Un livre de Le Clézio vient de paraître, sous-titré « Aventure poétique et échanges littéraires », il s’agit de « Quinze causeries en Chine » (1), recueillies par son traducteur et ami Xu Jun; des textes de circonstance mais aussi des essais d’une très grande qualité.
Xu Jun a traduit « Désert » en 1983 puis neuf ans plus tard « Le Procès-verbal ». Ils se rencontrent alors à Nankin, lors d’une visite de Le Clézio et de sa femme Jemia, invités par l’ambassadeur de France Claude Martin.
Dans sa préface, Xu Jun, nous dépeint un auteur épris de justice et d’humanité, qui se renouvelle constamment. Un grand lecteur à l’écoute d’autrui, aux curiosités très diverses et un homme d’une grande simplicité.
- Quinze causeries (2011-2017) :
Le Clézio a effectué de nombreux et longs séjours en Chine notamment à l’Université de Nankin dont il est professeur honoris causa et dont il dirige le Centre Culturel sino-français. Ses nombreuses conférences ou plutôt, comme il dit, ses causeries, lui ont valu le prix de l’Amitié décerné par le gouvernement chinois.
Le Clézio est un écrivain du monde qui nous sort de l’atmosphère souvent renfermée de la littérature française actuelle. Pour lui, l’essentiel est l’interculturalité qui est la clef de la paix universelle. Il regrette l’ignorance des sociétés européennes vis-à-vis de l’Orient et souligne l’importance de la mondialisation. Celle-ci ne doit pas s’accompagner de développements de type colonial et les luttes de « soft power » américain, européen ou chinois sont à éviter.
Un homme qui a vécu plusieurs années dans la forêt au Panama, nous le confirme : « La littérature ne peut exister sans la pratique de l’interculturel…Les mégapoles du monde sont des places publiques où se rencontrent les idées et les idéaux du monde entier. Le métissage qu’elles proposent est irréfragable ». (p.48).
Un écrivain qui a non pas voyagé mais changé de domicile : Nice, « devenue la capitale française des retraités qui y développent une sorte d’autosatisfaction oisive doublée d’une indéniable xénophobie » (p.44), puis le Nigéria, le Mexique, Panama, puis quinze ans à Albuquerque (Nouveau Mexique).
Après la « littérature engagée », la question de la place de l’écrivain dans la cité n’est plus la même, « la littérature exerce un pouvoir, une fascination, mais elle n’a rien empêché, ni les injustices, ni les guerres, ni les dépressions. La littérature les accompagne, les dénonce mais les subit… » (p. 34). On peut imaginer que même si Le Clézio n’est pas un militant et est invité en Chine, l’évolution de ces dernières années est probablement pour lui très inconfortable !
L’écrivain vit dans des temps difficiles : « grâce à l’ordinateur et à la Toile, on sait tout du monde. L’ironie tient lieu d’esprit critique, le cynisme tient lieu de lucidité. L’à-peu-près est devenu la norme du savoir….La plus grande difficulté que connait la culture à l’échelle mondiale est dans son excessive douceur. Cette fadeur est dangereuse parce qu’elle dissimule les pulsions du racisme et de la xénophobie sous des habits aux couleurs tendres » (p.90).
Mais la littérature est devenue accessible à un très grand nombre et « elle est sans doute, de tous les arts, celui qui traduit avec le plus de force et de conviction le nouvel ordre du monde » (p.167).
Le Clézio et les écrivains en Chine :
D’abord la fascination pour Lao She dont il a préfacé en 1996 « Quatre Générations sous un même toit » (2). Un roman fleuve pendant l’occupation japonaise de Pékin dont le personnage principal est la ruelle du Petit Bercail, un hutong caractéristique qui nous fait vivre les horreurs de la guerre à travers les petites gens de Pékin.
Il admire l’universalité de Lao She qui « vient de son enracinement, de cet entêtement qu’il met à faire revivre le passé » (p.73). Le Clézio précise : « Il était Mandchou et appartenait donc à une minorité qui était en voie de disparition. Je me considère moi-même comme appartenant à une minorité en voie de disparition, celle des franco-mauriciens » (3).
Il croise de nombreux écrivains comme Yu Hua et surtout Mo Yan lors de plusieurs conférences suivies d’une visité à Gaomi, ville de naissance de Mo Yan dans la Shandong, devenu un centre de pèlerinages littéraires.
Plusieurs rencontres avec Fang Fang que l’on reçoit ces jours-ci à Paris et surtout avec Bi Feiyu dont il admire le roman « Les Aveugles ».
Malgré ces causeries de grande qualité, ces contacts, les traductions de ses œuvres relancées par son prix Nobel en 2008, certains pensent qu’il n’a pas en Chine la place qu’il devrait avoir. Un rendez-vous manqué. Dans la situation actuelle, les jeunes cherchent dans la littérature « leur dernier asile psychologique » mais Le Clézio « s’engage dans un travail de déconstruction sans construire » (4).
Les tribulations de Le Clézio en Chine :
L’auteur nous explique (p.198) qu’il souhaitait en 1966 aller en Chine envoyé par le gouvernement français qui venait d’ouvrir son ambassade. A sa place est parti « un jeune normalien » (en fait un énarque !) Claude Martin qui avait l’avantage (ce que Le Clézio ne précise pas) de bien parler chinois.
Vingt ans plus tard Claude Martin, alors ambassadeur, invite Le Clézio et Jemia en Chine pour un long voyage. Dans son livre de Mémoires (5), il précise que ce passage « fut un vrai moment de bonheur. Jean Marie avait été l’auteur favori de mes vingt ans, il l’était resté. J’aimais son regard sur les mondes et les hommes différents. Je gardais toujours un exemplaire de Désert à portée de la main » (p.677).
La publication des Mémoires de Claude Martin il y a quelques mois a été un évènement. Le titre reprend une phrase célèbre de Mao Zedong, « La Révolution n’est pas un dîner de gala ».
Ce gros livre nous apprend beaucoup sur la diplomatie de la France vis-à-vis de la Chine, sur les luttes internes au Quai d’Orsay et dans la classe politique française. Contrairement à la plupart des diplomates en Chine, Claude Martin, marié à Fei Fei, a une connaissance spectaculaire de la langue et de la culture du pays et a pu bâtir nombre de contacts et d’amitiés.
Dans le domaine littéraire, on ne détaillera pas de très nombreuses rencontres mais on peut mentionner ses contacts avec le prix Nobel Gao Xingjian en mai 1979 en France dans une délégation d’écrivains conduite par Pa Kin. En septembre 1985, Gao Xingjian se réfugie en France, il est accueilli par Claude Martin qui le logera dans son appartement (p.499).
Bertrand Mialaret
- J. M. G. Le Clézio, « Quinze causeries en Chine », Gallimard 2019, 200 pages, 19,50 euros.
- Lao She , « Quatre générations sous un même toit », traduit par Jing- Yi Xiao (pour le T1, par Chantal Chen-Andro pour les T2 et 3). Mercure de France 1996.
- cn.ambafrance.org/Entretien-avec-Jean-Marie-Gustave-Le-Clezio 30/11/2014
- Guo Lina « A la recherche d’un dialogue sino-occidental efficace à partir de la défaite littéraire de Le Clézio en Chine ». Université Sun Yat-sen 18/4/2016.
- Claude Martin, « La diplomatie n’est pas un dîner de gala » Editions de l’Aube, 2018, 950 pages, 29,90 euros.