Xue Yiwei est un écrivain chinois, vivant à Montréal depuis seize ans, auteur de quatre romans, cinq recueils de nouvelles et de nombreux essais. Il est célèbre en Chine et commence à être lu en Occident où deux recueils de nouvelles ont été traduits en anglais ainsi que son roman « Dr. Bethune’s children » (3).
Il a passé sa jeunesse à Changsha dans le Hunan, a étudié à l’université de Guangzhou et vécu longtemps à Shenzhen où il était professeur. Cette mégapole de la Rivière des Perles est une étape importante dans sa vie mais il la quitte en 2002 pour Montréal et des études de littérature à l’université.
Il avait commencé à écrire à 25 ans en 1989 et « Desertion », son premier roman a été couronné à Taiwan. On a déjà évoqué deux remarquables recueils de nouvelles « War Stories » (1) et « Shenzheners » (2). « Les enfants de Dr. Béthune », un chirurgien de Montréal, célèbre en Chine, est d’une qualité comparable.
Montréal et Dr. Béthune :
Comme le dit l’auteur : « Il y a deux raisons principales qui m’ont attiré pour m’installer ici. J’appartiens à la génération des écrivains chinois, profondément influencés par l’existentialisme et la littérature française. Et Dr. Béthune a été le père spirituel des Chinois qui ont grandi pendant la Révolution Culturelle ».
Un éditeur de Pékin lui commande une biographie de Dr. Béthune à l’occasion du soixante- dixième anniversaire de sa mort. Xue Yiwei analyse les archives de l’université Mc. Gill à Montréal après des recherches en Chine. Des problèmes de santé, des visions, une présence vont le conduire à s’adresser directement à son héros et, dans un roman, à lui écrire vingt deux lettres.
Des lettres où il lui explique l’influence qu’il a eu sur son enfance et qu’il a maintenant sur sa vie à Montréal. C’est l’histoire récente de la Chine de son enfance pendant la Révolution Culturelle qui est évoquée à travers la vie et l’image de Dr. Béthune. Le roman est chaleureusement accueilli en Chine par des revues littéraires qui n’osent le publier; mais en 2011, un éditeur de Taiwan publie le roman en trois épisodes puis en livre. Le roman sera rapidement interdit en Chine comme deux autres livres de l’auteur.
En 2017, le livre est traduit par Darryl Sterk et publié à Montréal par Linda Leith Publishing (3) après avoir été largement repris par l’auteur qui a pour habitude de réécrire et corriger sans cesse ses ouvrages.
Dr. Béthune, l’étranger le plus admiré en Chine :
Si l’on exclut les Marx, Lénine…Dr. Béthune était une icône qui était connue de tous les écoliers chinois. Né en 1890 au Canada, brancardier pendant la première guerre mondiale, puis médecin militaire après ses études à Toronto. Les instruments médicaux qu’il inventa sont toujours utilisés en chirurgie thoracique.
Son idéologie humaniste de médecine sociale le pousse vers le parti communiste du Canada et de 1936 à 1938, il sera sur la ligne de front de la guerre d’Espagne. Il va ensuite rejoindre la Huitième Armée de Mao Zedong dans le nord de la Chine à Yan’an, où il organise des antennes mobiles chirurgicales et la formation de médecins et d’infirmiers. Il se coupe accidentellement en opérant et meurt d’une septicémie le 12 novembre 1939.
La vie privée de Béthune est complexe, de nombreuses maitresses et une femme qu’il épouse à deux reprises, une union terminée par deux divorces successifs ! Sa vie à Yan’an sera difficile, très gêné par la barrière de la langue. Il sera isolé, sans femme, nostalgique du Canada et des journaux en anglais. Vingt mois en Chine, de nombreuses lettres à ses amis au Canada mais aussi à son « great friend » Mao Zedong qu’il rencontrera une seule fois.
Un mois après sa mort, Mao Zedong écrit un texte de 800 mots « A la mémoire de Norman Béthune » que tous les écoliers chinois ont étudié et qui a fait partie du Petit Livre Rouge. « L’esprit du camarade Béthune, oubli total de soi et entier dévouement aux autres, apparaissait dans son profond sens des responsabilités à l’égard du travail et dans son affection sans bornes pour les camarades, pour le peuple. Tout communiste doit le prendre pour exemple » (4)
Dr. Béthune est un symbole puissant d’idéalisme qui a été largement utilisé par Mao Zedong et le Parti Communiste : « voila donc un étranger qui, sans être poussé par aucun intérêt personnel, a fait sienne la cause de la libération du peuple chinois », inspiré par l’esprit de l’internationalisme, du communisme.
Cette image mythique relie la Chine et le Canada. C’est une icône qui a facilité l’établissement de relations diplomatiques. Des statues en Chine et au Canada, des timbres sont émis dans les deux pays en 1990…
Xue Yiwei n’est pas un thuriféraire, il s’interroge constamment sur les motivations réelles de Béthune. L’engagement politique, la guerre, sont peut-être un moyen de fuir des problèmes personnels et une vie qui ne semble pas avoir été très heureuse. Comme il l’écrit à Pony, sa maitresse avant de quitter le Canada, « I must go to China », pourquoi ?
Vous nous manquez Dr. Béthune :
De nombreuses lettres concernent l’enfance de l’auteur, l’école au temps de la Révolution Culturelle et son amitié avec Yangyang. De petits détails font, mieux que de longues descriptions, vivre les pressions idéologiques de l’époque. Les drames de l’année 1976 et la mort de Mao ont été déjà décrits mais ici c’est à travers les yeux de deux adolescents.
Dr. Béthune est le père spirituel de cette génération, « you are the father we all keep searching for » (p.7). « I miss you Dr. Bethune. I miss you the same way I miss my childhood companion” . Yangyang est parti retrouver Dr. Béthune, un exemple de pureté ; mais sa mère est devenue folle après ce suicide. « I am sorry Mom, please forgive me » (p. 163).
Mais comme dit l’auteur, la Chine a beaucoup changé,” China is no longer the country to which you once devoted yourself” …”It can now be called the biggest capitalist country in the world” (p.26). Mais si Bethune est aujourd’hui un peu oublié en Chine, cela ne change rien pour Xue Yiwei, car pour lui, la littérature est une « mission ».
Tiananmen et le départ pour Montréal :
Le mot Tiananmen n’est pas prononcé mais son évocation dans le livre est une des raisons de son interdiction. Après la mort de Yangyang, ses parents accueillent Yinyin, une orpheline rescapée par l’armée du tremblement de terre de Tangshan. Le narrateur et Yinyin se rapprochent malgré l’opposition des deux familles, s’aiment et se marient. Une courte période de bonheur mais en juin 1989, Yinyin, enceinte, sort quelques instants ; elle ne reviendra pas, tuée par trois balles de ceux qui l’avaient sauvée à Tangshan ; elle a été tuée « par accident ».
Le narrateur parvient à quitter la Chine en avril 1990, pour s’installer à Montréal. Une vie pas très heureuse ; huit ans après la mort de Yinyin, il vit pendant quelques années avec une Vietnamienne autoritaire qui a tenté de remplacer un amour perdu. Il est heureux d’accueillir ses parents, ce sera un désastre, sa mère se félicitera même de la mort de Yinyin. Il se sent orphelin et nostalgique de l’époque où en Chine on ne s’intéressait pas essentiellement à l’argent.
Un grand roman :
Un livre considéré par beaucoup comme l’un des meilleurs livres de ces dernières années. Le ton est très original, optimiste mais avec beaucoup de regrets sur son enfance, son amitié avec Yangyang, son amour pour Yinyin. On est séduit par la variété des styles, des dialogues, des références historiques ou sociologiques.
La progression des lettres n’est pas chronologique ; on parle de l’enfance, de Montréal, de la vie de Béthune ; les retours en arrière sont constants. La vie des personnages progresse de lettre en lettre même si les évènements sont annoncés par avance.
Beaucoup de digressions, d’anecdotes pas toujours indispensables mais qui relancent l’intérêt. Deux personnages à Montréal, Claude et Bob permettent des ruptures dans la narration et donnent leur vision de la Chine et des conflits linguistiques au Canada. Claude est un séparatiste, un Québécois, il ne s’intéresse pas à Dr. Béthune, un Canadien !
L’auteur excelle à choisir des détails permettant de situer une époque, un personnage. Parfois cela illustre une critique sociale ou politique mais l’analyse idéologique est totalement absente.
Xue Yiwei, très apprécié en Chine a maintenant été finalement découvert à Montréal. Deux livres traduits en anglais (2-3) par Darryl Sterk, depuis quelques mois professeur à l’université Lingnan de Hong Kong après quelques années à Taiwan où il a également traduit deux romans de Wu Ming-yi.
« Les gens de Shenzhen » vient d’être traduit en français et publié au Canada (5). Espérons qu’il en sera de même pour « Les enfants de Dr. Béthune ».
Bertrand Mialaret
- Xue Yiwei, « War Stories », Chinese Literature and Culture, volume 5, Decembre 2015.
- Xue Yiwei, “Shenzheners”, traduit par Derryl Sterk. Linda Leith Publishing 2016, 175 pages
- Xue Yiwei, « Dr. Bethune’s children », traduit par Derryl Sterk. Linda Leith Publishing, Montréal 2017, 280 pages.
- Mao Zedong, “Oeuvres Choisies”. Tome 2, p.359. ELE Pékin 1967.
Xue Yiwei, « Les gens de Shenzhen », traduit en français par Michele Plomer. Marchand de Feuilles, novembre 2017, 224