Wang Ting-Kuo est un romancier célèbre à Taiwan ; son livre, « My enemy’s cherry tree » (1) a été couvert de prix en 2015 et rapidement traduit en anglais après le succès l’année précédente d’un recueil de nouvelles dont l’une, « La Chute » est disponible en français (2).
Ces textes sont centrés sur deux personnages masculins d’origine modeste qui tentent de surmonter leur frustration en construisant une réussite professionnelle qui ne leur permettra pas d’éviter des échecs dans leur vie amoureuse.
- Un roman autour de la vie et la mort d’un beau cerisier :
Le père du narrateur est agent de nettoyage dans une école et se suicide après une descente de la police dans un centre illégal de jeux d’argent qu’il avait organisé. Obsédé par son origine sociale, notre héros mènera avec brio sa vie professionnelle et deviendra l’adjoint du patron d’une entreprise familiale de construction.
Il se marie avec Qiuzi, une jolie serveuse dans un restaurant, dix ans plus jeune. Elle ne partage pas ses ambitions et souffre de ses déplacements constants alors que le tremblement de terre de 1999 l’a beaucoup perturbée.
Une tombola permet à Qiuzi de gagner un appareil photo reflex et des leçons avec un professeur, Luo Yiming, un ancien banquier, un personnage connu pour ses actions philanthropiques. Un grand cerisier est l’un des plus beaux arbres de sa propriété où le narrateur et Qiuzi sont invités.
Luo Yiming est veuf, sa femme est morte en donnant naissance à sa fille, Liu Baixiu, et il ne s’est pas remarié ; Qiuzi est comme une seconde fille pour lui. Qiuzi montre ses photos à un mari peu intéressé mais « I could tell that the camera had failed to expand her horizon. Instead her lens had actually exposed the narrow confines of our life” (p. 174).
Le narrateur n’est guère présent; il doit convaincre les frères de son patron, les actionnaires familiaux, d’un projet de développement près deTaipei, alors que la conjoncture est médiocre. On lui offre d’investir dans ces constructions, Qiuzi soutient l’idée et Luo Yiming lui prêtera les fonds mais le jour où le prêt est approuvé, Qiuzi a disparu.
Les relations de Qiuzi avec Luo Yiming sont un mystère mais le narrateur est convaincu que Luo Yiming est à l’origine de cette disparition. Le narrateur avait dit à Qiuzi « if you leave me I’ll come here to wait for you every day” (p.40) ; il demande un congé à son patron et ouvre un petit café dans une zone peu passante et l’appelle « Run away from home ».
Il reçoit souvent la visite de Luo Baixiu qui voudrait le rapprocher de son père et lui faire oublier Qiuzi disparue depuis quatre ans. Le cerisier va alors mourir dans la propriété de Luo Yiming…
- Un style très personnel et un romancier atypique :
On est frappé par le ton détendu, calme, placide même en relatant des évènements tristes comme par exemple la mort du père. La narration est lente, les personnages sont l’essentiel. Le romancier parvient à créer une atmosphère très particulière autour de la présence, de l’absence, mais on est frappé par la tristesse implicite des différents intervenants.
On a très peu d’indications sur Qiuzi, elle n’apparait presque jamais, elle est racontée par le narrateur, elle est transparente, mais on ne sait pas d’où provient une cicatrice sur son sein gauche qui à ses yeux revêt une grande importance. De même, que représente pour elle Luo Yiming, pourquoi a -t-elle disparu ? C’est le cœur du livre et des interrogations du lecteur.
La composition du roman est très élaborée : la vie avec et sans Qiuzi, la réussite professionnelle, les projets de construction, les rapports entre le narrateur et son patron. La situation économique joue un rôle quand elle impacte la construction mais les problèmes politiques ne sont jamais abordés sinon par quelques allusions à la corruption.
Wand Ting-Kuo a 64 ans, il est, comme ses héros, né au sein d’une famille pauvre. Après une école de commerce, il publie avec succès de nombreuses nouvelles. Son futur beau-père lui aurait alors fait comprendre qu’il fallait choisir entre sa fille et la littérature et ses aléas.
Une carrière d’homme d’affaire lui permettra à 25 ans de fonder avec succès sa propre société. Vingt ans après, il reviendra à la littérature tout en dirigeant la compagnie de construction qu’il a fondée en 1990.
- « La Chute », un thème classique, une nouvelle réussie :
Le narrateur est le dirigeant d’une entreprise qui travaille sur un projet de casino, il rentre à Taipei avec le fils de son Président. Le propriétaire d’une puissante voiture, Huang, un brillant investisseur boursier, les convainc, ainsi que deux autres passagers, de rentrer en voiture. Un détour pour un restaurant puis une route de montagne, du brouillard, une sortie de route et deux roues dans le vide.
L’histoire de sa vie revient en film accéléré ; une famille pauvre, il a dû travailler en usine puis dans l’armée au lieu d’aller à l’université comme Neige qui l’a abandonné pour un étudiant. C’est pour prétendre l’épouser, c’est la rage de gagner, qui l’a poussé à développer des affaires avec succès.
La mère de Neige, magistrate à la retraite, devient sa conseillère juridique et plus tard, il épouse Neige qui a vu ce mariage comme un échec, comme une humiliation ; elle reprend l’enseignement puis elle le quitte.
Dans la voiture, sur la banquette arrière, son ancien rival qui panique, qui pleure. Le narrateur parviendra à le laisser sortir au risque de précipiter la voiture dans le vide ; « moi, je suis juste triste, très triste… ».
Bertrand Mialaret
- Wang Ting-Kuo, « My enemy’s cherry tree”, traduit par Howard Goldblatt et Sylvia Li-chun Lin. Granta 2019, 266 pages.
- Wang Ting-Kuo, “La Chute”, traduit par Shao Baoqing, in « De Fard et de Sang », Tome 3 du remarquable recueil de nouvelles taiwanaises dirigé par Angel Pino et Isabelle Rabut. Page 411 à 459. Editions You Feng, 2018.