La Concession Française de Shanghai est un épisode passionnant de l’histoire coloniale française et du développement de Shanghai. Un roman « noir » de Xiao Bai, vient de paraître et recrée avec talent et une remarquable précision historique les turbulences de l’année 1931 dans « La Concession Française ». Le livre refermé, de nombreuses questions subsistent auxquelles peuvent répondre les études historiques mais aussi l’apport, un peu décevant, d’internet.
- – Un roman « noir » et un roman « historique » :
« La Concession Française » fait partie de ces quelques romans chinois qui ont eu du succès à l’étranger, comme « L’enfer des Codes » de Mai Jia ou « The Three Body Problem » de Liu Cixin. Ils traitent de thèmes très éloignés de la littérature chinoise traditionnelle: roman « noir », roman d’espionnage, livre de science fiction. Des genres qui se vendaient peu en Chine avant le succès développé par ces nouveaux auteurs.
L’édition anglaise du roman de Xiao Bai a été payée 60 000 $. Cela aussi est nouveau. Le livre se vend bien en Italie et est soutenu par la critique alors que les ventes en Chine n’étaient pas exceptionnelles. C’est ce succès en Italie qui intéresse les éditeurs anglophones et fait monter les prix. Le succès en Chine est secondaire si l’on considère que le type de roman, son sujet et ses personnages peuvent plaire aux lecteurs occidentaux.
- – Un écrivain jaloux de son identité :
Xiao Bai a 48 ans, il est né à Shanghai et son identité réelle est quelque peu mystérieuse. Il a travaillé pour des entreprises internationales, s’est occupé d’édition, de sous-titrage de films et a commencé à publier dès 2009 des essais sur la littérature érotique (« Hamlet Libertin » et en 2011 « Représentation et Voyeurisme »).
Son premier roman, « Balle de Match », publié en 2011 et disponible en anglais, s’attache à un groupe de marginaux, qui, à Shanghai dans les années 1980, se disputent un chèque de un million de dollars. Il a publié également en 2013, « Xu Xianghi, agent secret ».
- – Le héros, l’année 1931 :
L’année 1931et la Concession Française sont les héros du roman. L’analyse historique est impressionnante dans sa volonté de se centrer sur les détails significatifs qui pourront le mieux recréer l’atmosphère de l’époque. De nombreux personnages secondaires ont réellement existé et ont joué un rôle important qu’il s’agisse dans la police du capitaine Sarly ou de l’inspecteur Maron….
C’est un roman « noir », fort bien écrit et …traduit par Emmanuelle Péchenart, (aussi à l’aise que dans les romans d’Eileen Chang) qui se lit avec grand plaisir. Le ton de l’auteur est distancié, ce n’est pas construit comme un « thriller » et l’on peut poser le livre avant la fin…
A bord d’un bateau accostant à Shanghai, un personnage important et sa femme Leng. Xue, un photographe franco-chinois, est séduit par cette femme qu’il retrouve après l’assassinat de son mari par un groupe communiste. Arrêté par la police de la Concession, Xué est contraint de coopérer et découvre que sa maîtresse russe, Thérésa, est en fait une trafiquante d’armes qui va fournir des armes nouvelles à des gangs communistes… dont fait partie Leng.
Les personnages principaux n’ont pas beaucoup d’épaisseur: Thérésa, qui se signale surtout par ses talents au lit et Leng, une veuve chinoise, communiste, triste et désemparée. ..
Entre les deux, Xue qui « n’était pas du genre à s’interroger beaucoup sur ses actes, leur justification ou leurs conséquences…Il ne se préoccupait que de ce qu’il avait sous le nez, l’avenir à ses yeux se limitait au lendemain ou dans le meilleur des cas la semaine d’après…Plus la situation se révélait compliquée, plus il s’en remettait au destin. « (p.249).
La recréation de l’époque par un amoncellement de détails, ne suffit pas à expliquer par exemple les différences entre la Concession Française et la Concession Internationale: « Dans la Concession, on ne comprenait jamais ce besoin qu’avaient les Anglais de freiner l’extension du pouvoir des sociétés secrètes et d’éliminer les salles de jeu et les bordels que justement les Français accueillaient à bras ouverts. Alors que dans le Settlement, on collaborait avec les nationalistes pour arrêter les communistes, chez eux on fermait un oeil et on ouvrait l’autre…Du moment qu’ils…ne causaient pas trop de désordre, la police de la Concession les laissait tranquilles »( p.135).
- – Les études historiques restent indispensables :
‘L’histoire de Shanghai » de Marie Claire Bergère, est un livre remarquable (traduit en anglais et en chinois) sur l’histoire de Shanghai qui se lit facilement et avec plaisir et nous permet de comprendre l’évolution différente des deux concessions.
La Concession Française, liée au Consul et au ministère des Affaires Etrangères, regroupe peu d’entreprises françaises et est soucieuse de la présence des militaires et des missionnaires. La concession internationale, dont les dirigeants sont élus, se préoccupe surtout des succès économique de ses membres, de leurs affaires et de la spéculation immobilière.
Une tranche de vie d’un an même remarquablement documentée, ne peut fournir les mêmes perspectives historiques. Les liens, dans le livre de Xiao Bai, entre le Guomintang, le Parti Communiste, les groupes communistes dissidents, la Bande Verte ne sont pas vraiment analysés, la perspective historique est insuffisante.
La Bande Verte et son patron Du Yuesheng, ont joué un rôle absolument essentiel dans la Concession Française et plus largement à Shanghai (notamment dans l’écrasement de l’insurrection communiste du printemps 1927). « Maître du trafic de l’opium, contrôlant la police comme les bas fonds, capable de déchaîner ou d’apaiser la colère des ouvriers, chef de file des notables et bien vu du Guomintang, Du Yuesheng apparaît comme le véritable détenteur du pouvoir sur la Concession Française » (p.249).
En 1932, on assiste à une reprise en mains; de nouveaux fonctionnaires intègres et expérimentés sont nommés et DuYuesheng est contraint de transférer ses sociétés et ses stocks d’opium hors de la Concession Française vers la ville chinoise. Du et le Guomintang se partagent les revenus de l’opium (130 000 livres importées tous les mois) ce qui permet à Chiang Kai-shek de financer la lutte contre les communistes.
- – L’apport limité d’internet :
Une recherche rapide est assez décevante et ne permet d’avoir accès qu’à peu de documents historiques intéressants alors que la Concession Française, devenue de nos jours le quartier « branché » de Shanghai, est l’objet d’innombrables sites notamment touristiques.
Mais internet signale des articles que l’on aurait manqué : « La Société Lyonnaise d’histoire de la police » nous décrit la corruption de la police de l’époque et les efforts d’assainissement en 1932. On souligne aussi que pour la France, l’essentiel était l’Indochine, qui en fait déterminait la politique vis à vis de la Concession.
Le livre de Xiao Bai ne mentionne pas ce que deviennent, après 1931, certains personnages du roman comme le capitaine Sarly et l’inspecteur Maron. Un article de M. C. Bergère « L’ Epuration à Shanghai (1945-1946), l’affaire Sarly et la fin de la Concession Française » nous décrit cet épisode historique digne d’un roman d’aventures !
Un bon roman historique/noir, une excellente étude historique, que faut-il préférer ? Pour compléter, on peut relire un roman célèbre avec des personnages que l’on n’oubliera pas dans la Shanghai de 1927, « La Condition Humaine » d’André Malraux (publié en 1933), un personnage souvent déplaisant mais un très grand romancier.
Bertrand Mialaret
- (1) Xiao Bai « La concession Française », traduit par Emmanuelle Péchenart. Editions Philippe Picquier , avril 2016, 530 pages, 23 euros.
- (2) Marie-Claire Bergère, « Histoire de Shanghai », Fayard , 2002, 520 pages.
Merci pour ces explications. Parmi les livres qui concernent cette ville n’oublions pas effectivement les polars « De soie et de sang » par Qiu Xiaoling et « Shanghai Triad »par Li Xiao qui nous ramène aux années trente.