facilement, rapidement et posséde un sens de l’ humour dévastateur. Elle nous parle de son enfance, des familles qui l’ entourent et du Sichuan, sa province natale qui joue un rôle important dans son oeuvre.
Yan Ge est née à Chengdu il y a 33 ans. Elle gagne à 18 ans le New Concept Writing Competition disputé par plus de 50 000 candidats, comme Han Han et Guo Jinming avant elle. Cela lance sa carrière et les éditeurs se précipitent. Les succès se confirment mais elle a le courage de poursuivre, à partir de 2011, deux ans d’ études à l’ université Duke aux Etats Unis.
Elle prévoyait de continuer à Columbia University mais elle y rencontre Daniel, un professeur, un irlandais. Une histoire d’ amour, après un an ils se marient à Chengdu et Columbia est abandonnée au profit de Dublin.
On ne fera pas la liste de tous les prix littéraires qu’ elle a collectionnés ni de ses dix romans et recueils de nouvelles. Ce qui est traduit donne envie d’en lire plus; ce qui se produira certainement car elle a un agent efficace (The Grayhawk Agency).
« White Horse » : Yun Yun voit des chevaux blancs, de funestes présages :
Ce court roman publié en 2008 a été traduit par Nicky Harman et publié comme E-book en 2014 (1). Yun Yun, comme l’ auteure, a perdu sa mère très jeune ; elle vit chez sa tante avec une cousine un peu plus agée, Zhong Qing. Qing s’ attache à un garçon, Ye Fang et Yun Yun joue les chaperons.
Yun Yun voit de plus en plus souvent des chevaux blancs, des funestes présages car les rapports se détériorent entre les adultes: des relations amoureuses anciennes entre la tante de Yun et le père de celle-ci. La maîtresse du père, Madame Xiang, est aussi le professeur de Qing. Tout se complique mais Yun Yun réussira ses examens.
Un roman sur des souvenirs d’ enfance, beaucoup de nostalgie et un peu d’étrangeté avec les chevaux blancs. L’auteure ne se prend pas au sérieux, un ton détendu avec pas mal d’ humour. Les conflits entre adultes sont regardés sans commentaire par une jeune adolescente. Le texte surprend car la pression sociale, les voisins, sont très peu présents. De plus le roman ne touche à aucun aspect social ou politique; c’ est assez étonnant…
« Une famille explosive » : des relations familiales pimentées au …chili bean paste :
Ce roman, couvert de prix, a été publié en 2013 sous le titre « Our Family » ; pour le distinguer du célèbre roman de Pa Kin, le titre devient « The chili bean paste clan ». Un titre qui correspond bien au livre, mais peu de lecteurs connaissent ce condiment du Sichuan !
Le premier chapitre a été traduit en anglais par Nicky Harman sous le titre « Dad’ s not dead » ; en France, le livre a été traduit par Alexis Brossolet et publié il y a quelque mois par les Presses de la Cité (2).
Une saga familiale dans la petite ville de Pingle, le royaume littéraire de Yan Ge au Sichuan. La grand mère a quatre-vingts ans, elle mène son monde de manière autoritaire et notamment son deuxième fils, Papa, qui a repris l’ usine familiale fabriquant de la pâte au piment, un des trésors du Sichuan. « Sur une grande aire plane sont alignées de hautes jarres de terre cuite qui arrivent à la taille…Il y macère un mélange de fèves décortiquées qui ont germé en avril, de piments rouges fraîchement écrasés ajoutés au mois de mai, d’ anis étoilé, de feuilles de coriandre et de grosses poignées de sel » (p.22)
Papa a le sens de la famille, mais ses relations avec son frère aîné, un universitaire toujours célibataire, sont distantes. Il trompe allégrement sa femme Anqin et a installé sa maîtresse dans l’ appartement au-dessus de celui de sa mère, un beau sens pratique ! L’organisation de l’ anniversaire des quatre-vingts ans va être l’ occasion de nombreuses péripéties, de conflits, de menaces de divorce et d’ accidents de santé pour Papa qui a abusé du Maotai, du tabac et de ses différentes maîtresses.
Ce grandiose lavage de linge sale en famille, n’ épargnera même pas grand-mère, l’icône de la famille, qui n’ est pas vraiment la chef de clan vertueuse.
Un roman épicé :
De bons dialogues, beaucoup de rebondissements, l’ on ne s’ ennuie pas même si Yan Ge n’ évite pas toujours les répétitions notamment sur les relations de Papa et Maman et les diverses oppositions à leur mariage. Un bon livre pour la plage, mais les personnages et l’ intrigue justifient-ils 320 pages alors que les nouvelles de Yan Ge publiées par the Irish Times ou Paper Republic sont de grande qualité.
On nous parle peu du Sichuan et de ses caractéristiques même si l’ auteure utilise de nombreux termes de dialecte de sa province, un cauchemar pour les traducteurs ! Pingle se développe, se modernise dans les années 2000 mais ce n’ est pas un sujet qui intéresse Yan Ge qui évite soigneusement les allusions politiques. Seule la corruption des fonctionnaires est abordée ; Papa est un spécialiste de ces opérations mais du temps de Xi Jinping, c’ est devenu un sujet politiquement correct, surtout s’ il s’ agit de fonctionnaires locaux.
Il est intéressant de comparer les traductions : celle de Nicky Harman (3) est d’un style tout à fait classique et d’ une bonne qualité. La traduction en français fait le choix du langage parlé, de l’ argot et n’ exclut pas la vulgarité. Il ne s’ agit pas d’ un jugement de valeur mais de la constatation que l’ on ne semble pas lire le même roman.
C’ est tout à fait en ligne avec la position de l’ auteure: « I do think that translation is something that mainly belong to the translators themselves…I think translation is like the revision of the original narrative, the language and the wording system that the translation will pick ».
Bertrand Mialaret
- Yan Ge, « White Horse », par Nicky Harman, Hope Read Publishing, London.
- Yan Ge, « Une famille explosive », traduit par Alexis Brossolet. Presses de la Cité 2017 ; 320 pages, 20 euros.
- Yan Ge, « Dad’ s not dead », traduit par Nicky Harman
- https://media.paper-republic.org/files/12/03/Peregrine5.pdf