Le romancier passe quinze jours en France pour présenter son dixième livre « Il était une fois l’inspecteur Chen » (1), accompagné d’un petit volume offert par les éditeurs, « Il était une fois Qiu Xiaolong » (2). Un ensemble très séduisant, fort bien servi par la traduction d’Adélaïde Pralon, qui nous plonge dans l’intimité de l’auteur et de son héros, l’inspecteur Chen Cao.
- – Chen Cao, comment on devient commissaire :
Qiu Xiaolong nous raconte « la jeunesse de Chen, les circonstances qui l’ont poussé à devenir policier alors qu’il se destinait à la traduction. Au centre du roman, on découvrira sa première véritable enquête. Elle est encadrée par des chapitres relatant différentes séquences de son parcours…l’inspecteur Chen comme nous tous, construit son identité au fil de ses rencontres et de ses expériences…mais ces multiples points de vue finissent par dresser un tableau complet de sa personnalité. Il s’agit d’un livre assez personnel, où la ligne qui sépare le personnage de son créateur est volontairement floue ».
Cette première enquête de Chen nous rappelle certains traits des romans précédents: la poésie et ses rapports avec Ling, une jolie bibliothécaire qui malheureusement est la fille d’un des principaux personnages du régime, la gastronomie qui permettra à Chen d’identifier la victime. Des habitants de la Cité de la Poussière Rouge à Shanghaï, où l’auteur a passé son enfance, aideront Chen à confondre le meurtrier grâce à des mégots de cigarette dénommées « Double Bonheur » !
- – Gastronomie et poésie :
C’est le Docteur Xia, le médecin légiste, qui, par l’analyse du dernier dîner de la victime, permettra à Chen de l’identifier. On a toujours plaisir à lire les évocations de magnifiques plats chinois mais, à Paris, on ne saurait être frustré, comme Qiu Xiaolong à Saint Louis aux Etats-Unis, car la qualité des restaurants, notamment du Sichuan ou du Hunan, a fait des progrès remarquables.
Cette première enquête, comme souvent, se termine par un poème parfois très célèbre comme « La Cithare de Brocart » (p.154) de Li Shangyin (812-858), le préféré de Chen et de son mentor mais aussi de Mao Zedong. Un poète d’une extrême concision, l’un des quatre grands poètes de la dynastie Tang avec Du Fu, Li Bo et Wang Wei.
Ce poème est magnifiquement traduit par Yves Hervouet (3), qui aura besoin de plusieurs pages de commentaire pour nous faire comprendre la complexité du texte et qui en appelle au renfort de l’académicien François Cheng (p.90 à 97) (4) car « l’instrument suscite toute une série de métaphores sur la vie amoureuse du poète et sur l’ensemble de sa vie » (p.115).
- – L’homme et le poète :
Qiu Xiaolong souligne dans « un inspecteur poète » que Chen « tient à séparer l’homme qui souffre du poète qui écrit. En cela, il suit la tradition de la poésie chinoise classique qui veut que les poèmes d’amour soient interprétés comme des allégories politique à travers la figure de l’amoureux éconduit comme dans les poèmes sans titre de Li Shanyin » (p.24).
Le luth à brocart est aussi présent dans un autre superbe poème « Devant mes yeux », traduit par Yves Hervouet (p. 82) :
« Vert des canneliers du jardin, qui angoisse mon cœur,
Rouge des lotus de l’étang, qui saoule le regard.
Pendant cette vie, lointains voyageurs,
Quelques séparations, nous sommes des vieillards !
Vent et fumée traversent les rideaux,
Brouillard et pluie passent les hautes baies.
Qu’étaient beaux les jours d’autrefois pour le nouvel époux,
Quand le luth à brocard s’appuyait au treillis vermeil !
- – Des nouvelles de la Poussière Rouge :
Les derniers chapitres de « Il était une fois l’Inspecteur Chen » sont quasiment des nouvelles, sans lien avec la biographie de Chen et qui pourraient figurer dans l’un des deux volumes de «La Poussière Rouge » (5), l’une de ses œuvres que je préfère.
Ce vieux quartier de Shanghai est un souvenir marquant pour l’auteur: l’été, les habitants se retrouvaient pour la conversation du soir, commentaient l’actualité, racontaient des histoires. A l’entrée de la Cité, un tableau noir récapitulait les évènements les plus marquants. Une nouvelle par an à partir de 1949 et la proclamation de la République Populaire, et chaque année, la nouvelle est précédée par un bulletin d’information sur le tableau noir.
Les thèmes sont très variés: évènements historiques, anecdotes racontées et même parfois des textes qui semblent autobiographiques, par exemple un ensemble de trois nouvelles « Comme l’eau du fleuve » et la rencontre d’une jeune fille étudiant l’anglais dans le parc du Bund à Shanghai, que l’auteur évoque (p.205) dans sa conclusion.
Ces quartiers sont typiques avec leurs ruelles étroites, les Lilong, et l’architecture des maisons Shikumen, construites en séries dans les années 1900 en brique rose avec des linteaux moulés gris.
- – Un ami perdu, Lu Tonghao dit « le Chinois d’outre mer » :
Pour conclure, Qiu Xiaolong nous conte l’histoire de son ami qu’il a perdu; une histoire vraie qui le hante. Lu lui a passé le virus des livres et la passion de la gastronomie. On se réjouit de l’inventivité des deux amis pour se procurer des livres ou pour utiliser au mieux leurs petites économies pour goûter un maximum de plats différents.
Lu part dans l’Anhui comme « jeune instruit » alors qu’une crise de bronchite permet à Qiu Xiaolong de rester à Shanghai. Lu veut réussir et braver le destin alors qu’à l’époque, « les gens devaient fonctionner comme des boulons, indifféremment vissés à la grande machine étatique. Une vie n’existait que par et pour le Parti » (p.205).
Le texte nous conte les années d’études de Qiu Xiaolong, son entrée en 1977 à l’université à Shanghai puis à Pékin et ses débuts comme traducteur et comme poète. Il continue à voir Lu jusqu’à son départ pour Saint Louis en 1988. En 1996, il revient à Shanghai; la ville a tellement changé qu’il ne peut retrouver le Lu qui était son ami et qui est devenu…un personnage récurrent des enquêtes de l’inspecteur Chen.
- – Les poèmes de l’inspecteur Chen :
Dans le petit volume « Il était une fois Qiu Xiaolong » , on trouve à la fois le parcours de l’auteur, une excellente interview et 28 poèmes de l’inspecteur Chen. Ces poèmes, introduits avec précision, sont souvent inédits; d’autres sont cités intégralement ou en partie dans les romans de l’auteur. On peut maintenant lire en français les poèmes de Chen !
Qiu Xiaolong était déjà un poète connu, membre de l’Union des Ecrivains, avant de quitter Shanghai. Il a publié en anglais en 2009 un recueil de ses poèmes (7), soit récents, soit beaucoup plus anciens et qui avaient déjà été publiés en chinois.
Il a beaucoup œuvré pour faire connaître la poésie classique chinoise par des traductions destinées au grand public et illustrées de peintures traditionnelles avec notamment un livre (6) qui fut célébré lors de l’exposition universelle de Shanghai en 2010. Ce livre n’est pas facilement disponible mais on peut aisément trouver sur www.mountainsongs.net ses traductions en anglais.
Bertrand Mialaret
(1) Qiu Xiaolong, « Il était une fois l’inspecteur Chen », traduit par Adélaïde Pralon, Liana Lévi, 2016, 240 pages, 19 euros.
(2) Qiu Xiaolong, « Il était une fois Qiu Xiaolong », portrait de l’auteur et 28 poèmes de l’inspecteur Chen. Offert par les éditeurs, 92 pages, 2016.
(3) Yves Hervouet, « Cent poèmes de Li Shangyin (812-858) ». Editions du Boccard, 1995, 260 pages.
(4) François Cheng, « L’écriture poétique chinoise ». Le Seuil 1977 (nouvelle édition 1996), 260 pages.
(5) Qiu Xiaolong, « Cité de la Poussière Rouge », traduit par Fonchita Gonzales Battle. Liana Lévi, Piccolo 2008, 220 pages et « Des nouvelles de la Poussière Rouge, traduit par Adélaïde Pralon, Piccolo 2013, 220 pages.
(6) 100 Classic Chinese Poems, translated by Qiu Xiaolong. East China Normal University Press, 2010, 240 pages.
(7) Qiu Xiaolong, “Lines around China”, Neshui Press 2008.
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