Le Centre culturel de Taiwan à Paris avait invité Zhang Dachun (Chang Ta-Chun), un des écrivains taiwanais les plus connus, à présenter les souvenirs de leurs quinze ans pour trois générations, son père, lui-même et sa fille.
– Son père, quinze ans en 1936 :
Le père est natif de Jilin dans le Shandong, c’est un petit fonctionnaire qui n’a pas dépassé le collège et n’a aucun lien avec les milieux intellectuels. L’année 1936 voit l’opposition entre nationalistes et communistes et la résistance contre le Japon. C’est en décembre, quelques jours après l’anniversaire de son père, qu’a lieu l’incident de Xian où Chang Kai-shek, fait prisonnier, est forcé de conclure un accord avec les communistes et de donner la priorité à la lutte contre le Japon.
Des relations avec son père qui l’ont marqué, il en vante les qualités humaines et l’éducation qu’il a reçue. En 1997, son père est paralysé à la suite d’une chute et Zhang écrit « En écoutant mon père ». Quelques années plus tard, en 2003, après un voyage au Shandong pour rencontrer des membres de sa famille restés en Chine, il écrit « Comme une seule famille », un espèce de conte familial raconté à son fils par un vieil homme au fond de son lit.
– Sa fille sur un tas de dossiers :
Née en 2001, elle a terminé le collège et Zhang nous montre une photo d’une adolescente assise sur quelques piles de dossiers, ceux qu’on lui a imposé d’étudier. Elle a encore trois années de lycée à accomplir…Une forte personnalité et les relations sont parfois difficiles mais comme il nous dit, l’important pour les parents est de toujours tenir leurs promesses. Il s’est beaucoup occupé de sa fille et d’un fils plus jeune, ses émissions de radio lui permettent d’organiser sa journée à sa convenance.
Il écrit beaucoup sur les enfants, sur l’éducation et même sur l’étude des caractères avec « Connaître quelques caractères », un apprentissage de 89 caractères qui rencontre un grand succès. Chaque jour, la calligraphie l’occupe ainsi que l’écriture de poèmes classiques.
- – Un adolescent turbulent :
Zhang est né en 1957 à Taïpei. Un collégien bagarreur, peut-être sous l’influence de Bruce Lee. C’est en 1972, à l’âge de ses quinze ans, que sortent les deux films majeurs de son idole : « La fureur de vaincre » et « La fureur du dragon ».
Les bagarres avec ses camarades sont bien canalisées par les adultes, parents et professeurs. Ce n’est pas le cas pour Hou Sichou, le héros d’un de ses romans « Enfant des rues » (1). Zhang étudie la littérature chinoise à l’université catholique Fu-Jen et, à 19 ans, publie déjà avec succès, une nouvelle. Suivront deux ans de service militaire puis un travail de journaliste au China Times et d’assistant à son université.
Un premier livre de nouvelles en 1986, influencé par Garcia Marquès et le « réalisme magique » ; deux ans plus tard un recueil qui publie deux nouvelles célèbres : « Lucky worries about his country » (2) et « La stèle du général » (3).
Ces deux textes sont une satire de l’histoire contemporaine de Taiwan et de sa vie politique : Lucky Zhu sait à peine lire, il est balayeur des rues. Son admiration pour le style des proclamations du Président Chang Kai-shek le conduit à écrire un texte qu’il va chercher à faire publier.
Le général Wu Zhen-Dong a la capacité de traverser le temps et de voyager dans le passé. Il est retraité et plongé dans le souvenir de sa brillante carrière. Les relations avec son fils Wei-Yang sont mauvaises et le général assiste à ses propres funérailles et à la construction d’une stèle à sa mémoire…
Zhang multiplie les publications: des nouvelles de science fiction (« The Sorrow Dead ») et même comme nous dit Michael Berry, le traducteur de « Wild Kids » et de « My Kid Sister », des nouvelles très originales de cape et d’épée (wuxia).
Ses textes dans le China Times, mélange d’informations, de satires, de références historiques vont le conduire à publier des articles dans le style et selon les centres d’intérêt d’un collégien, sous le pseudonyme de Big Head Spring. Ce « Weekly journal of Young Big Head Spring » est un succès considérable, numéro 1 des ventes pendant l’année 1992 avec 260 000 livres diffusés.
Les deux romans qui suivront seront très influencés par « L’attrape Cœur » de J.D. Salinger. Ce monument de 60 millions d’exemplaires à partir de 1951 aura un impact majeur sur son œuvre.
Le héros de Salinger, Holden Caulfield a 10 ans de plus que sa petite sœur Phoebe, il est exclu de son école et erre dans New York; un roman d’apprentissage de la vie très inventif mais finalement assez optimiste, ce qui n’est pas le cas des deux romans de Zhang Dachun. Le narrateur de « My Kid Sister » est un écrivain de 27 ans, huit ans de plus que sa sœur. Un sombre portrait de la vie de la jeune fille et de l’impact de la désintégration de la famille.
Un large succès pour ce roman bien composé, plus émouvant que « Wild Child » (« Enfant des Rues » (1) ) publié en 1996 qui est un livre très sombre et décrit la vie de Big Head Spring dans les bas fonds de Taipei. Après sa fuite de l’école à 14 ans, il quitte la maison traumatisé par le départ de son père. Pour l’auteur, le livre n’est pas tragique, ce qui est à déplorer c’est le nombre d’enfants qui à cette époque ont vécu dans les rues de Taipei.
Zhang Dachun a jusqu’à présent une activité très variée: radio, scénarios pour la télévision, journalisme, calligraphie…Et même de 2013 à 2015, un roman historique très bien accueilli sur un grand poète « Li Bai à l’époque des Tang ». Bref une personnalité attachante aux talents très variés qui, souhaitons le, pourrait écrire encore de bons romans même si il nous dit qu’il a peut-être eu trop tôt trop de succès !
Bertrand Mialaret
- (1) Chang Ta-ch’un, « Enfant des rues », traduit par Mathilde et Danielle Chou. Actes Sud 2006.
- (2) Chang Ta-ch’un, « Lucky worries about his country », traduit en anglais par Chu Chiyu in « The Columbia Anthology of modern Chinese literature » ; p. 460-473.
- (3) Chang Ta-ch’un; “La stèle du général”, traduit par Mathilde Chou et Pierre Charau. Editions Philippe Picquier 1993 (Picquier poche en 2004) contient « La stèle du général », « Famine » et « Et si Lin Hsiou-Hsiong… »
Chang ta-chun ; « Wild Kids », traduit par Michael Berry. Columbia University press 2000. Avec “My Kid Sister” p. 1à 1