Lee Kok Liang est avec Llyod Fernando et KS Maniam l’un des écrivains les plus importants de la littérature malaisienne en langue anglaise. Juriste, homme politique, auteur de deux romans et de deux recueils de nouvelles, il nous séduit par son style, ses qualités d’observation et un regard détaché et plutôt triste sur Londres, Paris et la Malaisie des années 1960.
- Un bon roman, « London does not belong to me » (1)
Auteur de deux recueils de nouvelles et d’un roman « Flowers in the Sky » (1981) (2), Lee Kok Liang est surtout connu pour un livre publié en 2003, plus de dix ans après sa mort qui nous conte ses deux années à Londres (1952-1954), sa vie amoureuse et celle d’un groupe d’expatriés aux débuts du Commonwealth.
L’auteur est né dans le nord de la Malaisie, à Alor Star, en 1927 dans une famille de Chinois des Détroits de quatrième génération ; sa mère personnifiait un mélange de cultures malaises, chinoise et thaie. Cette ouverture culturelle est renforcée par une éducation dans les systèmes chinois, malais et anglais. Il va suivre les cours de l’université de Melbourne et commence à écrire des nouvelles. En 1952, il poursuit des études d’avocat à Lincoln’s Inn à Londres et revient en 1954 en Malaisie où il s’installe.
Quelques années plus tard, il publie un recueil de nouvelles « The Mutes in the Sun » (1963) (3) et, avocat à Penang, il est élu membre de l’Assemblée Provinciale. Un second recueil « Death is a ceremony » (4) est publié juste avant sa mort (1992).
- Des amours à Londres, Cordelia et Béatrice :
Les relations avec Cordelia et les efforts pour la retrouver après son départ sont le lien qui donne son unité au roman mais aussi une tonalité peu optimiste. Il rencontre Cordelia chez Beatrice ; Delia est jolie, vivante, encore sous le coup de la mort de son frère dans un accident d’avion.
Le narrateur est amoureux d’elle mais elle veut diriger cette relation ; une très belle scène où elle lui demande de lui brosser les cheveux. Mais il s’interroge: « there was in me a fear, a secret doubt that she in her loneliness has used me as perhaps I might have been using her » (p.50).
Un jour sans explications, Delia disparait et personne ne sait où elle se trouve. Le narrateur se rapproche de Béatrice, une australienne qui est très amoureuse. Ils deviennent amants mais elle a souvent l’impression qu’il cherche surtout à obtenir des nouvelles de Delia ; « I needed Beatrice as a stimulus to keep my love fresh » (p.51). Dans le roman, les relations amoureuses ne sont guère épanouissantes, elles sont décrites comme destructrices et négatives.
Il va une semaine à Paris pour tenter de retrouver Cordelia. Il y admire les sculptures de Rodin et leur puissant climat érotique. Il rencontre Colette, la femme de Guy, un jeune Français rencontré à Londres ; les relations du couple sont mauvaises et Colette tente de le séduire.
- Un discours anti colonial très modéré :
En tant qu’asiatique, il est plutot bien accepté dans ce milieu de jeunes venant de tous les coins du Commonwealth, mais Londres reste impénétrable. Ce groupe de jeunes expatriés est assez isolé et marginalisé. Comme dit le narrateur au début du livre: « London was full of rooms, I went from one to the other. Slowly, I adjusted myself and lived the life of a troglodyte learning the tribal customs of feints and apologies ».
Il est un narrateur, un observateur détaché dont on ne sait même pas le nom. L’essentiel pour lui est la recherche de son identité et le fait que « London does not belong » to him, le force à la rechercher. L’approche n’est jamais directement politique. On parle peu de Londres et des problèmes d’une grande cité. La Malaisie est soit présentée de manière idyllique soit critiquée sévèrement.
La langue est vécue comme un outil socio culturel essentiel; comme KS Maniam, il souligne que c’est l’instrument de colonisation le plus puissant. Néanmoins les différents personnages sont très attachés à leur liberté de parole, « they want the freedom to feel and say ».
- Une ambigüité sexuelle :
Nombre de personnages du roman sont gays ou bi sexuels, ce qui est surprenant pour un roman malaisien de cette période, même si ce texte n’a été publié qu’après la mort de l’auteur.
Deux personnages importants, Tristam et Steve sont gays mais avec beaucoup de détachement: « the terrible thing is that people can never accept that we still can be fond of people who are not one of us » (p.77).
Certains d’entre eux sont des prédateurs « coloniaux ». Gopal, un Indien venant du Kenya, ami de Tristam, devient finalement fou et est interné à l’asile de Dartford. Steve que le narrateur rencontre à Paris avec un garçon, lui fait des avances, tout comme Tristam qui est très attiré par lui. « Don’t worry, we all love you, Ken, Beatrice, Cordelia and I, each in our own way » (p.282). Le narrateur est perturbé, repousse ces avances mais on le sent plutôt heureux de susciter tant d’intérêt.
Lors de son départ, Tristam lui offre un roman « London belongs to me » de Norman Collins, une saga, un roman populaire de 1945 qui obtint un succès considérable, où l’on nous parle des habitants d’un quartier très précis de Londres pendant la guerre.
- Des nouvelles parfois de grande qualité :
Sept nouvelles, les plus connues, sont reprises dans « Twenty Two Malaysian short stories » édité par Lloyd Fernando (5) ; quatre ont été publiées avant le premier recueil de 1963, deux en 1964 et la plus réussie, « Ibrahim Something » en 1966.
Un texte célèbre « Return to Malaysia » est plutôt un essai : par quoi est-on frappé quand on rentre au pays natal après plusieurs années, les couleurs, les odeurs, les disputes des enfants, la pauvreté, la guérilla anti communiste, les amis…?
D’autres nouvelles sont des scènes villageoises où les souvenirs jouent un rôle important. Parfois la politique et la répression policière sont abordées (« It’s all in a dream »). Il s’agit plus de petites scènes, il n’y a pas vraiment l’effort de construire une histoire, de captiver le lecteur, de le dérouter par une chute imprévue.
Mais on a beaucoup apprécié « Ibrahim Something » : le narrateur est dans une salle commune d’un hôpital pendant l’occupation japonaise. Son voisin Ibrahim parle malais mais aussi chinois (hokkien). Arrive un nouveau malade qui ne pourra être sauvé ce qui nous vaut l’histoire d’Ibrahim qui bientôt rejoindra avec sa femme les maquis dans la jungle.
Bertrand Mialaret
- Lee Kok Liang, « London does not belong to me », Maya Press, 2003, 330 pages.
- Lee Kok Liang, « Flowers in the sky », Federal Publications, 1981.
- Lee Kok Liang, « The mutes in the sun and other stories », Raybooks publications, KL, 1963.
- Lee Kok Liang, « Death is a ceremony and other stories », Federal Publications, Singapore, 1992.
- « TwentyTwo Malaysian Short Stories », edited by Lloyd Fernando, Maya Press 2005, 260 pages.